Sarah Salem (Acolad) : « Ce qui me donne la hargne, ce sont les échecs »
Publié par Aude David le - mis à jour à
Rien ne prédestinait Sarah Salem à devenir directrice commerciale. Pourtant, sa curiosité, son goût des relations humaines et sa combattivité l'ont conduite à la tête du business development d'Acolad Group, groupe de traduction BtoB. Et elle ne compte pas s'arrêter en si bon chemin, conjuguant quête de reconnaissance et transmission. Portrait.
Se battre pour atteindre ses objectifs, cela a toujours été la vie de Sarah Salem. Née en 1993 en Île-de-France, d'une mère ouvrière tunisienne et d'un père kurde irakien, réfugié politique devenu traducteur, elle connaît un début de vie « plutôt confortable ». Mais à douze ans, sa vie bascule : le départ de son père en Irak les plonge avec son frère et sa mère dans une grande précarité. Ils vivent trois mois dans une cave aménagée, puis deux ans ballottés d'un hôtel social à l'autre, avant de se reloger de façon pérenne.
Elle voit sa mère « se sacrifier pour qu'on ne manque de rien. Et on n'a manqué de rien. Mais c'était toujours sur le fil ». Elle en tire l'ambition de gravir l'ascenseur social, pour se retrouver à l'abri des difficultés. Pour cela, « Je me suis rattachée à deux voies : l'école et le sport - le basket ». Élève « avec des facilités mais pas brillante » selon elle, l'école devient « comme une deuxième maison, où je me sentais protégée ».
« Je comprends aussi à ce moment-là que je ne pars pas sur la même ligne de départ que les autres. Que je pars avec plusieurs balles dans le pied et que je vais devoir fournir beaucoup plus d'efforts que les autres ». Malgré des discriminations liées à son genre, ses origines, son « physique atypique » - il est vrai qu'en entretien, sa taille impressionne - elle ne se plaint jamais, et commence à travailler très tôt. Dès quinze ans, elle enchaîne vente en boutique, restauration, collecte de fonds pour des associations, parfois loin de chez elle. La collecte, notamment, lui donne des fondamentaux commerciaux : « aller vers des inconnus, pitcher, c'est un vrai boulot de commercial ».
Son goût pour les sciences humaines la conduit d'abord dans un cursus de sciences politiques. Si cela lui plaît, elle ne voit pas comment ses études, qu'elle doit mener de front avec un emploi, lui apporteront une stabilité financière. Pour autant, « hors de question d'abandonner l'école. J'avais compris la nécessité d'un bagage scolaire pour accéder à la classe sociale que je visais ».
Elle se retrouve à faire de la prospection téléphonique pour une société d'énergies renouvelables. « Je me suis donnée à 1000 %. J'étais celle qui ramenait le plus de contacts ». Elle s'inscrit à un BTS en alternance, en négociation commerciale. Malgré une promesse d'embauche dans une agence immobilière où travaille une amie, les patrons décident sans raison de confier le poste à une autre étudiante. À force d'insistance de son amie, les deux sont recrutées. « J'ai envie de leur montrer qu'ils ont fait le bon choix, par mes actes, ma détermination, mon omniprésence ». Elle y reste trois ans, passant responsable de l'agence lors de sa licence en alternance en management des activités commerciales.
Intelligence émotionnelle et relationnelle
Elle se découvre une vocation. « Je me suis rendu compte que j'adore parler, et aussi écouter les autres, apprendre d'eux. Je suis d'ailleurs souvent attirée par les personnes que peu de gens voient, timides, réservées, qui peuvent paraître froides. Au lycée, j'allais voir les gens qui ne me ressemblaient pas : les skateurs, les gothiques, je voulais comprendre comment ils fonctionnaient. D'autant que moi aussi j'étais intéressée par le rock, le métal, Slipknot, Good Charlotte, Nirvana... ».
À cette « intelligence émotionnelle et relationnelle », indispensable selon elle dans ce métier, s'ajoute « un don pour capter l'attention des gens, je ne sais pas pourquoi ». Son alternance se passe extrêmement bien, elle remplit son objectif d'être major de promotion chaque année et n'a plus à jongler entre études et petit boulot.
