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Scope 3 & data : enjeux de gouvernance

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Scope 3 & data : enjeux de gouvernance

La décarbonation du scope 3 engendre des milliers de données fournisseurs à traiter. Comment les directions achats qui sont en première ligne, gèrent-elles la gouvernance de la data du scope 3 et vers quels modèles se tournent-elles ?

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« Historiquement nos premiers interlocuteurs sont les CPO, mais depuis 5 ans nous voyons arriver de plus en plus de directions de la conformité et juridiques qui s'intéressent à ces questions, car elles se rendent compte du poids du scope 3 dans les émissions carbone de l'entreprise. Et souvent, c'est la direction de la conformité qui coordonne ces données carbone », explique Sophie Bertreau, VP carbon, IQ+Vitals et nouveaux produits chez EcoVadis, plateforme d'échange de données carbone. Tout n'est pas blanc ou noir. Entre les deux, se situe une zone grise. Il en est de même avec la data gouvernance qui est au coeur des réflexions des entreprises et ne fait pas encore consensus. Ainsi, à la question de qui a la maitrise et /ou la propriété des milliers de data qu'engendre la décarbonation du scope 3 : la RSE, des achats, de la DSI ou encore la DG, les réponses oscillent entre différents modèles de data gouvernance. En somme, doit-on mettre en place une fonction chargée de la collecte des données centralisée avec des relais dans les BU opérationnelles ou bien un modèle décentralisé dans lequel les métiers sont garants de la donnée structurée ? Pour les experts du cabinet conseil en data DataValue Consulting, branche de Mazars dans un livre blanc « gouvernance des données : organisation et stratégie à adopter en 2023 » comme pour Filipe Torregrosa, associé KPMG en France, responsable du pôle Performance des opérations (Achats, supply chain, manufacturing), la vérité « réside certainement dans un modèle hybride avec un arbitrage qui doit se faire au niveau de la direction générale ». Un arbitrage qui dépendra de la taille, du secteur et de la culture d'entreprise, mais aussi de la sensibilité, du volume et de l'aspect stratégique des données liées aux opérations, ....

Data gouvernance : un chantier en réflexion

Pour Vincent Lorich, VP Climate chez Traace, plateforme SaaS de décarbonation, « La distribution des rôles est un élément essentiel. Il s'agit de trouver le maître des clés. Celui ou celle qui pilotera et centralisera la collecte de données auprès de l'ensemble des contributeurs et aura une vision exhaustive de l'état de la collecte à l'instant T » tout en prévenant que la personne en charge du projet n'est pas « omnisciente ». Celle-ci devra donc identifier les bons interlocuteurs dans chaque service et/ou site capables de lui remonter les informations afin d'éviter « d'entrer dans une chaîne de délégation, qui diluera de facto la responsabilité de chaque acteur, et aura forcément un impact sur la quantité et la qualité des données récoltées ». Une réponse toute faite à la data gouvernance ne semble pas s'imposer avec l'arrivée massive de data scientists au sein des opérations pour accompagner la collecte et l'analyse de la data. Car si ces postes sont intéressants pour mieux interpréter les données fournisseurs et l'analyser, « la limite de l'exercice réside dans le fait de trouver les bonnes compétences qui sont souvent très recherchées », estime l'associé KPMG. Et la DSI, qui a un rôle majeur dans la gestion de la data car elle porte les infrastructures globales tente elle-même de redéfinir sa place. Et « Même si cela la remet au centre du sujet, son rôle n'est pas forcément décisionnel. Bien que la DSI ait la propriété du réceptacle des données, les opérations en ont la gestion», explique Filipe Torregrosa. Néanmoins, des certitudes s'imposent le fait que « sur le scope 3, la propriété de la donnée fournisseur revient aux fournisseurs. Il en va de leur responsabilité en raison du côté déclaratif des émissions », selon l'expert KPMG.

« Ne pas faire de la data, sa propriété »

