IA et équipes commerciales, quels enjeux ?
Publié par C. D. le | Mis à jour le
Piloter les insights des forces de ventes et automatiser les tâches quotidiennes grâce aux outils IA, où en est le secteur ? Quels défis rencontrent les commerciaux face à l'intégration de l'IA dans leurs usages ? Ces sujets passionnants ont émergé lors des débats du Club Action Co, vendredi 11 avril, entre les décideurs commerciaux présents à l'Espace Châteauform' Monceau Velasquez de Paris 8e.
Selon une enquête Bpifrance Le Lab de 2024, les TPE et PME, qui constituent la majorité des entreprises françaises, sont encore peu nombreuses à utiliser l'IA : seuls 3 % des dirigeants en font un usage régulier et 12 % un usage occasionnel. Ces chiffres mettent en lumière l'écart qui existe encore aujourd'hui entre les promesses de l'intelligence artificielle et sa réelle appropriation sur le terrain par les équipes.
Un secteur encore à convaincre ?
« À titre personnel, je me situe encore dans ce que l'on pourrait appeler "l'âge de pierre" de l'IA. Les perspectives qu'elle promet- qu'il s'agisse d'analyse de données, de détection de leads, de coaching personnalisé ou encore d'applications en centre d'appels - suscitent un intérêt très fort. J'en perçois clairement le potentiel », analyse Pierre Hamard. En effet, le manager utilise essentiellement ChatGPT, « que j'emploie pour rédiger des comptes rendus, avec un niveau de satisfaction variable. Au-delà, je suis encore en phase d'observation et d'apprentissage, curieux et désireux d'en comprendre davantage », assure-t-il.
Chez Vinci Facilities, Sandrine Slonina, directrice commerciale, explique en être elle aussi au stade de la réflexion : « Il faut reconnaître que le CRM n'est pas pleinement déployé ni uniformément utilisé. Chacun travaille selon ses propres habitudes, ce qui rend difficile une harmonisation des pratiques commerciales. Nous sommes encore à des années-lumière d'un usage structuré et systématique des outils comme l'IA. »
Pour autant, sur le plan commercial, « les réponses aux appels d'offres de grande envergure - comme celles que nous avons récemment menées pour M6 ou que nous traitons actuellement pour Chanel - exigent des dossiers techniques particulièrement élaborés, avec un fort degré de personnalisation marketing », précise-t-elle. Dans cette optique, la directrice commerciale explique « explorer activement les possibilités offertes par l'IA pour structurer un cahier des charges capable de générer des propositions commerciales semi-automatisées. L'idée est de concevoir un socle de réponse représentant environ 70 % d'un mémoire type, que nous pourrions ensuite affiner selon le client et le projet, gagnant ainsi un temps précieux sans compromettre la qualité ni la pertinence de nos offres ».
Des défis humains et technos
Vladimir Stanizic, directeur commercial du Forum du Bâtiment, qui supervise environ 150 commerciaux et managers en France, évoque les limites du modèle commercial actuel qui est devenu daté voire archaïque dans son fonctionnement. « Il repose encore très largement sur la présence terrain et la prise de commande directe - une approche traditionnelle, mais historiquement efficace. Toutefois, face à la nécessité de transformation, la question se pose : comment réinventer ce modèle pour demain ? », s'interroge-t-il.
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Il y a un peu plus de deux ans, la décision est prise par le directeur d'implémenter un CRM en collaboration avec Divalto. « L'objectif était de répondre à nos contraintes opérationnelles spécifique en situation déconnectée, sur les chantiers, dans les caves, dans les zones rurales - là où nos commerciaux évoluent au quotidien ». Et cela fonctionne : « l'outil est fiable même hors réseau. Malgré cette réussite technique, les défis d'acceptation et d'usage au quotidien subsistent encore. Certaines fonctionnalités sont pourtant très intéressantes, telles que les comptes rendus dictés à Siri, mais leur adoption reste inégale », précise Vladimir Stanizic.
Aujourd'hui, le manager a besoin de connecter ces outils aux besoins métier, notamment en matière de coaching et d'accompagnement des commerciaux. « Le vrai enjeu est là : comment passer de la vision théorique à une application concrète pour nos équipes sur le terrain, quelle interface pour un commercial dans sa voiture, avec sa tablette, entre deux visites ? Peut-on imaginer une solution qui l'assiste, l'oriente, le conseille en temps réel ? », soulève-t-il.
L'IA dans les process, un défi de « mind set » ?
D'autres entreprises sont plus avancées sur le sujet. « Bien que notre investissement dans l'IA soit relativement récent - environ un an et demi à deux ans -, nous avons déjà atteint un certain niveau de maturité fonctionnelle », indique quant à lui Sylvain Jauze, directeur commercial chez Cegid. Le défi est de taille : avec plus de 500 000 clients, « nous sommes confrontés à un volume d'interactions considérable, et la réinvention de notre expérience client est une priorité ».
