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Premier bilan du chantier des 35 heures

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La date butoir du 1er janvier 2000, conjuguée avec l’annonce de la période de transition, a entraîné beaucoup d’attentisme sur la négociation et la mise en place de la réduction du temps de travail. Des consultants tirent un premier bilan des accords grâce à des études d’impact,les pionniers retracent leurs expériences.

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Bruno Aboukalil est chef de marché paie et GRH de Sage. La société a intégré dans l’étude annuelle, qu’elle confie à BVA, une interrogation sur la mise en place des 35 heures dans les PME. Les résultats ont été présentés mi-décembre. “35 % des PME de 500 à 2 000 salariés, 20 % des entreprises de 20 à 500 et 5 % de sociétés de moins de 20 personnes ont signé un accord ; sept sur dix n’ont pas démarré leurs réflexions. Un quart des sociétés de moins de 20 salariés déclare ne pas envisager de passer aux 35 heures, ni en 2000 ni en 2002. Dans les plus grandes, six entreprises sur dix avaient une démarche en cours en novembre 1999, et 40 à 45 % envisageaient de passer aux 35 heures au 1er janvier 2000.” Notre étude enregistre une poussée des accords au troisième trimestre 1999 : 30 % signés en octobre-novembre. La date de mise en place effective se conjugue souvent avec celle de la signature de l’accord. Ce relatif attentisme me paraît justifié dans l’optique de la loi Aubry II, et en tenant compte de l’existence de la période de transition d’un an. Mais nous avons senti l’immense intérêt sur le terrain : Sage a organisé, en 1999, 70 “Ateliers 35 heures”, et 1 600 responsables d’entreprises y ont assisté. Dans les PME de taille importante, la négociation avec les syndicats est très largement majoritaire. Le référendum auprès des salariés est davantage pratiqué dans les petites structures. Les accords d’entreprises reprennent une partie des modalités de l’accord de branche. Les modalités d’application les plus choisies ou envisagées sont la prise d’un jour tous les 15 jours, ou l’alternance de semaine de quatre jours et de cinq jours (pour 25 %), l’attribution de jours de congés supplémentaires (pour 23 %), l’annualisation (21 %), la prise d’une demi-journée par semaine (18 % des accords), le repos compensateur de remplacement (14 %), la journée de sept heures (10 %). Le travail en équipe est mentionné par 8 % des répondants. Pour les services commerciaux, les jours de congés supplémentaires et le forfait jours sont fréquents. Comment sont abordées les 35 heures à l’intérieur de mon entreprise ? Je fais partie de la dizaine de personnes qui composent, sous la responsabilité de la directrice des ressources humaines, la commission interne. Depuis novembre 1998, la commission est chargée de diagnostiquer l’organisation du travail selon les services et les métiers, de détecter les dysfonctionnements pour établir des scénarios, des pistes d’organisation. L’entreprise est en cours de finalisation et de négociation. Bertrand Lacampagne, pdg de Pouey International, spécialiste du risque client et du renseignement d’affaires. L’entreprise vient de mener une enquête téléphonique sur le passage de 670 PME (de 20 à 200 salariés) aux 35 heures. “Pratiquement neuf PME sur dix avouent mi-octobre ne pas être prêtes pour les 35 heures. Cela dit, elles avouent une préférence pour l’annualisation du temps de travail (à 31 %) ou pour la semaine effective de 35 heures sans congés supplémentaires (à 26 %).” Nous enregistrons un grand rejet de la part des PME sur des rythmes de prises de congés à deux jours par mois, ou concentrés en une seule fois. Je pense que la très faible proportion d’accords ne signifie pas que ces entreprises n’en parlent pas depuis longtemps, mais elles pratiquent un grand attentisme ; la mise en place a soulevé des difficultés d’organisation. Très peu peuvent estimer le coût du passage aux 35 heures, alors que deux tiers d’entre elles pensent qu’il y en aura un. Celles qui ont fait le calcul situent ce coût en moyenne autour de 6 % de la masse salariale. 