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Les dessous chics des défilés

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Collections estimées trop chères, défilés ruineux, érosion de la clientèle… Pourtant, grâce à son prestige et à sa stratégie commerciale reposant sur la diversification et la fidélisation, une poignée de maisons de haute couture réussit à tirer son épingle du jeu.

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Mardi 5 décembre, la nouvelle tombe : après Nina Ricci et Paco Rabanne, Lapidus abandonne la haute couture. Une à une, les maisons de haute couture glissent ainsi la clé sous la porte et égrènent les raisons de leur abandon : les défilés nécessitent des investissements colossaux, les clientes sont au nombre de quelques milliers seulement et le prix des collections est estimé trop élevé. Les douze créateurs (voir encadré page 35) ont dû, par conséquent, peaufiner leur stratégie commerciale et affûter leurs armes de fidélisation. Prise isolément, la haute couture n’est pas une niche rentable. Il suffit donc de lui adjoindre des activités qui le sont. « Pour vivre, une maison de couture doit impérativement avoir deux colonnes vertébrales, explique Geoffroy de Seynes, ancien directeur international de Christian Dior. L’une est la création de modèles exclusifs, l’autre, la diversification, c’est-à-dire les parfums, la vente de licences, etc. » La haute couture devient ainsi une vitrine. « Elle est souvent comparée à une locomotive qui tire des wagons, estime, pour sa part, la Fédération française de la couture, du prêt-à-porter, des couturiers et des créateurs de mode. Elle est le moteur de multiples activités, qu’il s’agisse du textile, du prêt-à-porter, de la fourrure, de la lingerie, des accessoires et de la parfumerie. » Selon les données qui circulent sous le manteau, le chiffre d’affaires de la haute couture s’élevait, en 1996, à 280 MF. Ce chiffre paraît dérisoire, mais il faut l’additionner aux chiffres d’affaires générés par les parfums et les accessoires, secteur qui pesait alors 7 MdF. On comprend mieux que de grands groupes, tel LVMH, propriétaire de Dior, ou encore Sanofi (YSL), s’installent sur cette niche. De même, pour faire face à l’érosion de la clientèle – 20 000 personnes en 1945, moins de 2 000 aujourd’hui –, les maisons de haute couture ont dû s’improviser précurseurs de la fidélisation one to one. Les directeurs de haute couture, dont la fonction s’apparente à celle des directeurs de comptes clés, déploient ainsi des trésors d’attentions particulières pour fidéliser leurs clientes : invitations aux défilés, prise de rendez-vous à l’étranger, dîners ou déjeuners en tête-à-tête, présentation de croquis sur mesure, etc. Enfin, dernier plan de bataille : assurer le renouvellement de la clientèle. Pour ce faire, les maisons présentent leurs collections à l’étranger, tentent d’attirer des créateurs talentueux, assurent la présence de leurs modèles dans les journaux, etc. Cette politique commence à porter ses fruits. Outre le renouvellement naturel des clientes – de mères en filles – les maisons comptent désormais de nouvelles adeptes : les business women qui “craquent” de temps à autre pour une pièce prestigieusement griffée, ou encore des membres de la nouvelle “nomenklatura” d’Europe orientale.