À la fin de sa licence, l'agence immobilière veut la retenir. Mais elle sait ce qu'elle veut : un diplôme bac +5. Elle entre en Master d'ingénierie d'affaires chez Sup De V, toujours en alternance, et doit cette fois trouver une entreprise d'accueil en BtoB. Elle décroche un contrat dans une entreprise de services informatiques (une actuelle ESN), pour placer des consultants technologiques. Mais se retrouve dans des locaux vétustes, sans internet, avec un « dirigeant très tyrannique », le tout sans contrat, ni même paiement... Au bout de trois semaines, alors que son employeur nie désormais qu'elle a travaillé pour lui, elle saisit les prud'hommes et obtiendra gain de cause, sans avocat.
En parallèle, elle remue ciel et terre pour trouver une autre alternance. Elle entre finalement à Acolad Group, qui propose des solutions BtoB de traduction et linguistique. « Je suis hypermotivée pour le poste, j'ai baigné dans les langues avec mon père ». Account manager durant son alternance, elle devient ensuite business development manager dans le secteur de la finance, puis responsable d'équipe. Au bout de cinq ans, elle pense démissionner, pour voir autre chose. Acolad la retient, et lui offre le poste de directrice du business development en France.
Le résultat d'une grande abnégation. « Je me suis battue en me pliant aux exigences. J'ai toujours été très volontaire pour rester plus, pour faire plus. Aujourd'hui, j'arrive à une position qui me permet de dire non. Mais je me suis tue jusqu'à arriver où j'en suis. Ce qui m'a donné la hargne, ce sont les échecs. Cela a toujours été un combat ».
Sans cesse progresser et se fixer des objectifs
Elle assume avoir cherché une bonne situation sociale, pour ne pas revivre la précarité subie enfant. « L'argent a été un leitmotiv pour moi. La reconnaissance sociale a aussi été importante ». Son travail la conduit à fréquenter des clients « qui ont fait de grandes écoles. Un monde qui était pour moi complètement inaccessible », parfois loin de ses valeurs d'origine. Se définissant comme « capitaliste humaniste », sa stabilité financière, acquise en vendant des solutions à de grands groupes aux moyens élevés, lui permet d'aider son frère, sa mère, mais aussi des associations.
À 32 ans, elle gère 4,5 millions d'euros, pour un objectif de 6,8 millions de chiffre d'affaires. Aujourd'hui, Acolad fait face à l'arrivée de l'intelligence artificielle générative. La diversité de services linguistiques proposés est « ce qui a propulsé le groupe au premier rang européen, cinquième mondial. L'entreprise n'a pas mis tous ses oeufs dans le même panier. Donc, on se porte très bien. ». Mais elle doit bien sûr s'adapter et revoir certaines pratiques. « Là où il faut être vigilant, c'est que l'IA entraîne une baisse du panier moyen et des budgets des clients, car ils ne veulent plus payer autant. Heureusement, nous avons commencé à prendre ce tournant technologique ».
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Elle a toujours soif de progresser et se fixe des objectifs à chaque étape de sa vie. Son prochain : devenir directrice générale à 35 ans. À Acolad ou ailleurs. Alors, poussée par son entreprise, elle s'est formée à HEC en négociation d'affaires. Son goût de la transmission la conduit en parallèle depuis 2024 à donner des cours, à Sup de V, qui l'a formée. « C'est génial de pouvoir transmettre aux jeunes, de les sensibiliser à la posture, au fait de s'adapter à son interlocuteur, à tous les environnements sociaux ».
Selon elle, ses épreuves la légitiment aux yeux de ses commerciaux. « Ils savent que j'ai cravaché avant d'arriver à ce poste. Et cela favorise l'adhésion ». Son management d'une douzaine de business developers passe par un triptyque : reconnaissance, transparence, confiance - et donc autonomie. « Je valorise beaucoup l'effort. Une personne qui démontre son envie, même si elle n'atteint pas ses objectifs, je la félicite », mais dit aussi sans détour ce qui ne va pas.
« Mon secret, c'est aussi de mélanger le formel et l'informel » : il est possible de discuter à l'improviste avec elle, mais des moments formels répondent au besoin de reconnaissance des commerciaux. Et elle le verbalise. « Dès qu'il y a un devis, une réussite, une discussion, un rendez-vous important, je suis la première à féliciter. Le premier facteur de motivation, au quotidien, c'est la reconnaissance. ».