Le directeur commercial travaille depuis plusieurs mois à une refonte du métier commercial « en intégrant les apports concrets de l'intelligence artificielle. Nous avons d'ores et déjà lancé des pistes concrètes, même si l'intégration de l'IA dans les outils de vente reste complexe ». Pour y parvenir, il existe un véritable enjeu de coordination, car l'adhésion n'est pas automatique. « Ce n'est d'ailleurs pas une question d'âge ou de génération : c'est une question de posture, de mind set. Ceux qui y voient un levier d'efficacité s'en emparent, les autres demeurent en retrait. Toute la difficulté consiste à embarquer collectivement vers cette transformation », précise-t-il.
D'ailleurs, un autre objectif est latent avec l'implémentation des process automatisés. « Il nous faut parvenir à faire significativement mieux, parfois avec moins de ressources, afin d'améliorer l'expérience client, de réduire le taux d'attrition - autrement dit le churn, cette rotation des clients qui nuit à la pérennité de la relation commerciale - et, plus largement, d'optimiser l'ensemble des processus internes pour gagner en efficacité et en qualité de service », analyse encore le directeur.
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Ce positionnement est également celui de Stéphane Sawicki, directeur production de la Division Digital Printing & Solutions (DP&S) chez Canon France, en charge des opérations commerciales. « Nous menons actuellement plusieurs expérimentations, souvent impulsées par nos partenaires technologiques. C'est notamment le cas avec Sace Enablement, que nous commençons à intégrer dans notre environnement », indique-t-il. Le manager n'a pas encore défini une vision stratégique globale, mais s'efforce de traduire ces innovations en actions concrètes et utiles pour les équipes commerciales. « Mon objectif est d'éviter les redondances et de garantir que les outils mis en place apportent une réelle valeur opérationnelle », précise-t-il.
IA et génération de leads, une nouvelle étape franchie
Autre retour d'expérience très opérationnel et concluant, les usages des équipes commerciales chez Coface pour la génération de leads. « Nous avons mis en place un système de scoring interne pour qualifier les opportunités issues de nos différents canaux. Selon le score attribué - par exemple de 4 à 5 pour un lead jugé à fort potentiel -, celui-ci est directement orienté vers un commercial. À l'inverse, un lead de qualité moindre est confié à nos équipes SDR (Sales Development Representatives), des spécialistes de la prospection téléphonique, en charge d'un traitement plus approprié. Ce processus structurant amorce une transformation plus large, dans laquelle nous plaçons beaucoup d'espoir », détaille Bernard Nassiri directeur commercial.
Cette étape a permis d'aller plus loin, notamment dans la prospection commerciale. « Nous avons connecté LinkedIn à notre CRM. Chaque mois, nous organisons des sessions avec nos équipes commerciales à l'échelle mondiale pour les aider à mieux exploiter cette intégration. Les résultats sont de plus en plus probants. Il s'agit d'une connexion en temps réel : toutes les actions menées sur LinkedIn sont automatiquement synchronisées avec notre CRM, sans intervention supplémentaire du commercial. Cela permet un suivi fluide et efficace », explique le décideur. Il indique une autre réussite, la réduction du churn, afin de minimiser le nombre de clients qui cessent d'utiliser les produits ou services. « Nous avons déployé un modèle d'intelligence artificielle capable de générer des alertes à destination des commerciaux lorsqu'un risque de perte client est détecté. Avec près de 1 000 collaborateurs sur le terrain, il est évidemment impossible de maintenir une vigilance exhaustive. Ce dispositif permet d'orienter efficacement l'attention des équipes et les résultats sur la rétention se sont significativement améliorés », ajoute-t-il. Un dispositif qui est nativement intégré dans le CRM Microsoft Dynamics. Le commercial reçoit directement une alerte, sans avoir à effectuer d'action manuelle, et peut ainsi initier les vérifications nécessaires ou planifier un contact. «
Dans la continuité, nous accélérons aujourd'hui notre projet d'intégration de Copilot - l'outil IA de Microsoft - au sein de nos équipes commerciales. Tous nos outils (Teams, Outlook, LinkedIn...) étant de l'écosystème Microsoft, nous avons fait le choix de centraliser nos technologies autour de Dynamics, et non Salesforce. Nous souhaitons déployer une première vague avec une cinquantaine de commerciaux, dans plusieurs pays, avant une extension potentielle à 200 collaborateurs. Certains testent déjà Copilot, qui est également intégré à notre CRM, et nous avons de fortes attentes sur les gains d'efficacité associés à cette évolution », précise-t-il. Evolutions à suivre !
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