IA et organisations commerciales, entre contraintes et atouts
Publié par Christina Diego le - mis à jour à
Certes, l'intelligence artificielle est pleine de promesse pour les forces de vente. Mais jusqu'à quel point aujourd'hui ? Demain ? Et surtout, suivant quelles règles, qu'elles soient légales ou internes ? Les intervenants ont livré leurs bonnes pratiques et conseils en la matière lors de l'atelier IA et transformation des équipes commerciales du Club Action Co en avril dernier.
Piloter un portefeuille clients avec des outils IA intégrés et suivre le travail des commerciaux demandent de la part du manager de revoir les pratiques en interne. La question de la possibilité ou pas d'enregistrer les échanges professionnels entre les clients et le commercial, qu'ils soient écrits ou oraux, soulève à la fois des enjeux techniques, réglementaires et d'acceptabilité. Les courriels, perçus comme des outils de communication banalisés, sont depuis longtemps sujets à traçabilité, archivage et analyse par les services informatiques.
À l'inverse, la voix et les canaux plus « privés » comme les appels téléphoniques suscitent davantage de réticences. « Le niveau d'acceptation varie selon les profils et dépend fortement de la manière dont le bénéfice est présenté. Une solution technique peut laisser le choix à l'utilisateur ou à l'entreprise d'activer ou non l'enregistrement, ce qui oriente alors la politique de déploiement », explique Bruno Moshirifar, directeur avant-vente et leads solutions chez Ringover.
Conversations enregistrées et tracées, pour quelles pratiques ?
Sur le plan juridique, la réglementation impose des obligations claires, notamment en matière de consentement. Lors d'un appel sortant, le consentement explicite du client doit être recueilli si l'appel est enregistré. En appel entrant, le dispositif est facilité par un message d'information préalable, laissant à l'interlocuteur la possibilité de refuser. « Toutefois, dans la pratique, notamment dans les contextes commerciaux, cette exigence de consentement en amont est souvent perçue comme un frein à la relation client, et donc rarement appliquée de manière rigoureuse. Cela souligne la nécessité d'un équilibre subtil entre conformité, transparence et efficacité opérationnelle », estime Bruno Moshirifar.
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Pour Sandrine Slonina, alors directrice commerciale chez Vinci Facilities au moment de l'atelier, il est impensable de mettre en place ce genre de pratiques dans son secteur, alors que pour Sylvain Jauze, directeur commercial de Cegid, les enregistrements des conversations commerciaux et clients s'avèrent très utiles. « L'automatisation de la remontée et de l'analyse des échanges commerciaux permet de fiabiliser les données et d'éviter les écarts entre les discours des équipes et la réalité du CRM. Chaque interaction alimente directement les outils de pilotage, notamment les systèmes de scoring comme la méthode MEDDIC, garantissant une évaluation plus objective des opportunités », décrit-il. Une approche qui facilite le dialogue managérial « en identifiant les axes d'amélioration concrets, sans remettre en cause la légitimité du collaborateur, mais en s'appuyant sur des données tangibles », assure Sylvain Jauze.
Chez Ringover France, chaque conversation, quel que soit le canal, fait l'objet d'une analyse systématique, notamment pour identifier les prochaines étapes convenues avec le client. « Ces engagements sont rappelés lors des échanges suivants, permettant au commercial de vérifier sa conformité avec les actions prévues, et au manager de contrôler la rigueur d'exécution par rapport aux engagements pris », ajoute Bruno Moshirifar.
Chez Cegid, Sylvain Jauze en déduit une véritable valeur ajoutée pour le commercial. Celui-ci accède immédiatement « à une information claire, actualisée et contextualisée, ce qui permet de savoir où en est la relation client et quelles sont les prochaines étapes ». Sur des comptes stratégiques, où la crédibilité repose en partie sur une maîtrise fine du dossier, cette capacité à retrouver rapidement l'historique des échanges et à s'y préparer efficacement est essentielle. « Grâce à des outils d'IA interne comme Blue, le commercial peut synthétiser en un instant les négociations passées, se remémorer les éléments clés, et ainsi aborder ses rendez-vous avec une vision consolidée et fiable », détaille-t-il.
