Rémunération des commerciaux
Modifier le système de rémunération de ses commerciaux, c’est s’assurer de leur motivation. C’est aussi faire en sorte qu’ils soient réellement porteurs de la stratégie commerciale de l’entreprise et, par conséquent, placer le développement de cette dernière entre de bonnes mains. Un levier aux mille et une vertus… Pour retenir les meilleurs, les entreprises ne cessent de faire travailler leur imagination. “Certaines, notamment dans le secteur volatil des nouvelles technologies, proposent par exemple une prime à terme : les salariés la touchent à condition qu’ils soient encore présents dans l’entreprise à une date donnée, par exemple dans cinq ans, explique Frédéric Naquet, avocat au barreau de Paris. La prime progresse avec l’ancienneté. Lorsqu’elle est empochée à l’issue de la période pré-définie, elle est souvent d’un montant équivalent à un an de salaire.” Ces primes rassurent les entreprises quant à la pérennité de leurs salariés. Mais sont très contraignantes sur le moyen terme et, par conséquent, risquées en cas de retournement de marché. Elles sont donc en priorité réservées aux entreprises qui ont les reins solides. D’autres ont mis en place des stock-options ou y réfléchissent. “Les propos tenus par Dominique Strauss-Kahn, lorsqu’il était ministre de l’Économie et des Finances, avaient ouvert la voie et encouragé les entreprises à y réfléchir. Aujourd’hui, les choses sont un peu différentes… Mais, malgré cela, et malgré un coût fiscal et social élevé, nous sommes de plus en plus sollicités sur la mise en place de stock-options”, confirme Frédéric Naquet. Tous les moyens sont bons pour conserver les meilleurs employés, tentés – du fait de la conjoncture – par les sirènes de la concurrence. Et au-delà des primes ou des stock-options, les entreprises peuvent encore faire jouer le levier rémunération en revisitant son mode de calcul. En fonction du dosage entre fixe et variable, variable quantitatif (en fonction du chiffre d’affaires réalisé ou de la marge dégagée) ou qualitatif (lié à la collecte d’informations sur la concurrence, au démarchage de nouveaux clients, etc.), variable collectif ou individuel, la rémunération sera plus ou moins attractive, plus ou moins motivante et donc fidélisante. Nous vous livrons dans ce dossier les tendances du moment…
Je m'abonneFixe, variable : les tendances Aujourd’hui plus qu’hier, le variable se généralise. Mais avec quelques bémols : il a individuellement moins de poids, sa base de calcul repose souvent sur des éléments qualitatifs ou sur le score obtenu collectivement. Lorsque l’on s’interroge sur ce qu’est un bon système de rémunération, tous les spécialistes ne tombent pas d’accord. Pour certains, c’est celui qui attribue une grosse prime à un commercial qui “cartonne” et rien à celui qui a de mauvais résultats. Une définition à laquelle Frédéric Bonneton, directeur associé de MCR Consultants, n’adhère pas : “Le bon système, c’est celui qui fait progresser tout le monde, qui crée une réelle dynamique d’équipe, qui ne développe pas un esprit franc tireur. C’est celui qui génère un inconfort permanent sans que les commerciaux se sentent trop mal à l’aise quand même…” Il poursuit : “Le turn over coûte trop cher aux entreprises pour qu’elles raisonnent de la sorte !” Un argument qui, par ces temps de pénurie de main d’œuvre, peut en convaincre plus d’un de revoir ou de peaufiner son mode de calcul. “Une entreprise qui possède un bon système de rémunération aura moins de difficultés à recruter des vendeurs et à conserver les meilleurs”, confirme Bernard Marty, senior consultant chez Hay Management. Pour de multiples autres raisons, l’entreprise peut avoir intérêt à modifier en profondeur l’architecture même de son système de rémunération : accompagner le développement d’une nouvelle offre, le démarchage d’un nouveau type de clientèle, la fusion de différents réseaux de distribution, etc. Diverses mutations de l’environnement ou du marché peuvent également l’y contraindre. Frédéric Bonneton, le directeur associé de MCR Consultants, prend pour exemple le secteur de la grande distribution : “Les commerciaux terrain n’ont plus la maîtrise de la vente. Il y a eu dilution de cette responsabilité, ce qui implique de revoir le principe de la commission.” Les raisons du changement Au-delà de ces raisons d’ordre stratégique, divers indices internes annoncent la nécessité de revoir le mode de calcul. C’est le cas des sociétés qui rencontrent des difficultés à recruter, font face à un turn over excessif ou observent que leurs commerciaux se concentrent sur une seule gamme dont la prime exponentielle n’est pas plafonnée. De même, celles qui comptabilisent différents modes de calcul du variable – créant de la sorte des distorsions au sein de