Recherche
Magazine Action Commerciale
S'abonner à la newsletter S'abonner au magazine

L’heure des comptes pour les quotidiens économiques

Publié par le

Le site de La Tribune passe au payant. Un modèle adopté par Les Échos dès le départ, pour recruter des abonnés “papier”.

Je m'abonne
  • Imprimer

Petite révolution dans le landernau de l’information économique : début juin, Latribune.fr est passé au modèle payant. Fini la consultation gratuite des archives du journal ! Désormais, ici comme chez le principal concurrent, Les Échos, il faut sortir sa carte bancaire pour lire. Depuis 1997 pourtant, La Tribune faisait un peu figure de résistant : c’était le dernier village gaulois de la presse sur le Web où le payant n’avait pas encore imposé son modèle. Le deuxième grand quotidien économique vient pourtant d’être rattrapé par la réalité. La récession du marché publicitaire a eu raison de la grande utopie du Web, un monde parfait où l’information serait financée par les annonceurs : 60 % des revenus du site provenaient de la publicité l’an dernier, mais cette proportion devrait être ramenée à 40 % cette année. De plus, au-delà de l’aspect purement économique, Emmanuel Cacheux, le directeur multimédia, met en avant un autre argument pour justifier le passage au payant : “ On ne peut pas continuer à donner sur le site ce que l’on vend, par ailleurs, dans le journal. C’était d’autant plus incohérent que Latribune.fr est consultée dans le cadre du travail, pour des besoins professionnels. ”

Réalisme économique

Mais alors, pourquoi ne pas avoir pris conscience de cela plus tôt ? “ Pour des raisons structurelles, explique-t-on à la direction du site. Nous avions, depuis longtemps, l’intention de passer au payant, mais ce projet a été retardé par les changements successifs de directeurs multimédias. ” Aux Échos, on ne fait pas de commentaire sur ce revirement de stratégie du concurrent. Ici, en effet, on n’a jamais cru que le site pouvait être financé par la seule publicité. “ Nous étions peut-être plus réalistes que les autres, se contente d’expliquer Philippe Jannet. Nous ne sommes pas Paris Boum Boum et le métier des Échos, c’est de vendre de l’information, pas de la donner. Nous avons donc choisi ce modèle économique dès 1997, même si, à l’époque, certains nous disaient que le Web devait être gratuit. ” Si Les Échos n’ont jamais péché par excès d’optimisme, c’est sans doute parce que l’idée de départ était de faire de ce site un véritable site éditorial, avec un contenu riche, projet qui nécessite des moyens considérables. Peu de sites pouvaient, en effet, se targuer, en 1997, d’offrir à ses abonnés un accès intégral au quotidien, aux bases de données économiques de la Coface – avec, notamment, le bilan des entreprises françaises –, des chiffres-clés sur différents secteurs d’activité et dix ans d’accès aux archives du journal. Résultat de ce pragmatisme : aujourd’hui, le site des Échos emploie une quarantaine de personnes, pour moitié des journalistes, le reste étant composé de commerciaux et de techniciens. À La Tribune, le service multimédia est plus modeste, avec une rédaction de six personnes et huit salariés au service commercial et technique. Emmanuel Cacheux en convient d’ailleurs bien volontiers : “ Nous ne jouons pas dans la même cour que les sites des Échos ou du Monde. Nous n’avons pas les mêmes audiences, ni les mêmes budgets, notamment pour la communication. D’ailleurs, en aucun cas, nous ne cherchons à les concurrencer ! ” Quelques chiffres suffisent à prendre la mesure de l’écart entre les deux sites. De 15 et 20 millions de pages vues, chaque mois, pour les Échos, contre seulement 8,5 millions pour La Tribune, et près de 300 000 visiteurs uniques mensuels pour La Tribune, contre le double pour Les Échos. Il est même probable que l’écart se creuse encore avec le passage de Latribune.fr au payant. “ Nous prévoyons une chute du trafic de 10 %, reconnaît Emmanuel Cacheux. Mais ce n’est pas grave. L’essentiel n’est pas l’audience, mais le nombre d’internautes que nous réussirons à convaincre de s’abonner. ”