« Nous devons comprendre la vie de nos clientes, développer un relationnel très fort avec elles, connaître leurs goûts à la perfection, à défaut de quoi, on ne vend pas. » Joy Hendericks, directrice des salons haute couture chez Chanel. Le curriculum vitae de Joy Hendericks est jalonné de maisons de couture prestigieuses : Yves Saint-Laurent, Emanuel Ungaro et aujourd’hui Chanel, dont elle dirige le département haute couture. « La haute couture est un laboratoire d’idées qui séduit une clientèle en constant renouvellement, affirme Joy Hendericks. Aujourd’hui; par exemple, elle est accessible à certaines catégories de femmes, notamment des business women américaines, qui n’avaient jusqu’alors pas les moyens de s’offrir un modèle de la collection. Ce secteur d’activité ne mourra jamais tant qu’il existera des clients pour qui l’exclusivité n’a pas de prix. Ce n’est pas dans une boutique de prêt-à-porter que les femmes trouveront des modèles uniques, ajustés et conçus sur mesure. » Pour fidéliser sa clientèle, Joy Hendericks déploie des trésors d’attentions. « Le meilleur moyen de fidéliser nos clientes consiste à garantir une perfection du service. Il faut leur proposer des vêtements dont elles sont entièrement satisfaites et qui les mettent en confiance. Il est également nécessaire de comprendre leur mode de vie afin de leur proposer des services en parfaite adéquation avec leurs préoccupations. Ainsi, afin de faciliter les essayages de nos clientes américaines, nous nous déplaçons quatre fois par an à New-York. Enfin, la part du contact, du relationnel, est également primordiale. » Plus qu’un programme de fidélisation, Joy Hendericks et son équipe réalisent un véritable travail de relations publiques vis-à-vis de leurs clientes : invitations à des déjeuners, aux défilés, à des soirées privées, envois de lettres personnalisées, coups de téléphone, etc. « Cela peut même aller jusqu’à rechercher un cadeau d’anniversaire pour une mère qui n’a pas le temps de le faire. »

Repères en chiffres 3 à 10 MF, c’est le coût estimé d’une collection. 2000 C’est le nombre de clientes particulières que compte la haute couture dans le monde. 70 %C’est la proportion de CA réalisée par les couturiers et créateurs de mode à l’export. 3 %du CA de la profession vient de la haute couture, hors parfum, contre 47 % pour le prêt-à-porter féminin.

« Si la haute couture était en danger, il serait du devoir des pouvoirs publics de la financer. C’est une vitrine extra-ordinaire pour la France, qui emploie le talent, le savoir faire et l’ingéniosité d’une multitude d’artisans. » Marie Martinez-Seznec, directrice des salons haute couture Christian Lacroix. Marie Martinez-Seznec connaît à la perfection les coulisses et les podiums des défilés haute couture. Elle y a fait ses premiers pas en qualité de mannequin puis a officié dans les coulisses des défilés de Jean Patou, où elle côtoie Christian Lacroix. Lorsque le créateur au Dé d’or ouvre sa maison de couture, Marie Martinez-Seznec le suit pour prendre la direction de son salon haute couture. « En maintenant leurs créations haute couture, les maisons ne cherchent pas à gagner de l’argent mais à stimuler leurs autres activités. La haute couture est une vitrine de prestige pour une marque, qui permet de bénéficier de répercussions positives sur les activités du prêt-à-porter, des parfums et des accessoires. Par ailleurs, pour séduire de nouvelles clientes, la collection haute couture doit être vue. Conformément à la législation, nous organisons deux défilés, l’un en janvier, l’autre au mois de juillet. Six fois par an, nous nous rendons également à New-York avec la collection afin de la présenter à nos clientes américaines. Fidéliser notre clientèle passe par notre aptitude à la guider et la conseiller dans ses choix. Aucune erreur n’est permise. L’excellence est toujours de rigueur. Nous restons par ailleurs toujours en contact avec elles, dix mois sur douze en moyenne. Nous les invitons à dîner et à déjeuner, parfois même en compagnie de Christian Lacroix. »

L’exception législative française “Les appellations de haute couture et couture création sont protégées juridiquement. Seules les entreprises figurant sur une liste établie chaque année par une commission siégeant au ministère de l’Industrie et qui ont fait l’objet d’un arrêté du ministre peuvent s’en prévaloir”. Pour bénéficier de cette appellation, les entreprises doivent remplir un certain nombre de critères : employer au minimum 20 personnes à la production dans leurs propres ateliers et présenter à la presse deux collections d’au moins 50 modèles. La collection doit être présentée à la clientèle à l’intérieur de la maison de couture. Pour une période transitoire de deux ans, les maisons nouvellement créées doivent employer 10 personnes à la production et présenter à la presse 25 modèles. À ce jour, 12 créateurs présentent des collections haute couture : Balmain, Chanel, Dior, Lacroix, Ungaro, Givenchy, Hanae Mori, Scherrer, Gaultier, Feraud, Torrente et Saint-Laurent.

 
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Nathalie Bonnet

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