l’équipe – ont tout intérêt à se poser quelques questions. Ce n’est pas tout. “L’entreprise doit revoir son système de rémunération dès lors qu’apparaissent des "sénateurs de la vente", des commerciaux qui, de par le système de commissionnement en place et les clients récurrents, n’ont aucune raison de développer leur portefeuille”, explique Frédéric Bonneton. Ou encore lorsqu’il y a très peu de fluctuation du variable entre un “bon” commercial et un “très bon” commercial. Et que, de ce fait, certains ont l’impression d’avoir une rémunération injuste compte tenu des efforts produits ou de leurs performances. C’est le cas, lorsqu’en B to B, un commercial fait de l’investigation mais ne génère pas immédiatement du chiffre d’affaires, alors que sa rémunération est indexée sur son seul chiffre. Rétribuer le e-commerce ? Les sociétés qui généralisent le variable à l’ensemble de leur personnel sont également bien souvent contraintes d’ajuster, du même coup, le système propre aux commerciaux. Il y a aussi les dérives : “Les systèmes qui coûtent plus chers que prévu ou, à l’inverse, ceux pour lesquels le variable versé est nettement inférieur à celui escompté”, indique Éric Schuler, du cabinet Erile. Et puis, d’autres phénomènes, tels que le lancement de campagnes publicitaires ou le développement du e-commerce, “doivent conduire l’entreprise à s’interroger sur l’effort réel produit par le commercial et, à ce titre, rétribuable” indique Frédéric Bonneton. “L’entreprise doit se demander s’il a joué, à un moment ou à un autre, un rôle dans la vente qui s’est concrétisée sur internet, afin de le rétribuer en conséquence”, ajoute Laurent Termignon, consultant chez Hewitt. Toute la difficulté est alors de trouver les bonnes ficelles qui permettront de mesurer le rôle joué par le commercial. Évolution du contexte économique, signaux internes, etc., les raisons sont multiples de revoir son système de rémunération, de gré ou de force. Et de se poser quelques questions : mon système est-il suffisamment motivant ? Qu’est-ce qui me fait dire que tel commercial est performant et donc sur quels critères – qualitatifs ou quantitatifs – je le juge ? Est-il en phase avec la stratégie de l’entreprise ?, etc. Il est conseillé, voire indispensable, d’ausculter son système tous les trois ou quatre ans. Ce rythme semble mettre d’accord la majorité des consultants en rémunération. “Pas plus souvent, affirme Bernard Marty, sinon les commerciaux risquent de penser que la direction veut les avoir au coin du bois…” Le variable se généralise Une fois que le lifting s’impose, toute la difficulté consiste alors à donner un nouveau visage au futur mode de calcul. En la matière, certaines grandes tendances, dictées par la conjoncture économique notamment, se dessinent. En premier lieu, le variable continue de se généraliser. “Instinctivement, je dirais qu’aujourd’hui 90 % des commerciaux ont une part de variable, contre 80 % il y a deux ou trois ans”, avance Bernard Marty. Frédéric Bonneton s’en félicite : il assure qu’un système qui repose sur le seul fixe est “totalement pervers”. Le variable a en effet la faculté de faire en sorte que les commerciaux ne s’endorment pas. Il n’empêche que certaines entreprises ne l’ont toujours pas adopté. Y compris des grands groupes. Dans ce cas-là, puisqu’ils n’encouragent pas leurs commerciaux par le biais du variable, “ils doivent les motiver par des perspectives d’évolution en interne, les former et développer une très bonne gestion de leur rémunération fixe, explique Laurent Termignon. Il vaut mieux bien gérer son fixe et proposer un parcours évolutif plutôt qu’avoir un mauvais variable.” Si le variable se généralise, en revanche, individuellement, il représente une moindre part. “Pendant longtemps, la rémunération comprenait environ 60 % de fixe et 40 % de variable. Aujourd’hui, on serait plus proche de 80 % de fixe et 20 % de variable”, indique Bernard Marty. Le fait que la prise de commande ne soit plus systématiquement au premier rang des missions des commerciaux n’est pas étranger à cette hausse du fixe. Les entreprises attendent une action sur le long terme et, à l’inverse, moins “d’agressivité” commerciale. Une tendance également liée à la reprise économique, au besoin de sécuriser et de fidéliser ses commerciaux. Pour ces mêmes raisons et aussi pour éviter que la rémunération ne s’emballe, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à définitivement rayer de la carte le commissionnement. Système qui supposait un fixe très faible et un variable non plafonné. “Il subsiste dans quelques rares secteurs comme la vente directe à domicile auprès des particuliers, note Bernard Marty, mais à ces quelques exceptions, les systèmes sont de plus en plus souvent plafonnés.” Intégrer des éléments qualitatifs