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Réussites fulgurantes : bien gérer une ascension professionnelle précoce

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À l’école comme dans la vie professionnelle, certains élèves sautent des classes. Or, connaître une réussite plus rapide que ses pairs est parfois difficile à assumer.

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Prendre la direction générale d’une entreprise à vingt-huit ans, en assurer la présidence à trente, est-ce possible ? Il n’y a, en tout cas, aucune contre-indication, de l’avis de Marc Puyoulet, directeur général adjoint de Michael Page. « En France, on pense que la sagesse et le talent professionnels s’acquièrent avec l’âge, remarque-t-il. Il n’y a qu’à voir l’âge moyen de nos présidents de la République… Pourtant, estime l’expert, des nombreuses qualités que possède un grand patron, aucune n’est l’apanage des anciens. » « Dès lors, la réussite précoce, si elle reste rare, n’est pas une chimère, renchérit Christiane Maréchal, p-dg du cabinet Lombard, spécialisé dans le conseil en outplacement et gestion de carrière. Il m’arrive de rencontrer des candidats qui, en dépit de leur jeune âge, possèdent le talent, l’ambition, la modestie, bref, l’étoffe de vrais managers. » Des forts en thème qui pourront, sans anicroche, “sauter des classes” et réussir plus tôt que les autres. « Si ces carrières fulgurantes restent assez exceptionnelles, observe Marc Puyoulet, certains secteurs y sont plus propices que d’autres. C’est notamment le cas de l’audit et du conseil, où il n’est pas rare de voir de brillants consultants devenir associés vers 30/35 ans. » De même, la Net économie a, hier, favorisé les réussites précoces, souvent suivies de revers cuisants. « Il manquait à ces jeunes managers une véritable fibre commerciale, analyse le directeur général adjoint de Michael Page. Nombre d’entre eux avaient une vision trop théorique du business ; ce n’étaient pas des vendeurs. » Car les enfants surdoués des affaires ont en commun deux qualités : ce sont à la fois des managers hors pair et des commerciaux de talent.

Seul face aux décisions

« Avant d’accepter un tel poste, prévient Christiane Maréchal, il faut bien réaliser que l’on va abandonner son métier de base. » Un manager commercial, par exemple, va cesser d’encadrer son équipe de vente pour accéder à une fonction plus globale et plus stratégique. Un choix qui, s’il est effectué prématurément, peut générer une certaine frustration. « Mais le plus délicat, reprend la présidente du cabinet Lombard, sera de supporter la solitude de la décision. » Un manager peut s’entourer, écouter les conseils avisés d’experts ou de collaborateurs mais c’est en solo qu’il tranchera en dernier ressort. « La décision ne doit en aucun cas être collégiale, estime Christiane Maréchal. Il serait dangereux de prendre des mesures sous influence. » Afin de compenser ce sentiment d’isolement – « ce qu’il y a de plus difficile à supporter », selon Manuel Conejero, le jeune p-dg de Grand Optical France – nombre de cadres fréquentent les clubs de dirigeants, propices aux échanges entre pairs. Fondatrice de Caramail, devenue directrice générale “marketing et communication” chez Lycos France, Orianne Garcia, trente ans, est membre de Croissance Plus, qui rassemble des dirigeants d’entreprises à forte croissance. « Cela me permet de dialoguer avec des managers partageant les mêmes valeurs, la même foi en l’actionnariat salarié, par exemple. » Dans la même optique, Henry Kisiel, directeur général du cabinet Leaders Trust International, suggère au manager de faire appel à un coach. « Il lui apportera un regard objectif sur ses pratiques, son style de management, ses rapports aux autres, etc., argumente-t-il. Il ne se contentera pas de parler au champion ; il s’adressera aussi à l’individu. De temps à autre, il est bon de prendre un peu de distance, de descendre de son vélo pour se regarder pédaler ! »