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Pour Stéphane Sawicki, directeur production de la Division Digital Printing & Solutions (DP&S) chez Canon France, ce sujet illustre de manière concrète les gains d'efficacité apportés aux équipes commerciales, notamment en termes de gain de temps et de fluidité dans la préparation des rendez-vous. « Il permet également de rappeler que la performance repose d'abord sur la qualité de la donnée collectée. Ce levier technologique incite à une meilleure utilisation du CRM, à un questionnement plus structuré, et à une amélioration globale de la fiabilité et de la pertinence des informations renseignées », précise-t-il.
Vladimir Stanisic, directeur commercial de Forum du Bâtiment, insiste quant à lui sur l'intérêt de la capacité à générer automatiquement des comptes rendus à partir de l'écoute directe des conversations, sans que l'utilisateur ait besoin de dicter quoi que ce soit. « Contrairement aux fonctionnalités vocales classiques, qui se contentent de retranscrire la parole dictée, ce système analyse l'échange en temps réel et en produit une synthèse structurée. Cela représente un gain de confort et de précision considérable pour l'utilisateur ».
Un changement de culture
Sylvain Jauze soulève un autre point important : embarquer les équipes en interne. « Après, si les gens ne sont pas convaincus, s'ils ne se mettent pas à l'utiliser, s'ils ne voient pas l'intérêt, tu n'y arriveras pas. Le changement des usages est très important ». Le message doit être clair, « si le mouvement est enclenché, il convient d'avancer et ceux qui sauront tirer parti de l'intelligence artificielle et s'adapter rapidement seront les mieux positionnés pour réussir », souligne-t-il
Sandrine Slonina partage l'idée qu'il est inévitable de s'engager dans cette transformation, même si le niveau de maturité varie fortement selon les secteurs d'activité. « Certaines structures fonctionnent encore de manière très cloisonnée, à tel point que certains réseaux ne disposent pas même d'un CRM. Cette résistance au changement se manifeste parfois par une crainte de perdre la maîtrise de leurs données, illustrant à quel point l'évolution culturelle est profonde ». Pour elle, l'enjeu principal consiste à optimiser les processus métiers, notamment en facilitant les opérations comme le chiffrage via le CRM ou la génération de livrables pour se recentrer sur des actions à plus forte valeur ajoutée, telles que la stratégie commerciale et la personnalisation. « Un effort particulier doit être porté sur l'évolution des environnements technologiques (softstacks), avec une orientation vers l'exploitation des données qui s'inscrivent comme un axe de développement stratégique incontournable », évoque-t-elle.Bas du formulaire
La data, essentielle à toute transformation
La volonté d'évoluer et de saisir les opportunités offertes par les outils IA et la data est bien présente, mais la principale contrainte pour les équipes commerciales réside dans les ressources nécessaires à leur mise en oeuvre. « Les décisions s'inscrivent dans une dynamique collective et organisationnelle. Si les ambitions sont claires, la véritable difficulté est d'intégrer ces initiatives dans un agenda déjà contraint, tout en tenant compte des urgences et des priorités opérationnelles », ajoute Vladimir Stanisic (Forum du Bâtiment).
Sylvain Jauze (Cegid) insiste sur ce qui fait, à son sens, la réussite d'un projet. « Tout d'abord, l'implication d'un sponsor de haut niveau, idéalement le CEO, est primordial. C'est à lui d'insuffler la vision et d'en porter le sens stratégique, car sans cet engagement initial, les résistances opérationnelles prendront rapidement le dessus ». En parallèle, il est essentiel de garder une approche pragmatique indique-t-il « tester, mais aussi savoir renoncer rapidement si les initiatives n'apportent pas de résultats mesurables (KPI, ROI). Il ne s'agit pas d'empiler les dispositifs, mais de conserver une exigence d'efficacité ».
La donnée, et son exploitation commerciale, reste donc centrale. Elle constitue une véritable mine d'informations capable de générer des gains significatifs en temps, en efficacité et en productivité. « Cela permettrait aux équipes commerciales de recentrer leur valeur ajoutée sur des tâches à plus forte utilité, en délaissant celles à moindre impact », conclut Bruno Moshirifar (Ringover France).
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