Autre constat : tous secteurs confondus, le variable qualitatif fait une très nette percée. Bernard Marty évoque le cas de l’industrie lourde : “La périodicité des affaires ne permet pas de fixer des objectifs individuels quantitatifs. Dans le passé, les ingénieurs d’affaires bénéficiaient de primes annuelles. Aujourd’hui, les entreprises du secteur les formalisent de plus en plus à travers un système mécaniste qui repose sur un variable qualitatif.” Le secteur de la grande consommation n’échappe pas au phénomène. “Les vendeurs ne sont plus en prise avec les commandes, alors indexer leur variable uniquement sur le chiffre d’affaires n’est plus pertinent. Les entreprises doivent intégrer du variable qualitatif”, indique le consultant senior de Hay Management. Mais attention, le danger est, ici, la dérive “subjective”. Les indicateurs de mesure du variable qualitatif doivent être précis et “facilement mesurables”, met en garde Bernard Marty : l’entreprise peut, par exemple, demander à ses commerciaux de recueillir des infos sur les niveaux de prix pratiqués par la concurrence, sur les actions promotionnelles menées, sur les actions de relations publiques conduites auprès des distributeurs, etc. Les indicateurs peuvent également correspondre à différentes étapes d’un projet. Dans le cas des commerciaux en poste à l’étranger, ils peuvent être invités à collecter des informations sur les prescripteurs qui opèrent dans le pays, sur le niveau d’investissement prévu par les clients dans l’année, sur les circuits de décision qui sont en vigueur chez les clients. “Plus on est précis dans les critères, souligne Bernard Marty, plus on évite les risques de subjectivité.” L’autre moyen d’éviter les “notes de gueules” prévient Laurent Termignon, “c’est de faire en sorte d’avoir un management aguerri”. De former l’entreprise et la sensibiliser au système de variable qualitatif qu’elle met en place. Mais aussi de la former à la façon dont il faut apprécier et coacher un commercial, aux moyens de développer le feed-back, etc. Parce que la réussite du variable qualitatif passe par une proximité entre le management et le terrain, il va de soi qu’il est moins adapté aux organisations qui fonctionnent à distance. C’en est fini des mercenaires ! Autre tendance : “les entreprises panachent de plus en plus le variable individuel et le variable collectif”, indique Bernard Marty. À l’exception des structures dont la force de vente est totalement éclatée et compartimentée, c’en est fini des systèmes purement individuels qui développaient l’esprit de mercenaire ou franc tireur. Désormais, les entreprises cherchent à développer le partenariat au sein de la force de vente, à favoriser les échanges d’informations. “Le variable collectif encourage, par exemple, un commercial qui vient de faire un contrat sur sa région à informer ses collègues que le client en question envisage de s’équiper sur toute la France”, illustre Bernard Marty. Néanmoins, le variable individuel doit rester dominant pour ne pas démotiver les meilleurs éléments. Au-delà de la force de vente à proprement parler, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à intégrer une partie variable dans la rémunération des employés qui, de près ou de loin, participent à la réalisation des affaires : des commerciaux sédentaires, des assistantes commerciales qui travaillent en binôme, prennent les commandes, etc. Mais aussi des équipes marketing, des services logistiques et après-vente, des techniciens qui appuient les commerciaux dans la vente, et même – dans l’industrie lourde – des juristes qui élaborent les contrats. Le montant relatif est bien évidemment plus faible que pour les ingénieurs d’affaires, mais la démarche est là. Un bonus sous la barre des 100 % Certaines pratiques, plus isolées voire originales, font leur apparition. Ça et là, des entreprises récompensent les commerciaux dont le chiffre d’affaires réalisé augmente par rapport à l’année précédente, sans que celui-ci ait obligatoirement atteint son objectif. “J’y suis opposé, tranche Éric Schuler, un objectif est fait pour être atteint et si possible dépassé.” Le représentant de chez Hay Management abonde dans ce sens : “Ce n’est pas souhaitable, c’est même une mauvaise chose. Celui qui a réalisé une excellente année pour des raisons liées au marché aura peu de chance de réitérer ce score. En revanche, il suffira à un commercial ayant fait un mauvais score de réaliser une année moyenne pour décrocher le jack pot.” En adoptant un tel discours “peu lisible, peu clair”, l’entreprise risquerait de “décrédibiliser la notion d’objectif qui doit avoir un véritable sens”. Bernard Marty est en revanche favorable aux bonus qui démarrent en-dessous de la barre des 100 % d’objectifs atteints, “de façon à ne pas