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Du clavier au pavé

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Fini le temps où les e-marchands pensaient se contenter d'Internet comme canal de distribution. Crise oblige, l'avenir de l'e-commerce passe désormais par des points de vente physiques.

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Une table, des chaises, du bois et de l’acier pour matériaux, et surtout, des centaines de bouteilles de vin : difficile d’imaginer que l’on se trouve ici dans la boutique parisienne de Wine & Bubbles, le site de vente en ligne de spiritueux. Ouvert depuis l’été, ce magasin propose également un espace “dégustation” où l’on peut boire du vin au verre tout en mangeant une assiette de fromage. C’est-à-dire, précisément, tout ce que, par nature, le site Internet ne peut offrir. « La boutique complète à merveille l’offre Web », confirme Nicolas Krabal, le gérant et fondateur. À l’instar de Wine & Bubbles, nombreux sont les anciens pure players à avoir désormais pignon sur rue. Les sites qui, il y a quelques mois encore, ne juraient que par le virtuel, en sont, peu à peu, venus à se doter de points de vente ou de réseaux de distribution physiques. Et, la plupart du temps, il ne faut pas chercher bien loin les raisons de ce revirement de stratégie : le temps où l’on pouvait parier sur une explosion prochaine du commerce en ligne est révolu. « Le Web seul ne constitue pas une ressource suffisante, explique clairement Nicolas Krabal. En B to C, le marché de l’e-commerce n’est pas viable en France. Il le deviendra sans doutes, mais dans dix ans peut-être… »

Changement de stratégie pour Amazon, l’ancien pure player

Le “click and mortar”, comme on nomme le fait, pour un site Web, de mettre un pied dans l’économie traditionnelle, est en donc train de conquérir ses lettres de noblesse. Tout le monde veut s’y mettre. Jusqu’à l’américain Amazon, qui avait bâti son business model sur le “tout Net” et qui, début septembre annonçait avoir noué un partenariat aux États-Unis avec Circuit City Stores, un réseau fort de 630 magasins spécialisés dans la vente de produits électroniques. L’objectif ? Permettre aux clients d’Amazon d’aller retirer leurs achats dans la boutique la plus proche de leur domicile et même de payer sur place, sans avoir besoin de donner leur numéro de carte bancaire en ligne. Interrogé en août dernier sur la publication d’un catalogue papier, Georges Aoun, le p-dg d’Amazon France, écartait toute idée de click and mortar au sein de l’Hexagone : « Notre business model est basé sur les économies d’échelle induites par Internet : il n’est pas question de remettre cela en cause. Amazon est une marque Internet et le restera. » Pourtant, Amazon est, depuis, allé bien plus loin : il s’agit même d’un retournement stratégique dont l’objectif est d’augmenter les revenus d’un site qui enregistrait, l’an passé encore, 1,55 Mde (10 MdF) de pertes. Néanmoins, tous les e-marchands n’ouvrent pas boutique simplement parce qu’ils sont désillusionnés. Cela correspond parfois à une véritable stratégie, pensée dès l’origine. Chez Wine & Bubbles, on affirme ainsi que le magasin était prévu dans le business plan. « Avoir un site Internet et un magasin permet de toucher deux cibles différentes, explique Nicolas Krabal. En l’occurrence, notre site est très utilisé par les entreprises, et la boutique, plutôt fréquentée par les particuliers. » Et si, sur place, le panier moyen d’un client Wine & Bubbles n’est que de 34 e (225 F environ) alors qu’il atteint 290 e (1 900 F) sur Internet, ce n’est pas grave : les volumes de vente générés par le magasin sont plus de dix fois supérieurs à ceux du Net.

Quinze mille et une manières de toucher les e-clients

C’est ce même argument qui a poussé le site de développement de photo Pixmania.com à conclure un partenariat avec les Laboratoires Parisiens, qui possèdent des services de développement chez 15 000 marchands de journaux partout en France. Les possesseurs d’appareils photo numériques déposent leurs photos sur le site, qui en assure le développement, et vont ensuite les retirer dans leur kiosque. En ouvrant des points de vente, les e-marchands cherchent, en outre, à se crédibiliser aux yeux de leurs clients. « Nous voulions expliquer à nos clients que l’on pouvait venir nous voir, dialoguer de visu avec des conseillers », explique Thierry Roussel, directeur général du groupe Poliris, éditeur, notamment, du site Promovacances. com. Voici un an, ce dernier a installé un point de vente à l’intérieur du Virgin Megastore des Champs-Élysées, à Paris. Pour les e-marchands, la présence d’un réseau physique est un moyen d’annihiler les deux objections majeures des internautes ; oubliée la crainte de se faire pirater son numéro de carte bancaire, et finie l’attente d’un colis qui n’arrive pas, faute de structures logistiques adaptées. Le click and mortar conjugue les avantages du Web et ceux du commerce traditionnel.

