Organisation : Vie privée, vie professionnelle : comment les concilier
La technologie aidant, il est facile de faire face à une surcharge de travail en emportant ses dossiers avec soi. Mais attention à ne pas sacrifier sa vie privée.
Je m'abonneRégulièrement, Pierre rédige ses notes urgentes le soir, après le dîner, lit sa revue professionnelle préférée le matin, en prenant les transports en commun, et règle, par téléphone, certains problèmes d’ordre privé au travail. Pour lui, comme pour bon nombre de cadres, notamment commerciaux, la frontière entre vie privée et vie professionnelle est de plus en plus ténue. Une tendance confirmée par une étude de l’Union confédérale des cadres de la CFDT, réalisée auprès d’un millier de personnes en poste. Il en ressort que plus d’un cadre sur deux travaille à la maison et que les deux-tiers n’hésitent pas à ouvrir des dossiers dans le train, l’avion ou leur chambre d’hôtel. Une autre enquête récente de Monster a confirmé cette disparition progressive de la frontière censée séparer travail et vie privée : 80 % des salariés européens utilisent leur e-mail professionnel à des fins privées, et 60 % s’en servent au moins une fois par jour. Cette montée en puissance des nouvelles technologies conduit, d’ailleurs, certaines entreprises à rédiger des chartes sur l’utilisation d’Internet au bureau. L’e-mail, mais surtout l’arrivée en masse des nouvelles technologies mobiles (ordinateur et téléphone portables, assistant personnel, etc.), ont beaucoup contribué à cette interpénétration des deux vies.
Définir ses motivations
Une évolution qui conduit de plus en plus de managers à s’interroger sur « le niveau de leur engagement et de leur implication professionnels et, par déduction, du temps qu’ils consacrent à leur famille, leurs amis et aux activités annexes », observe Maurice Besse, consultant en évolution professionnelle au sein du cabinet DBM. Le danger ? « Surinvestir dans son travail génère, à terme, du stress et une perte progressive de repères, souligne Guy Azoulaï, psychothérapeute, consultant en entreprise chez Stimulus. Un mal qui guette, en particulier, les managers de terrain pris entre le marteau et l’enclume et sur lesquels plane une forte pression. » Alors, où se trouve le juste équilibre ? Comment concilier harmonieusement vie professionnelle et vie privée ? « Certains ont besoin d’isoler ces deux univers, d’autres, au contraire, préfèrent les mélanger », affirme Stéphanie Savel, directrice associée de ASG Conseil. Un avis que partage Maurice Besse, pour qui ce fameux équilibre « dépend des attentes et du tempérament de chacun et varie, en partie, selon la situation personnelle et l’âge de l’individu. Les jeunes générations recherchent une frontière nette entre le travail et la sphère privée », poursuit l’expert. Ils expriment, en tout cas, ce besoin de séparation de façon plus marquée que leurs aînés. « En fait, explique Stéphanie Savel, la question n’est pas tant de savoir si la vie professionnelle empiète, ou pas, sur la vie privée, mais de s’assurer que l’on satisfait ses besoins de réalisation dans les deux univers. » À chacun, donc, d’essayer de dessiner la carte de ses propres motivations, qui varie selon l’âge et la maturité professionnelle. « Aujourd’hui, je consacre plus de temps à ma vie professionnelle qu’au début de ma carrière », reconnaît Philippe Maugendre, 37 ans, directeur des ventes chez Codiac.
Un temps pour tout
Au final, conseillent les experts, vous pouvez toujours vous en remettre au bon sens. Il vous dira, par exemple, qu’il y a un lieu et un temps pour chaque chose. « À tout mélanger, on risque de s’appauvrir », met en garde Maurice Besse. Philippe Maugendre reconnaît qu’il lui arrive de travailler un week-end sur trois ou quatre : « Je le vis bien, toutefois, je fais attention à ne pas trop empiéter sur ma vie privée. Et puis, parfois, il faut savoir dire “stop” et refuser un projet alléchant ! » Selon le porte-parole de DBM, « lorsque la situation se présente, il faut essayer d’identifier la ou les raisons qui y conduisent. Est-ce dû à un manque d’organisation ? À une surcharge ponctuelle de travail ? etc. » Il suffit, parfois, de mieux s’organiser ou de déléguer certaines tâches pour éviter d’avoir à rouvrir ses dossiers le soir, chez soi. Et puis, il est important d’apprendre à différencier l’urgent de l’important. « On est souvent face à des événements importants, rarement face à des urgences », objecte Maurice Besse. Même les plus accros au travail doivent, à un moment, savoir décrocher. « L’erreur typique ? Emporter des tonnes de documents chez soi le week-end, y penser pendant deux jours sans trouver le courage de s’y mettre et, finalement, acculé, y consacrer deux heures le dimanche soir », tranche Stéphanie Savel. À l’inverse, vérifier ses e-mails, chez soi, à 22 heures, quand on travaille pour une entreprise dont les bureaux sont établis sur plusieurs continents, n’est pas une attitude insensée, mais responsable.
Adopter la culture de l’entreprise
Au-delà de vos réflexes – qu’il faut parfois savoir contenir – et de vos attentes, il est important de tenir compte des univers personnel et professionnel dans lequel vous évoluez. « Si la question de l’équilibre vie privée et professionnelle est, pour une large part, personnelle, en revanche, la réponse à apporter est globale, insiste Maurice Besse. Elle est, en effet, étroitement liée au contexte de l’entreprise, à sa culture, à ses habitudes et à son mode de management. » Ainsi, un cadre qui se contentera d’effectuer strictement ses 35 heures dans une entreprise qui a fait de la souplesse et de la réactivité ses atouts sera très vite en décalage. L’inverse est tout aussi vrai. « Notre direction considère qu’une journée de travail doit tenir entre 9 et 19 heures, raconte Laurent Bouchoucha, responsable marketing Europe, Moyen-Orient et Afrique d’Enterasys Networks. C’est une façon intelligente de raisonner », estime ce cadre qui reconnaît travailler, en moyenne, 40 à 45 heures par semaine. Et d’ajouter : « On peut toujours croire – ou se faire croire – que l’on est indispensable ! » En l’absence d’harmonie entre vos pratiques et la culture de l’entreprise, vous risquez fort de voir poindre un malaise. Et d’être dans l’incapacité de vous réadapter à un nouvel environnement professionnel, si le cas se présente.
Avis d’expert
Guy Azoulaï, psychothérapeute, consultant en entreprise chez Stimulus « Il ne faut pas précipiter les choses ! » « Quand le cadre prend conscience qu’il est nécessaire de repenser sa vie en faveur de la sphère privée, il n’en est qu’au début de sa réflexion, indique Guy Azoulaï. L’idée doit, ensuite, faire son chemin : le manager retire de sa vie professionnelle une reconnaissance qu’il ne retrouve pas toujours au travers de ses activités privées. » C’est pourquoi il sera parfois tenté de sacrifier à nouveau, momentanément, son existence familiale. Mais au fond, c’est bien vers un équilibre salutaire qu’il tend. « Quand le cadre a une vision claire des inconvénients de sa situation actuelle et des avantages de celle à venir, il peut se décider ou non à faire le pas. Ensuite, il faut inscrire ce changement dans le réel, casser les habitudes, réaménager sa vie professionnelle pour donner corps à ses projets personnels. »