démotiver en fin d’année un commercial qui ne pourrait pas l’atteindre et qui serait alors tenté de faire du frigo”. L’entreprise peut envisager par exemple de démarrer à 80 % avec une courbe d’abord assez plate qui augmente de façon exponentielle. Rémunération et stratégie commerciale Pour ce qui est du mode de versement, les pratiques évoluent aussi : “On raisonne de plus en plus souvent au quadrimestre ou au trimestre en adoptant un système de linéarisation du variable, de façon à éviter les à-coups”, explique le directeur associé de MCR Consultants. Un système qui requiert de calculer de façon rigoureuse la périodicité. “Cela permet de rassurer les commerciaux tout en conservant une approche dynamique.” Cette nécessaire mise à plat, cette refonte régulière de l’ossature du système de rémunération n’exclut en rien de modifier chaque année le poids respectif de chaque objectif qualitatif et quantitatif, compte tenu de la stratégie commerciale de l’entreprise. “Chaque année, l’entreprise définit de nouvelles priorités commerciales : elle met l’accent sur certains clients, sur un type de produit, prend des parts de marché à un concurrent, etc. Ces priorités doivent entraîner des corrections sur le système de rémunération”, explique Éric Schuler. Il faut que la stratégie commerciale de l’entreprise soit cohérente avec la politique de rémunération, que les intérêts de l’entreprise et de ses commerciaux convergent. En tout état de cause, prévient Laurent Termignon, “ce qui serait une erreur, c’est de penser que le petit truc qui marche chez mon voisin va marcher chez moi”. Il en va des tendances en matière de rémunération comme de celles de la mode : pour éviter le ridicule, il faut les connaître et en même temps savoir les oublier. Les entreprises doivent avant tout raisonner à leur niveau, en fonction de leur secteur d’activité et surtout de leur culture d’entreprise. Communiquer sur le changement : ce qu’il faut dire et comment… Si revoir le système de rémunération de ses commerciaux est d’ordre stratégique, il n’empêche qu’il nécessite, dans les faits, de sensibiliser la force de vente aux raisons du changement. Modifier un système de rémunération ne se fait pas en catimini. Et une fois la décision prise, l’entreprise doit tenir compte des aspects légaux. Celle qui modifie de façon substantielle le contrat de travail, doit par conséquent “toujours recourir à l’accord préalable individuel des salariés et impliquer les organisations représentatives des salariés dans la négociation”, insiste Frédéric Naquet, avocat au barreau de Paris. Mais au-delà de cette contrainte légale, l’entreprise a tout intérêt à justifier la nécessité de modifier le système de rémunération en place. Et là, plus les commerciaux sont habitués à ce que l’entreprise fasse évoluer le système de rémunération, mieux le message passe. Communiquer, certes, mais quand ? Et pour dire quoi ? En fait, tout dépend de la raison qui motive le changement. Thierry Magin, directeur associé du cabinet MCR Consultants, distingue deux cas de figure. Le système en place peut être “mal fichu, techniquement pas performant”. Dans ce cas, si l’évolution proposée par la direction est défavorable aux commerciaux, l’entreprise va devoir user de beaucoup de doigté pour faire comprendre les changements. L’entreprise peut également réagir au “développement de l’environnement ou du marché”. Dans ce cas, l’évolution apparaît avec plus d’évidence et le message est simple : expliquer pourquoi et comment on modifie le système, justifier la suppression ou l’ajout de tel ou tel objectif. À ce stade, l’entreprise peut solliciter l’avis de la force de vente ou du management. Parallèlement, elle doit mettre en face des moyens. “Dans le cas d’une forte augmentation des objectifs commerciaux, l’entreprise peut, par exemple, instaurer des petits déjeuners clients afin de faciliter le développement des affaires”, explique Thierry Magin. Puis, au-delà de l’effet d’annonce, il faut faire vivre son système et communiquer de façon régulière, collectivement et individuellement. Les entreprises qui mettent en place un variable collectif doivent être plus vigilantes : car si les commerciaux suivent de près leur variable individuel, ce n’est en général pas le cas avec leur variable collectif. Et faute de communiquer, il peut vite “tomber à l’eau”. La solution consiste à faire avec chacun des points sur la prime collective, la situer par rapport à l’objectif, par exemple. Dans tous les cas, “il faut de la cohérence, tenir un discours unique”, insiste Thierry Magin. Nicolas Chatenier, pdg de Decat, raconte qu’en interne, la mise en place du nouveau système s’est bien passée car très objectif. “En revanche, j’ai dû batailler ferme avec les partenaires de l’entreprise, avocats, experts-comptables, etc.” Les