56 % des PME interrogées par la plate-forme téléphonique de Pouey International n’attendent aucun avantage du passage aux 35 heures, 44 % y voient des atouts : les PME estiment devoir embaucher, pensent à optimiser le temps, à vouloir plus de flexibilité, à obtenir une meilleure productivité. Celles qui l’ont mis en place ont fait appel aux aides dans une majorité de cas, les salaires ont été maintenus, il y a eu très peu de baisses. Il est clair que la situation des cadres et des commerciaux est un des freins au passage des PME en particulier aux 35 heures, car les problèmes d’organisation, de rationalisation du travail sont importants. C’est d’une grosse complexité pour les entreprises. Le temps des commerciaux n’est pas mesurable. Nous avons nous-mêmes signé un accord début octobre 1999, mais les commerciaux n’en font pas partie. Leur motivation, c’est de faire le maximum d’affaires, pas forcément de travailler moins. En revanche, la plate-forme d’appels téléphoniques est touchée par les 35 heures. C’est une question d’aménagement des horaires qui sont plus contrôlés, c’est évident. Bernard Girard, consultant du cabinet conseil dans la négociation et la mise en place des 35 heures Aznar-Savel-Gauthier. Il collabore avec Sage sur des journées “Comment réussir votre passage aux 35 heures” ou “La mise en place des 35 heures”. “L’étude BVA pour Sage, menée du 8 au 18 novembre auprès de 865 PME de 3 à 2 000 salariés, confirme pour l’essentiel les tendances et les chiffres du ministère, notamment sur la réactivité des entreprises. L’amendement voté en fin d’année sur l’exclusion des itinérants non-cadres des conventions de forfait en jours pose beaucoup de problèmes pour les forces de vente pour lesquelles ce type de modalité est majoritaire.” La convention de forfait en jours, avec une dizaine de jours de congés supplémentaires environ, était très commode. Les entreprises qui ont conclu ce type de modalité avec leurs forces commerciales auront un an pour en réviser les termes et se mettre en conformité avec la loi. Nous réfléchissons avec nos clients à de nouvelles formes, en particulier en intégrant le télétravail : les commerciaux qui se déplacent beaucoup et ont des amplitudes horaires très fortes ont du mal à travailler au bureau. L’idée est d’introduire dans l’accord la possibilité de travailler chez eux, comme une journée de travail ordinaire. Concernant les commerciaux sédentaires, le bon sens est d’adapter le temps de travail au métier. Les grands réseaux ont souvent une très fine connaissance de la réalité des charges de travail. On s’oriente vers plus de modulation, des décrochages pendant les périodes creuses. Les centres d’appels, eux, sont gérés en général comme un dispositif “industriel”. Le vrai problème pour les commerciaux touche la rémunération. Je travaille avec plusieurs sociétés où les commerciaux verront leur recette diminuer par la mise en place des 35 heures. De leur côté, les directions ne veulent pas toucher aux objectifs. Des solutions passent par le temps partiel. À mon sens, un bon accord 35 heures doit être attractif. Il y a un équilibre à trouver entre l’intérêt du travail, la rémunération, et la nouvelle donne. Je crois que le commerce va avoir un gros travail sur l’organisation et la rémunération à effectuer lors des deux ou trois prochaines années. Hubert Trapet, directeur de la plate-forme ARTT à la Cegos. Il vient d’avoir les résultats d’une enquête rémunérations des cadres où, pour la deuxième année consécutive, est étudié l’impact des 35 heures. “Les niveaux de sauts de productivité recherchés se situent au-delà de ce que les entreprises font tous les ans. Quant aux objectifs, ils n’ont pas été revus. Le cadre commercial doit être capable de s’organiser avec son équipe.” Il y a ceux qui réfléchissent sur leur performance, sur leur réponse au client, et qui mobilisent sur ces objectifs. Et il y a l’approche minimaliste, “on est déjà très près des 35 heures”. La croissance de la productivité, qui doit compenser le surcoût du passage, se traduit par la répartition d’actions de manière différente, comme la création de centres d’appels. Dans l’automobile, la distribution, cela se concrétise par des ouvertures plus importantes, comme le samedi, ce qui implique des présences par roulements. Des organisations pas faciles à trouver, surtout avec les équipes réduites. Mais le recrutement n’est qu’un