Synergies entre le virtuel et le réel

Ce retour à la raison est payant. Cette année, le chiffre d’affaires du point de vente Promovacances avoisinera les 4 Me (environ 26 MF) à la fin de l’année. Une jolie performance qui n’est peut-être rien comparée au chiffre d’affaires réalisé par le site lui-même (plus de 57 Me, soit 375 MF), mais qui se révèle bénéfique en terme d’image : « Nous n’aurions jamais eu la même visibilité si nous nous étions cantonnés au site », reconnaît Thierry Roussel. En effet, chaque mois, un million de visiteurs passent devant Promovacances en se rendant au Virgin Megastore. Le mouvement de rapprochement des sites avec des entreprises traditionnelles semble donc inéluctable, tant les synergies entre les deux univers sont porteuses de profit. Les “techies” – les patrons high tech – mâtinent l’utopie Internet de ce bon vieux réalisme qui leur a trop longtemps fait défaut. La banque britannique en ligne Egg, qui est pourtant un succès, a ainsi ouvert des guichets. Car, en plus des opérations à distance, les clients veulent, comme l’explique Paul Gratton, le p-dg, « disposer de contacts physiques en complément ». Exigeants, les e-clients ? Peut-être. Mais, après avoir tant entendu vanter les mérites du Net, rien d’étonnant à ce qu’ils demandent le beurre et l’argent du beurre. Ni qu’ils changent de crémerie lorsqu’ils ne bénéficient pas des avantages du multicanal.

Témoignage Thierry Roussel, directeur général du groupe Poliris, éditeur du site de voyages en ligne Promovacances.com « Nous avons ouvert un point de vente pour faire du business et pour “faire sérieux”. » « Notre groupe a une stratégie de diffusion de l''information multicanal : Minitel, Internet et papier. Nous ne nous sommes jamais contentés du on line. Il était donc logique que nous descendions dans la rue pour y créer un point de vente physique. Je crois beaucoup au click and mortar, je pense que c''est l''avenir du Web, parce que la distribution doit être, elle aussi, multicanal. Au Virgin Megastore, où le point de vente Promovacances est installé, nous pouvons toucher des gens qui ne seraient jamais allés voir le site. Ils peuvent consulter les offres sur des ordinateurs, passer sur place leurs commandes en ligne, ou, s''ils préfèrent, acheter un voyage auprès de l''un des quatre vendeurs présents. C''est un tel succès que nous avons dû mettre en place un système de file d''attente avec des tickets ! Cela nous confère une image de marque et rassure nos clients, qui voient que nous existons “réellement”. »

Témoignage Nicolas Krabal, gérant et fondateur de Wine & Bubbles, site de vente en ligne de vins et magasin à Paris « La boutique permet de conquérir de nouveaux clients, que nous fidélisons ensuite grâce au Web. » « Le site est une vitrine pour la boutique, et la boutique, une vitrine pour le site. Il est évident qu''il existe de grandes synergies entre ces deux modes de distribution. D''ailleurs, nous essayons de jouer à fond sur cette complémentarité. Par exemple, nous réservons des dégustations de vin à nos internautes. Pour l''inauguration du magasin, les clients Internet bénéficiaient de 10 % de réduction s''ils venaient dans nos locaux. À l''inverse, nous nous sommes rendus compte que certains clients de la boutique avaient commandé quelque temps après sur le Net parce qu''ils avaient pu goûter le vin. Pour nous, il est d''autant plus important d''avoir ce point de vente que le vin est un produit que l''on apprécie de goûter avant d’acheter. Ce n''est pas du tout comme de commander en ligne un CD ou un livre. Mais nous n''envisageons pas d''abandonner notre site, qui reste un élément clé de notre stratégie. »

Les synergies “click and motar” Les opérations mutualisées entre les pôles on et off line sont : _ Les achats, à 88 % _ La comptabilité, à 82 % _ La logistique et la gestion des stocks, à 71 % _ La hot line et le service après-vente, à 65 % _ Les moyens informatiques, à 59 % _ Les ressources humaines, à 53 % _ Le commercial, à 47 % _ Le marketing, à 47 % Source : étude de juin 2001du Benchmark Group auprès des sites marchands français.

Les différentes formes de click and mortar 1. Ouvrir un magasin à son nom. • Exemples : Wine & Bubbles ou Conrad, spécialisé en informatique. • Avantage : cela permet de jouer sur les synergies avec le site. • Inconvénient : l''investissement, lourd de plusieurs millions de francs. 2. Ouvrir un point de vente dans un grand magasin. • Exemples : Promovacances au Virgin Megastore, ou Alafolie aux Galeries Lafayette. • Avantage : bénéficier d''une image de marque et d''un fort trafic à moindre coût. • Inconvénient : une présence diluée dans un ensemble. 3. S''adosser à un réseau physique. • Exemples : Pixmania, avec les Laboratoires Parisiens, et Alapage, avec Extrapole. • Avantages : une présence dans le commerce réel basée sur le simple partenariat. • Inconvénient : ce n''est qu''une affiliation poussée, qui n''offre pas toujours une visibilité maximale.

 
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Frédéric Thibaud

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