freins ne viennent pas toujours de là où on les attend… Modification de la rémunération : les droits et les devoirs Trois questions à Frédéric Naquet, avocat au barreau de Paris Moderniser le système de rémunération des équipes commerciales, c’est bien. Le faire dans le cadre défini par la loi, c’est obligatoire. En effet, le droit du travail ne plaisante pas avec le porte-monnaie des salariés, et la marge de manœuvre de l’employeur est réduite à sa plus simple expression. Action Commerciale : Quelles précautions prendre lorsque l’on décide de modifier le système de rémunération de ses commerciaux ? Frédéric Naquet : Il faut recueillir leur accord préalable, individuellement, même si le changement intervient au niveau de toute l’équipe. Le salaire est en effet un élément essentiel du contrat, au même titre que la durée du temps de travail, la fonction et le lieu d’exécution. Cela signifie que l’employeur ne peut imposer de changement sur ces différents points contre l’avis du salarié. Son accord doit être recueilli par écrit, en respectant un délai de prévenance d’un mois. De plus, le système de rémunération doit être le même pour tous, à qualification égale. Pour s’affranchir autant que possible de ces contraintes, l’employeur a intérêt à envisager dès la signature du contrat de travail la possibilité de ce changement. A.C. : Faut-il passer par les mêmes étapes si l’on envisage simplement de modifier la partie variable de cette rémunération ? F.N. : En effet. Il n’est pas non plus possible de remettre en cause les primes sans recueillir l’accord du salarié. Le mode de rémunération est au même titre considéré comme un élément substantiel du contrat de travail : le modifier passe par la signature d’un avenant. C’est la raison pour laquelle il faut prévoir au moment de la rédaction du contrat initial la possibilité de revoir chaque année les primes. Mais attention ! Les objectifs fixés aux commerciaux sont toujours négociés, et non pas fixés unilatéralement par la direction. Le commercial peut arguer du fait que l’objectif est excessif et le refuser. A.C. : Un commercial qui rejette une modification de son système de rémunération est-il toujours dans son droit ? F. N. : Pas forcément. S’il la refuse alors que l’employeur peut démontrer qu’elle se justifie, une telle attitude peut être le motif d’un licenciement pour faute grave. C’est, là encore, au juge prud’homal de trancher : le problème vient du fait qu’il n’existe pas une liste exhaustive de ce que l’on a le droit de refuser, de ce que l’on doit accepter. Ce sont les tribunaux qui décident, au cas par cas…
Zoom : Nicolas Chatenier, pdg de Decat La société Decat fabrique des objets de communication, porte- clefs, médailles, insignes, etc. personnalisés au nom d’entreprise. Située à Paris, elle compte une dizaine de salariés, dont deux commerciaux, “bientôt trois” précise son jeune pdg Nicolas Chatenier. En janvier dernier, un nouveau système de rémunération de ses commerciaux est entré en vigueur. L’objectif de Nicolas Chatenier était de développer chez ses commerciaux le souci de la marge dégagée, de façon à éviter les situations extrêmes, avec une rémunération “monstrueuse” et une marge dégagée faible. Dans l’ancien système, les commerciaux (juniors) bénéficiaient d’un fixe de 7 500 F et d’un variable de 5 % indexé sur le chiffre d’affaires sans plafond. Le fixe n’a pas évolué. Le variable dépend, lui, désormais, de “trois indicateurs principaux : le chiffre d’affaires rapporté, la marge dégagée et le type de client, nouvellement démarché par le commercial, prescrit par l’extérieur ou existant”. En fin de mois, le montant des commandes “et non pas le montant encaissé” est réparti sur les trois types de clients. Le chiffre d’affaires et la marge générés dans chacune des catégories déterminent un coefficient, qui est ensuite appliqué à respectivement 100 %, 50 % et 25 % du chiffre d’affaire réalisé avec les nouveaux clients, les clients prescrits et les clients existants. Des risques de subjectivité ? “Non, la classification des clients est extrêmement précise, insiste le jeune pdg. Pour le moment, il est un peu tôt pour mesurer les résultats sur l’activité. Les commerciaux semblent avoir bien intégré l’importance que revêt désormais la marge. En terme de chiffre d’affaires, il doit encore faire ses preuves.” Le prix de revient de ce nouveau système de rémunération des commerciaux s’élève à environ 50 000 F, “ce qui est peu comparé au montant global des rémunérations sur un an”. Nicolas Chatenier estime qu’il a “vraiment eu raison de revoir son système”. D’autant plus que l’investissement a été pris en charge par l’État au titre du FRAC, fond régional d’aide au conseil. Demain ? Il aimerait bien introduire une notion de variable collectif.