des éléments. Dans une approche organisationnelle, je vois trois entrées pour trouver une solution : la charge de travail, la présence, et les compétences. Les gens ne sont pas interchangeables, malgré une plus forte polyvalence. Le plan de formation commence juste à évoluer. Le co-investissement formation, souvent envisagé, est rarement adopté. Le compte épargne temps, mis en place dans 45 % des cas, est souvent un moyen de différer la RTT. Dans beaucoup de cas, les commerciaux sont traités dans la catégorie “autres cadres”. En raison de leur autonomie dans la gestion de leur temps, on se trouve face à l’impossibilité de le décompter, et les entreprises se sont orientées vers les systèmes forfaitaires en jours, qui n’entrent pas dans la deuxième loi. Les accords vont devoir être révisés ou réajustés. Honnêtement, je sens les commerciaux moins demandeurs que les autres populations. Contrairement aux prévisions, l’effet des 35 heures ne s’est pas fait sentir sur les rémunérations, en raison du retour des entreprises aux résultats. Mais une brutale décélération des augmentations est annoncée pour les trois prochaines années, accompagnée d’une nette accélération de l’individualisation et d’un développement de la part variable. Et parfois également de bonus, ou de la formule de l’intéressement par équipes, à l’occasion des 35 heures. Jean-François Barbier, dg de Adolphe Lafont (vêtements de travail). L’accord signé en novembre 1998 est entré en application au 1er janvier 1999. S’il inclut les 11 agences commerciales, il n’a pas intégré les commerciaux itinérants. “Les 35 heures nous ont obligés à nous poser des questions d’organisation. Nous avons raisonné en jours de congés supplémentaires et d’adaptation à la logique client. Pour les commerciaux, nous profiterons des semaines de faible activité pour bloquer des jours de congés.” Sur les points de vente, nous avons augmenté les effectifs, en ayant recours par exemple à des apprentis ou au temps partiel. Nous avons onze magasins, et ce sont onze cas particuliers. Nous avions prévu de moduler les horaires d’ouverture, en fonction des saisons. Par exemple, au moment de la rentrée des classes, où il y a une forte charge. Ce n’est parfois pas facile : sur le magasin de Boulogne-Billancourt, il y a une seule personne, on ne peut pas envisager de recouvrement des horaires ou de modulation. C’est une contrainte inévitable : les gens ne sont pas remplaçables par petits bouts. Avec les commerciaux itinérants, nous sommes actuellement en cours de négociation. Il est très difficile de définir des horaires. La négociation de la RTT peut vite devenir un argument de plus qui entre dans la discussion sur les objectifs. En revanche, les téléopérateurs et les assistantes commerciales sédentaires, basés au siège, ont été touchés. Les assistantes ont choisi de prendre soit le lundi, soit le mercredi, soit le vendredi. Elles procèdent par équipe, par rotation, et cela se passe bien. On va essayer de développer plus de polyvalence. C’est le seul moyen d’avoir une réelle efficacité. Ce changement d’organisation nous a amenés à responsabiliser davantage les assistantes. Les tâches arrivaient aux responsables qui les leur dispatchaient ensuite, cela a été changé. Nous avons aussi modifié les systèmes de signature : dans 90 % des cas, les assistantes peuvent signer elles-mêmes. On finit par inonder l’encadrement de tâches sans qu’il n’y ait de véritable valeur ajoutée à cela. Les clients s’habituent à la nouvelle organisation. Chaque assistante a, il est vrai, un lien privilégié avec pas mal de distributeurs. Mais le contact personnel a ses limites aussi : si la demande ne peut attendre au lendemain, elle est prise en charge par une autre secrétaire. Franck Bodikian, directeur des ressources humaines de DHL. L’entreprise a commencé à négocier avec les partenaires sociaux en septembre 1998, et signé un accord en avril 1999. Celui-ci est entré en application en mai 1999. Six mois plus tard, une première commission de suivi s’est tenue. “Il y a deux événements dans les 35 heures : la taille du dossier, et sa complexité. Nous sommes une PME de 2 000 personnes, avec de nombreux métiers, 30 sites de tailles différentes, et des horaires extrêmement larges. Pour les 200 commerciaux, je