La gratuité, un levier de pricing à bien évaluer
Publié par Olga Stancevic le | Mis à jour le
Séduire les clients par des produits ou services « à l'oeil » a plusieurs vertus. Encore faut-il cadrer la démarche et éviter les écueils.
Un mois d'abonnement gratuit à la salle de sport, 20 % de gel douche en plus, un paquet de biscuits offert pour deux achetés... La gratuité est omniprésente dans les politiques marketing et de pricing des fournisseurs. Et ce, qu'il s'agisse de produits et services destinés aux particuliers, comme aux professionnels. Cette mécanique incitative à l'achat permet d'atteindre un grand nombre d'objectifs. Le premier d'entre eux : acquérir de nouveaux clients. « Comme l'échantillonnage, la gratuité permet de faire découvrir une offre, notamment une nouveauté, à un prospect, explique Véronique Hermann-Flory, consultante partner chez Cegos. Mais, seule la gratuité créé un effet d'aubaine dans l'esprit du consommateur. »
Dans les produits de grande consommation tels que l'alimentaire ou l'hygiène-beauté, Adrien Debacq, partner de la société de conseil spécialisée en pricing Simon Kucher & Associés, observe : « La gratuité permet de réactiver les ventes et d'encourager le consommateur à acheter plus ». Le fournisseur a alors deux possibilités : soit offrir un pourcentage de produit en plus (par exemple, 20 % de shampoing gratuit), soit offrir un produit dans un lot (par exemple 1 paquet de chips offert pour 2 achetés). « Dans le premier cas, la contrainte est qu'il faut adapter le conditionnement au format offrant la gratuité, ce qui peut se révéler complexe au plan de la logistique et de la gestion commerciale, précise Adrien Debacq. Dans l'autre cas, celui du 3 pour 2, l'industriel dédommage le distributeur de la valeur du produit que le consommateur obtient gratuitement. » Il est donc nécessaire de bien étudier l'impact des deux modèles, afin d'opter pour la solution garantissant le bon retour sur investissement.
Levier de négociation
Autres exemples de but poursuivi, en dehors de la grande distribution : la gratuité peut jouer le rôle de levier pour concrétiser une vente. « Plutôt que d'accorder une baisse de prix, le commercial peut offrir un service, par exemple une extension de garantie d'ordinaire payante, pour accélérer le closing », note Véronique Hermann-Flory. En BtoC, lors de l'achat d'une cuisine équipée, offrir un appareil électroménager peut permettre de clore la transaction en satisfaisant le client. Proposer une gratuité peut en outre servir à réveiller des clients « endormis », tels que d'anciens abonnés à un magazine, ou des clients professionnels dont le dernier achat date. Les opérateurs de téléphonie utilisent souvent cette technique pour retenir leurs clients sur le départ et/ou apaiser leur mécontentement. « Enfin, la gratuité est aussi une manière de remercier un bon client, ajoute Véronique Hermann-Flory. Cela s'apparente alors à un cadeau. »
Certains secteurs économiques pratiquent la gratuité de manière généralisée, c'est le cas des éditeurs informatiques. Jean-Michel Moutot, professeur à l'école de management Audencia, explique : « L'industrie du logiciel pratique la gratuité de longue date, cela s'appelle le freemium. À l'origine, les éditeurs ont basculé vers ce modèle car leurs investisseurs, les sociétés de capital-risque, réclamaient d'acquérir rapidement de nouveaux clients pour générer une croissance élevée et rapide. Deux modèles sont pratiqués : la gratuité permanente pour un périmètre de fonctions restreint, ou alors la gratuité limitée dans le temps avec toutes les fonctionnalités accessibles. »
Préserver l'image
Malgré ses avantages, la gratuité nécessite donc d'être cadrée et connaît des limites au plan marketing, réglementaire (voir notre encadré) et bien sûr, financier. Au plan marketing, la gratuité peut brouiller la lisibilité de l'offre, donner l'impression aux clients que celle-ci n'a pas grande valeur. Il y a donc un risque d'écorner l'image de l'entreprise. « Plus la marque est premium, plus le risque est élevé, constate Adrien Debacq. C'est la raison pour laquelle on voit peu de promotions dans le luxe ».
Dans les biens de consommation faciles à stocker, non périssables, la gratuité peut cannibaliser l'achat de l'offre classique (par exemple, pour des packs de bouteilles d'eau). En BtoB et dans les offres de services informatiques, l'effet d'aubaine peut tourner court : « Il y a un risque de recrutement de nouveaux clients non qualifiés, venus uniquement pour la gratuité, souligne Jean-Marc Moutot. D'où la nécessité d'organiser un suivi très fin des utilisateurs et de les activer ».
Enfin au plan financier, les entreprises proposant de la gratuité doivent avoir les « reins solides », surtout si la gratuité s'éternise. « Un certain nombre d'acteurs de l'informatique déporte le revenu généré à plus tard, constate M.Moutot. C'est le cas par exemple, de l'éditeur de logiciels qui garde un utilisateur gratuit pendant 2 ans, avant de convertir ce dernier au payant. »
Analyser les ratios
Pour orchestrer au mieux leur pricing, les industriels recourent à des indicateurs, tels que le coût moyen d'acquisition d'un client. Celui-ci est d'autant plus élevé que l'on offre des services et de la gratuité. « Il faut également prendre en compte la « customer lifetime value » ou « valeur vie du client », indique Jean-Michel Moutot. Il s'agit de l'estimation du revenu généré avec un client tout au long de sa relation commerciale avec l'entreprise. Par conséquent, dans le jargon des investisseurs : CLV (customer lifetime value) / CAC (coût d'acquisition du client) = un ratio qui indique si les dépenses pour acquérir des clients sont cohérentes avec le revenu généré par ces nouveaux clients. L'analyse de la data et des ratios aboutit à une pratique sélective de la gratuité, qui peut ensuite être réservée à certains profils de clients uniquement, ou appliquée à certains produits à valeur ajoutée, à un secteur géographique, ou pour un temps délimité.
Seuils de revente et promotions : que dit la loi ?
Depuis 2018 et l'adoption de la première loi Egalim qui relevait le seuil de revente à perte sur les produits alimentaires de 10 % (coût d'achat par le distributeur + 10%) et encadrait et limitait les promotions, la législation n'a cessé de s'étoffer. La loi Egalim III du 30 mars 2023 a élargi l'encadrement des promotions à tous les produits de grande consommation, dont la droguerie, parfumerie, hygiène (DPH). Dernier texte en date : la loi du 14 avril 2025 prolonge le seuil de revente à perte et l'étend aux produits à marque distributeur (MDD), elle prolonge également l'encadrement des promotions, tout ceci jusqu'au 15 avril 2028. Par conséquent, sur les produits alimentaires, la promotion est limitée à 34 % de la valeur des produits (ce qui autorise à pratiquer le « 3 pour 2 » car l'on se situe alors sous la barre de 34 %) et à 25 % en volume. Sur les produits DPH, un nouveau plafond promotionnel de 40 % est fixé.