Zoom : Alain Coulme au, directeur des ventes d’ODA L’année 2000 a vu les équipes commerciales d’ODA (pages jaunes, zoom, bleues, etc.) changer de système de rémunération. “Notre nouveau mode de calcul a essentiellement pour objectif de fidéliser nos équipes, et d’en limiter le turn over”, indique Alain Coulmeau. Et ce, notamment dans les centres d’appels de la société : la profession souffre en effet de la volatilité des équipes, du fait d’une explosion de ce secteur d’activité et des offres d’emploi inhérentes, ainsi que de la faible valorisation de ces métiers dans l’esprit de ceux qui les pratiquent, en général comme un job d’appoint. Pour garder ses téléopérateurs, Alain Coulmeau leur propose donc désormais un système “fixe + variable”, en remplacement d’un salaire constitué uniquement de primes. De plus, le système de calcul est ainsi fait qu’il donne à chacun des perspectives d’évolution de carrières et de rémunération. En effet, chez ODA, tous les vendeurs passent par la même filière : téléopérateurs débutants (avec un portefeuille constitué uniquement de prospects), puis confirmés (en charge de petits comptes), puis masters (grands comptes), avant d’aller sur le terrain, pour suivre la même progression (débutant, confirmés, masters). “Avec le système de rémunération précédent, les téléopérateurs débutants étaient moins payés que ce que nous avions prévu pour eux ; par contre, les masters des centres d’appels touchaient plus que les terrain débutants. De ce fait, la logique de notre système de progression ne fonctionnait pas. C’est ce point que notre nouvelle formule permet de corriger.” Résultat : le turn over des équipes commerciales d’ODA est quasiment négligeable, et tous les salariés concernés – sauf un –, qui étaient libres de choisir l’ancien ou le nouveau système, ont opté pour le changement.
Zoomn : E. Berthier, Crédit Lyonnais Pour le Crédit Lyonnais, Emmanuel Berthier, directeur des particuliers professionnels de Montmartre, a participé en 1998 à la refonte du système de rémunération des commerciaux. Objectifs : adopter une stratégie orientée client et faire “évoluer les mentalités”. Pour cela, deux modifications majeures ont été faites. Primo, les commerciaux sont désormais rémunérés sur la variation d''encours des produits financiers, et non sur les versements. Cela signifie que le commercial touche une prime lorsque le montant déposé sur le compte d''un client augmente entre deux dates T0 et T1 ; par contre, si entre ces deux dates, le client dépose une somme puis la retire, le commercial ne touche rien. Idem s''il se porte acquéreur d''un produit, puis y renonce. “Cette première mesure incite les commerciaux à proposer le bon produit au bon moment et au bon client. Une bonne vente est une vente qui reste, car elle satisfait le client : c''est le message que nous avons fait passer avec ce système introduisant une dose de qualitatif dans les rémunérations.” Secundo, les commerciaux sont désormais rémunérés à partir du moment où ils ont atteint leurs objectifs plancher, au lieu de l''être à chaque vente. De quoi alimenter les inquiétudes et les états d''âmes. “Ce point a été pour l''équipe de pilotage du projet celui auquel nous avons accordé le plus d''importance. Nous avons été très vigilants, prudents sur la communication par rapport à ce changement : identifier les réticences, expliquer la légitimité des objectifs à atteindre, associer les partenaires sociaux.” Le message est bien passé : les équipes commerciales affichent 24 mois plus tard un taux très supérieur au plancher fixé.