La fonction commerciale est-elle un ascenseur social ?
Les fonctions commerciales jouent-elles, plus que d'autres métiers, un rôle social en permettant à des personnes de milieux modestes d'améliorer leur condition ? Une conférence organisée jeudi 14 novembre par les DCF a permis de débattre de cette question.
Je m'abonneDevient-on commercial pour améliorer son statut social ? C'est la question soulevée lors d'une conférence organisée par les Dirigeants commerciaux de France (DCF) à la CCI de Paris dans le cadre de leur événement annuel C-Day, dédié à mettre en valeur la fonction commerciale, qui s'est tenu jeudi 14 novembre 2024.
Durant cette conférence, deux responsables commerciaux ont raconté comment entrer dans le monde des ventes les a fait changer d'univers. Sarah Salem, d'origine irakienne, venant d'un milieu précaire, explique s'être accrochée aux études. Après une école de commerce en alternance, elle a progressé dans la fonction commerciale, jusqu'à se retrouver directrice du développement du business de la société de traduction profesionnelle Acolad Group, présente dans 23 pays avec 2500 salariés. « Les qualités commerciales intrinsèques, la proactivité, la résilience, la combattivité, m'ont permis de gravir les échelons », assure-t-elle.
Stéphane Da Mota, lui, est d'origine portugaise, et a grandi en Seine-Saint-Denis, où il a commencé ses études supérieures avant de rejoindre une école de commerce. Il y a « découvert d'autres personnes et d'autres milieux ». Engagé comme commercial chez Cegid, spécialisé dans les solutions de gestion cloud, il est confronté à des milieux sociaux qui lui étaient inconnus jusqu'alors. Il raconte notamment le choc des cultures, la première fois qu'un collègue l'a invité dans son chalet à Courchevel. Fort de ses expériences commerciales, Stéphane Da Mota a co-fondé en 2022 Enso RSE, plateforme RSE dédiée aux experts-comptables.
Selon les intervenants, la fonction commerciale est l'une des plus diversifiées - 35% de ses cadres sont issus de milieux modestes contre 25% ailleurs selon l'Insee -, relaient les DCF. Outre l'origine sociale, géographique, ethnique, elle attire également des parcours professionnels très différents. Richard Jolivet, diplômé en chimie, a pourtant entrepris une carrière commerciale, d'abord chez Décathlon, puis Celio, pour arriver chez Naturalia il y a six ans, dont il est devenu directeur général en 2023. Il explique que l'enseigne, qui compte 1400 salariés sur 228 magasins, attire des profils très différents : un professeur de maths devenu responsable du merchandising, un ingénieur en mécanique des fluides devenu responsable de magasin.
La diversité s'étend-elle jusqu'à l'âge ? Les profils seniors nécessitent un certain budget, reconnait Stéphane Da Mota, mais il se souvient que chez Cegid, suite à une intégration de l'intelligence artificielle dans les pratiques commerciales, il n'a pas observé plus de départs chez les commerciaux les plus anciens. « Quand ils gardent le même mindset que quand ils étaient jeunes, ils restent, et sont encore plus percutants ». Sarah Salem affirme compter essentiellement des profils plus seniors dans son équipe : « Le marché se rétracte, est de plus en plus rude, compétitif, donc on a besoin de seniors qui ont exploré tous les rouages », justifie-t-elle.
Un recrutement sur les soft skills qui fait la différence ?
Selon les intervenants, cette diversité vient d'un recrutement essentiellement basé sur les soft skills. « On regarde très peu le background scolaire et professionnel, mais plutôt la hargne, la soif de réussir », assure Sarah Salem, qui a remarqué que, souvent, « les meilleurs commerciaux sont ceux qui ont un passé dans l'associatif, le sport, le militantisme, qui apportent toutes ces qualités ». Elle estime aussi que le métier nécessite « beaucoup de curiosité. L'écoute active, c'est 80% de la vente ». Elle scrute aussi la capacité du candidat à faire de la veille sur l'entreprise.
Pour Stéphane Da Mota, « quand l'année commerciale commence, nous sommes tous au même niveau. Ce qui fait la différence, c'est la soif de vaincre, c'est un nivellement par le haut ». Richard Jolivet, lui, insiste sur le fait que « dans [les] métiers [commerciaux], l'amélioration continue est essentielle. Pour réussir il faut se remettre en question et tout le temps apprendre ».
L'organisation des DCF assure d'ailleurs que peu de commerciaux viennent d'école de commerce, affirmation confirmée par un sondage à main levée parmi les directeurs commerciaux présents dans l'assistance ce matin-là.
Certains font remarquer que la possibilité de gagner rapidement beaucoup d'argent est également une façon de sortir rapidement d'une condition modeste, et que le métier offre la possibilité de côtoyer des clients issus de catégories sociales supérieures dès lors qu'un certain niveau dans la hiérarchie commerciale est atteint. « La fonction commerciale m'ouvre les portes d'un monde autrefois inaccessible pour moi », témoigne ainsi Sarah Salem.
Le rôle indispensable des managers
Pour permettre cette ascension sociale, les intervenants insistent sur le rôle clé des managers. « Il faut donner confiance et faire confiance, assure Richard Jolivet. Je pousse les managers à donner à leurs collaborateurs de l'autonomie, des projets ».
La formation est aussi indispensable, comme en témoigne Cécile Robert, directrice des ressources humaines de La Banque Postale Leasing & Factory, filiale de La Banque Postale. « Nous avons la volonté d'intégrer des collaborateurs qui n'ont pas de culture initiale bancaire et financière ». Les nouveaux venus bénéficient donc d'un parcours interne de formation et de développement. Les intervenants louent à ce titre les vertus de l'alternance, qui permet de se former à moindres frais tout en gagnant déjà un salaire. C'est donc une façon pour les étudiants d'origine modeste d'accéder aux études supérieures.
Formaliser sa volonté de diversité ou pas ?
Les entreprises doivent-elles opter pour des indicateurs sur la diversité de leurs recrutements ? Stéphane Da Mota assure que des KPI chiffrés n'ont d'intérêt que pour les grands groupes. « Si la photo d'équipe ne présente pas que des hommes blancs de 25 ans et d'1,8m, c'est bon signe », estime-t-il. Même si Cécile Robert estime quant à elle qu'il faut se fixer des objectifs clairs pour progresser sur le sujet. « Cela ne veut pas dire faire de la discrimination positive, mais être vigilant ». Pour elle, le vrai travail « c'est de sensibiliser le comité de direction et la ligne de management sur la possibilité de recruter tous types de profils, d'horizons divers ».
Richard Jolivet fait remarquer que le bon mix, c'est la diversité : avoir à la fois des personnes de milieux modestes et plus privilégiés, des hommes et des femmes, des jeunes et des seniors, des profils d'écoles de commerce et d'autres en reconversion...
« Les recruteurs ont encore des efforts à faire pour arrêter de coller une étiquette en fonction du physique, de l'origine... Ayez de la curiosité, creusez », implore Sarah Salem. Stéphane Da Mota reconnait qu'il y a « encore des gens qui, en fonction du prénom, ne regardent pas le CV ». Il assure pourtant avoir recruté des commerciaux à l'accent étranger qui pouvait poser problème face à des clients, dont les premiers emails étaient laborieux, qui sont aujourd'hui responsables grands comptes.
« Bourdieu explique qu'il faut en moyenne six générations pour passer du statut d'ouvrier au statut de cadre... La fonction commerciale permet de le faire en une seule », conclut Sarah Salem .