Convaincre, argumenter, expliquer

Pourtant, à l’instar de tous les autres sites passés du gratuit au payant, cela risque de ne pas être aisé. Comment, en effet, demander à un internaute de payer ce qu’on lui a longtemps fourni gratuitement ? “ Il faut convaincre, argumenter, expliquer, affirme Emmanuel Cacheux. Nous allons notamment expliquer qu’en plus de la consultation intégrale du quotidien et des archives, les clients pourront bénéficier d’un système d’alerte (par exemple sur des informations sectorielles qui les intéressent) et d’une gestion personnelle de leurs archives. ” L’autre argument, c’est le prix. Car, là aussi, il y a un écart entre les deux quotidiens. La Tribune ne demande que 200 euros par an quand Les Échos facturent les mêmes services 299 euros. “ Nous avons pris le parti de pratiquer des tarifs assez bas par rapport à la concurrence, explique Emmanuel Cacheux, parce que nous ne proposons pas de paiement à l’acte. ” Autrement dit, il est impossible à un internaute intéressé par un ou deux articles de La Tribune d’acheter uniquement ces deux informations : il doit, dans tous les cas, souscrire un abonnement, soit 20 euros au minimum, pour un mois. Là encore, deux visions s’affrontent. “ Nous avons préféré proposer un abonnement illimité et modique parce qu’il n’était pas rentable, pour nous, de faire du micro-paiement à l’acte : cela revient trop cher en frais de gestion ”, affirme clairement Emmanuel Cacheux. Aux Échos, au contraire, Philippe Jannet est persuadé “ qu’il y a un public pour ce type de prestation. Ce sont, comme dans la vraie vie, des lecteurs qui n’ont pas besoin d’être abonnés au journal, mais qui souhaitent l’acheter de temps en temps. ” Une logique de “self-service” que le premier quotidien économique souhaite même pousser encore plus loin. “ Nous pensons, affirme Philippe Jannet, que la banalisation du payant va nous permettre d’expérimenter de nouveaux modèles, avec, par exemple, des systèmes de paiements prélevés directement sur la facture de connexion de l’internaute. ” D’ailleurs, si les offres des Échos et de La Tribune sont différentes, elles témoignent au moins d’une volonté commune : ne pas donner l’impression à l’internaute de devoir sortir sa carte bancaire en permanence !

Cibles complémentaires

Or, il est essentiel de ne pas effrayer les internautes. Car ils constituent un vivier d’abonnés pour les versions papier. Certes, les sites doivent “ viser la rentabilité, être des centres de profit et non de coût ”, comme le reconnaissent les responsables des deux sites, mais ils doivent également – et surtout ? – être des moyens de recruter de nouveaux abonnés. Les internautes, en effet, sont plus jeunes que les lecteurs des quotidiens : il s’agit de cadres et cadres supérieurs, entre 25 et 35 ans à La Tribune, entre 35 et 45 ans aux Échos. “ Un public très complémentaire du lectorat traditionnel ”, affirme Emmanuel Cacheux. “ Les cibles du Web et du quotidien sont à la fois différentes et homogènes, renchérit Philippe Jannet. On se rend compte que des synergies sont possibles. Pour nous, le site Internet est devenu la première source d’abonnement à la version papier, c’est un instrument marketing puissant. ” Voilà qui clôt définitivement le débat sur la “cannibalisation” du papier par le Web. Car, non seulement Internet ne grignote pas le lectorat traditionnel, mais il l’enrichit. Après quelques années de tâtonnements, les sites des quotidiens d’information ont donc fini par trouver leur “business model”, sans détruire leur métier originel.

Les offres

Deux sites payants avec, chacun, leur originalité

La Tribune

. Pour son passage au payant, La Tribune propose uniquement des formules d’abonnement, mais pas de paiement à l’acte pour la consultation d’un seul article. Le site facture, par exemple, 20 euros par mois et 100 euros pour six mois, pour la consultation intégrale du journal du jour et de sept années d’archives, avec un système d’alerte sur des informations sectorielles et un service de gestion de ses archives personnelles.

Les Échos

. Le quotidien propose aux internautes le paiement d’articles à l’acte, ainsi que deux formules d’abonnement. L’une à 299 euros par an, avec accès intégral au journal du jour et à dix ans d’archives (100 articles par mois), une alerte quotidienne personnalisée et 20 % de remise sur l’accès aux bases de données des partenaires du site. L’autre à 499 euros par an, avec, en plus, l’abonnement à la version papier du quotidien et au mensuel Enjeux.

 
Je m'abonne

Frédéric Thibaud

NEWSLETTER | Abonnez-vous pour recevoir nos meilleurs articles

Retour haut de page