Le scope 3 des émissions de GES (dont font partie les achats) représente en moyenne 75% du bilan carbone d'une entreprise selon les chiffres de l'Ademe. Les achats gèrent donc des milliers de données relatives à leur supplychain qui impacte très fortement la stratégie de l'entreprise. Mais, à l'image des autres entités opérationnelles, les achats semblent gérer dans leur coin ces données avant de les intégrer à la stratégie globale de décarbonation de l'entreprise. D'autres comme le groupe Bel travaillent à intégrer directement la data carbone dans leur système d'information, pour pouvoir sortir un rapport CO2 directement de leur ERP, selon le site Republik-supply.fr. Du côté de la SNCF, dont les achats représentent à eux seuls 4 milliards de tonnes de CO2 par an sur les 4,7 milliards de tonnes de CO2 émis par an par la SNCF, la direction achats de la SNCF s'est emparé du sujet de la décarbonation du scope 3 de ses 38 000 fournisseurs (actifs) dès fin 2021 avec pour objectif de faire du bilan carbone un critère de notation dans ses appels d'offres. En ce qui concerne la gouvernance de la data dans la stratégie de décarbonation du scope 3, pour Pascal Decary, Directeur des Achats & de l'Economie Circulaire du Groupe SNCF, « la mécanique est systémique. Il faut embarquer tous les acteurs externes comme internes et partager les données. Ainsi, concernant les fournisseurs, leur bilan carbone est mon bilan carbone ! Il faut éviter toute approche faisant de la data sa propriété mais au contraire travailler de façon ouverte sur le sujet ». La direction des achats s'est donc mise en quête d'une solution technologique capable de collecter, veiller et contrôler des données de qualité afin de le rendre auditables en raison de son statut soumis au code de la commande publique. « Notre statut nous impose de rendre compte de données fiables et consultables mais c'est également essentiel afin d'éviter tout litige avec de potentiels fournisseurs », complète Pascal Decary, Directeur des Achats & de l'Economie Circulaire du Groupe SNCF. Sans compter que la fiabilité de ces données peut conduire « à court ou moyen terme à avoir accès à des financements dans le cadre de la transition écologique ». La direction achats a retenu la start-up Sweep pour l'accompagner à la suite d'un appel d'offres. « Nous voulions un outil capable collecter la donnée de façon fiable grâce à une couche d'IA et de connexion avec des bases de données qualitatives mais aussi de la piloter », détaille Pascal Decary. Une fois, les données déposées par le fournisseur, l'outil lui propose une feuille de route pour l'aider à diminuer ses émissions de carbone. Le choix d'un outil technologique vient aussi du fait que les acheteurs ont « certes une connaissance de ce qu'est un bilan carbone et/ou un bilan GES » mais ne sont pas rompus à la data à l'image des data scientists. Les acheteurs collectent les données des familles d'achats auprès des fournisseurs selon un process bien rôdé. Cap Gemini a été retenu comme intégrateur de la solution Sweep. Le pilotage est assuré par une équipe achat et IT. Et une équipe carbone a par ailleurs été mise en place au sein de la direction achats pour organiser et collecter les données selon le process établi. « Ce projet carbone est une déclinaison de la politique développement durable du groupe, c'est pourquoi nous avons collaboré avec la direction RSE du groupe bien en amont du lancement de l'appel d'offres », souligne le directeur achats. A date, l'outil est encore en phase de test sur 6 appels d'offres et les premiers résultats devraient arriver d'ici la fin du premier semestre 2024. A terme, la solution de Sweep devrait adresser également les scopes 1 et 2. Et la direction finance devrait emboîter le pas, contrainte par le reporting extra-financier et la directive CSRD. Côté fournisseurs, cela fait grincer des dents, car la majorité ne sont pas encore prêts à collecter toutes ces données carbone ou pas encore outillés pour. A cet effet, la SNCF est accompagnée par la BPI pour proposer aux fournisseurs 5 modules de formation gratuits ou moyennant une légère contribution sur le sujet des émissions carbone.

Des garde-fous pour l'accès aux données

Du côté des éditeurs, la question des données est également essentielle. Ainsi, EcoVadis, propose une plateforme qui permet l'échange de données carbones entre entreprises et fournisseurs à différents niveaux de granularité. Aujourd'hui, 50 000 entreprises ont été évaluées sur la maturité carbone et près de 26 000 entreprises partagent leurs données sur la plateforme EcoVadis. Si la mutualisation des données fournisseurs peut permettre à des grands comptes d'un même secteur d'avoir déjà 10 à 40% de leurs fournisseurs stratégiques déjà évalués et engagés sur la plateforme, les entreprises clientes jugent de la pertinence de partager leurs données auprès de leurs clients. « Pour encourager les fournisseurs à partager leurs données, nous leur proposons des benchmark ce qui permet aux entreprises de savoir où elles se situent par rapport à leur secteur », souligne Sophie Bertreau, VP carbon, IQ+Vitals et nouveaux produits. Sans compter qu'au sein d'une entreprise, la plateforme permet une gestion protégée des données, au moyen de rôles d'utilisateur définis et de liste de contrôle d'accès.