peux dire six mois après que c’est une des populations où ça s’est le mieux passé.” Nous avons été au printemps 1999 la première société du secteur à appliquer les 35 heures. D’ailleurs, si nous avions négocié plus tard, les modalités auraient sans doute été différentes. L’accord comprend 35 heures payées 39, 1 % d’augmentation de salaires en 1999, 1 % en 2000, et 11 dispositifs d’application en fonction des métiers. Nous avons aussi signé un compte épargne temps, ce qui nous en fait deux qui se chevauchent. Il faudra un jour optimiser… La commission de suivi que nous avons tenue il y a deux mois a montré une bonne compensation, en particulier des commerciaux. Si vous m’aviez interrogé trois mois après l’accord, je ne pense pas que je vous aurais dit cela. Il a fallu du temps pour s’adapter. Nous avions 50 schémas horaires. Nous avons mixé deux approches, l’une en 35 heures “fixes” (35 heures sur 4 jours ou 5 jours de 7 heures) et l’autre en 35 heures “variables” (avec 1 à 2 jours de congés par mois, et 1 jour de congé à prendre dans des fenêtres particulières, 23 jours de congés supplémentaires au total). Tous les commerciaux, télévente comprise, ont été traités selon la même logique. Culturellement, c’était important. Nous n’avons pas touché aux objectifs, ni aux portefeuilles, c’était trop complexe de tout prendre en compte. Nous avons procédé à 133 recrutements en un mois. Il fallait frapper fort rapidement, et recruter une force de travail équivalente à la réduction effectuée. Nous avons choisi de pourvoir tous les sites et les services au même moment, pour préserver l’équité. Le service client a reçu l’égale compensation en effectif, 19 personnes sur 180. En effet, nous avons jugé qu’il atteignait un niveau de productivité élevé, et que son activité était organisée par l’extérieur, et se rapprochait des caractéristiques d’une activité de production. L’entreprise, mobilisée, a bien compensé, mais à l’étranger, dans les réunions internationales où l’on discute coût, productivité, effectif, management, nous som-mes passés pour des Indiens.

Ce qu’il faut retenir Le coût des 35 heures Rexecode a dressé en octobre 1999 une évaluation du surcoût : entre 92 et 136 MdF. L’industrie et certains services seraient les plus touchés. L’amélioration de la productivité constitue le premier mode de financement. L’organisation du travail 10 à 24 jours de congés supplémentaires, compensation par la productivité, recherche de plages d’ouvertures plus larges adaptées aux clients caractérisent l’application en vente. Les centres d’appels sont traités comme un centre de production. Les rémunérations Les salaires sont maintenus, la modération des augmentations ou le gel des salaires fixes sont envisagés sur 2 ou 3 ans, la rémunération variable augmente. Peu revoient leurs objectifs et plans de rémunération. La formation Les entreprises demandent plus de polyvalence, en particulier aux sédentaires, mais les programmes de formation sont peu touchés. Le co-investissement n’a pas un grand succès.

Les chiffres du ministère 112 accords de branche ont été signés au 28 octobre 1999. 15 831 entreprises ont conclu un accord RTT (bilan du 22 septembre). 122 103 emplois “créés ou préservés” (bilan du 22 septembre). 13 331 conventions d’appui conseil ont été accordées de janvier à fin octobre 1999. 217 jours, c’est le forfait plafond pour les cadres dont les horaires ne peuvent être prédéterminés, comme beaucoup de cadres commerciaux. 89 % des accords sur la réduction du temps de travail conventionnés prévoient une compensation intégrale des rémunérations de tous les salariés, souvent assortie d’une modération ou d’un gel salarial (Darès). 84 % des chefs d’entreprise se déclarent très ou assez satisfaits de l’accord RTT signé (enquête Ifop du 25 au 28 juillet). Pour tout savoir : La réduction du temps de travail. Les enseignements des accords, été 1998 - été 1999, Éditions La Documentation Française pour le ministère de l’Emploi et de la Solidarité. 407 pages pour l’analyse détaillée à fin août 1999. Une quinzaine d’annexes fournissent les statistiques et monographies. 175 F.

 
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Propos recueillis par Sylvie Brouillet

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