Des écosystèmes de données entre filières

Si se prémunir des dangers liés à la consultation des données à tout va nécessite la mise en place de garde-fous, avec l'arrivée du futur passeport numérique (ou DPP pour digital passport product) à l'échelle de l'union européenne dès 2026, le libre accès aux données est un pré-requis indispensable. « Au-delà de règles communes, il faut des écosystèmes de données partagées », confirme Natacha Tréhan, Maître de Conférences à l'Université Grenoble Alpes et chercheur au Centre de Recherche le CERAG à l'occasion d'une table-ronde du CNA sur la décarbonation des achats. Pour cela, il faut raisonner en termes de filières. Notons cependant, que le sujet du partage en accès libre des données n'est pas nouveau au sein des filières et était destiné dans un premier temps à favoriser l'innovation. Ainsi, certaines filières n'ont pas attendu la réglementation pour se mettre en ordre de marche. Dans le secteur automobile et de la chimie, les directions achats de différentes entreprises travaillent déjà depuis de nombreuses années en étroite collaboration pour définir aujourd'hui des standards communs pour des achats plus responsables avec une empreinte carbone moindre. Dans le secteur des batteries automobiles, la Global battery alliance (GBA) qui rassemble plus de 150 entreprises ou encore Together for Sustainability (TfS), fondée en 2011 dans le secteur de la chimie par des grands noms industriels (BASF, Bayer, Evonik, Henkel, Lanxess et Solvay) et qui compte aujourd'hui 47 membres en sont de parfaits modèles. De même, Catena-X, plate-forme dédiée à l'industrie automobile et née à l'initiative du gouvernement allemand et soutenu par des industriels comme BMW, Mercedes Benz, Robert Bosch, Siemens, Volkswagen, and ZF compte aujourd'hui plus de 130 entreprises à l'international. En novembre 2022, l'association CATENA-X, la Plateforme automobile (PFA) et le Groupement pour l'Amélioration de l'Industrie Automobile (GALIA) ont lancé la création du hub Catena-X pour l'industrie française avec pour objectif de « construire un échange de données collaboratif à l'échelle de l'industrie dans toute la chaîne de valeur mondiale de l'automobile ».

Souveraineté des données

Sur le papier ces créations d'écosystèmes de données intra-filières séduit, mais derrière se profilent des questions de gouvernance et de souveraineté de la donnée autant que de cybercriminalité, de propriété intellectuelle ou de secrets industriels. Selon le chercheur de l'EIPM, Hervé Legenvre, Catena-X est très vigilante sur la souveraineté des données. Les entreprises gardent le contrôle de leurs données et aucune information n'est envoyée sur un serveur central. Le partage des données est soumis à des conditions très strictes (via des contrats notamment) et chaque entreprise est libre de choisir comment, à qui et à quelle fréquence elle souhaite partager ses données. De même, au sein de l'alliance TfS, les données peuvent être anonymisées. Selon lui, « Le partage de données entre grandes entreprises ne devrait pas être un sujet, car la réglementation européenne finira par l'imposer si les acteurs industriels ne se mettent pas d'accord entre eux ».

La peur d'une perte de compétitivité

Cette transparence des données peut aussi engendrer la peur d'une perte de la compétitivité. Car, si les données des produits sont amenées à être consultables par chacun, que restera-t-il des secrets industriels ? « Pour faire le parallèle avec cette supposée perte de compétitivité, je prends souvent l'image de la recette et des ingrédients. Si on connaît l'ensemble des ingrédients, peut-on reproduire une recette ? Non, car beaucoup d'autres paramètres rentrent en jeu dans la fabrication d'un produit, comme les techniques industrielles ou encore la configuration du site de production », détaille Hervé Legenvre. Les secrets industriels ne seront pas dévoilés, poursuit-il. Il suffit de ne pas donner tous les détails, juste ceux nécessaires aux enjeux environnementaux suffisent ... de ne pas corréler les données entre elles afin d'éviter tout recoupement et de préserver au minima les secrets de fabrication et les stratégies industrielles. » Ainsi, le 23 janvier dernier, 15 acteurs des cosmétiques français (Albéa, Chanel, Clarins, Cosfibel powered by GPA Global, Dior, The Estée Lauder Companies, Groupe Pochet, L'Occitane en Provence, L'Oréal Groupe, Merck, Neyret, Nuxe, Sensient, Shiseido et Sisley) se sont regroupés pour créer le consortium Trasce (pour TRaceability Alliance for Sustainable CosmEtics) dans le but d'améliorer la traçabilité des chaînes d'approvisionnement des composants clés des formules et des emballages de la filière cosmétique. Les informations seront regroupées sur une plateforme unique Transparency-One qui doit garantir à chaque fournisseur la propriété, la sécurité et la confidentialité des données qu'ils partagent, qu'ils s'agissent d'ingrédients ou composants utilisés, d'origines, d'activités, de lieux de transformation ou encore de noms.

Le futur passeport numérique (DPP) : une empreinte carbone produit basé sur le cycle de vie

Hervé Legenvre, chercheur et directeur de la recherche à l'EIPM - MeoGroup (European Institute of purchasing management) est un fervent partisan de l'action dans la décarbonation. Il plaide en faveur du partage des données et du passeport numérique (ou DPP pour digital passport product) des produits à l'échelle européenne. « Il faut aller plus loin avec l'empreinte carbone par produit (ou « product carbon footprint ») basé sur l'analyse du cycle de vie normé des produits », explique-t-il. Le futur réside selon le chercheur dans le passeport digital produit (jumeau numérique du produit accessible par un QR code) qui permettrait de connaître directement les données sur le produit et sa provenance (exemple : avec des informations sur les conditions de travail lors de l'extraction des matières premières, l'impact carbone de chaque composant ou encore sur la réparabilité et la recyclabilité du produit). L'initiative du passeport numérique des produits fait partie du règlement sur l'écoconception des produits durables (ESPR) et constitue l'une des actions clés du plan d'action de l'UE pour l'économie circulaire (PAEC). Pour les premiers groupes de produits, le DPP devrait entrer en vigueur en 2026.

 
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