Du temps pour se former

Se frotter au regard critique d’autrui : quand on a brûlé certaines étapes du parcours canonique, cela relève de la nécessité. C’est aussi le rôle de la formation continue, la Roll’s, en la matière, étant bien entendu l’Executive MBA (le CPA d’HEC ou le MBA de l’Essec, par exemple). « Pour bien gérer sa réussite prématurée, reprend Henry Kisiel, le jeune manager doit garder l’envie de se perfectionner. Il lui faut parvenir à se réserver un peu de temps pour sa formation. » L’intérêt de la démarche ? Il ne réside pas seulement dans l’apport de compétences nouvelles. Comme l’indique le porte-parole de Leaders Trust International, « les amphithéâtres sont peuplés de managers de haut niveau qui, tous, possèdent déjà un bon bagage et viennent ici pour se confronter à d’autres professionnels ». Ex-opticien entré chez Grand Optical en tant que responsable de magasin, Manuel Conejero a réalisé un parcours sans faute au sein de la filiale du groupe GrandVision. Après avoir été promu directeur régional, directeur des magasins, puis des opérations, il est appelé à la direction générale de l’enseigne à l’âge de trente-quatre ans. Une offre qu’il commence par décliner, et qu’il n’acceptera, finalement, qu’à condition de suivre une formation au CPA. De l’aveu même de ce manager précoce, « une ascension rapide est génératrice de stress. À l’époque, se souvient-il, l’enseigne employait un millier de salariés et totalisait près de 120 millions d’euros de chiffre d’affaires. N’ayant ni l’expérience ni les diplômes d’un patron lambda, je me suis posé beaucoup de questions sur mon accession au poste de directeur général. Je me suis tout simplement demandé si c’était une bonne chose pour la société ! » Une question qui n’est pas restée sans réponse : depuis 2001, Manuel Conejero occupe le fauteuil de président de Grand Optical France et la croissance de l’entreprise n’en a pas souffert, bien au contraire. Quant au jeune p-dg, il s’avoue « pleinement épanoui » dans ses nouvelles fonctions : « Après avoir changé de poste tous les dix-huit mois, je peux – enfin – raisonner sur le long terme. Je prends plaisir, désormais, à assumer les décisions que j’ai prises il y a cinq ans, de même que j’apprécie de pouvoir réfléchir à ma vision de l’entreprise en 2008. Quand on a la chance, comme moi, d’avoir connu des débuts professionnels rapides, il faut en profiter pour entreprendre, ensuite, des chantiers de longue haleine et pérenniser ainsi sa carrière. »

Continuer à progresser

Car c’est bien là le piège de ces démarrages sur les chapeaux de roue : rien ne sert de partir plus tôt que les autres si c’est pour perdre, plus tard, la cadence et se faire rattraper, voire distancer, en milieu de carrière ! Selon Marc Puyoulet, « le pouvoir précoce est extrêmement difficile à assumer. Pourquoi ? Parce qu’il faut continuer à progresser durant les vingt à trente années de carrière restantes, et ce dans un contexte éminemment changeant où tout peut basculer en quelques instants. » Pour éviter les lendemains qui déchantent, il est évidemment crucial de garder la tête froide. « Il est bon de se rappeler qu’une ascension professionnelle est le résultat de beaucoup de travail, d’un véritable talent et aussi d’une bonne dose de chance, souligne Christiane Maréchal. Quand on a cela en tête, on retrouve une certaine humilité. » Un avis que conforte Marc Puyoulet (Michael Page), qui croit aux vertus des échecs : « La meilleure chose qui puisse arriver à un manager qui a pris la grosse tête est de subir un revers ! » Quant à Henry Kisiel (Leaders Trust International), il conseille aux candidats de ne pas changer trop fréquemment de poste ou d’entreprise. « Mieux vaut, selon lui, attendre la fin d’un cycle complet – deux à trois ans au minimum –, ce qui permet de dresser un vrai bilan de son action et de sa maturité professionnelle. » Manuel Conejero est aussi de cet avis. « Ces dernières années, les chasseurs de têtes m’ont fréquemment sollicité, allant parfois jusqu’à me dire qu’il n’était pas bon que je reste plus de trois ans dans ma société, confie le p-dg de Grand Optical. Mais moi, je voyais les choses autrement : j’avais envie de ralentir le cours des événements. »

Lutter contre l’ennui

Raisonner sur le long terme, passer de l’action à la réflexion, du tactique au stratégique : c’est, au fond, la principale motivation de ces jeunes dirigeants, qui tous semblent avoir deux bêtes noires : l’ennui et la sclérose. « Il n’y a aucune solution pour les éviter, affirme Manuel Conejero (Grand Optical), si ce n’est de se mettre continuellement en difficulté. Pour ma part, je consulte ma base, je reste à l’écoute de toutes les demandes, revendications, suggestions… » « La réussite fait que l’on vous accueille partout en VIP, sourit, de son côté, Orianne Garcia (Lycos France). Au bout d’un moment, paradoxalement, cela devient presque pesant… Alors, je m’efforce de me mettre en danger en découvrant de nouvelles choses. » Et d’évoquer ces émissions de télévision auxquelles elle participait, jusqu’à il y a peu, en tant qu’animatrice ou chroniqueuse. « C’est mon moyen à moi de lutter contre la routine. »

Témoignage

Olivier Motteau, p-dg de Timberland France « Ce qui m’a fait avancer, c’est de pouvoir contribuer à l’élaboration de la stratégie » Directeur commercial de Timberland France à trente-trois ans, “country manager” à trente-six et, aujourd’hui, p-dg à trente-neuf : la carrière d’Olivier Motteau est déjà bien remplie. « Je n’ai jamais rencontré de difficultés directement liées à mon âge, affirme-t-il sans ambage. Et si l’expérience m’a parfois fait défaut, j’ai toujours compensé en prenant conseil auprès de mes proches : mon p-dg, des consultants, amis, etc. » De plus, le jeune manager a suivi, à l’Essec-IMD, quatre modules en marketing et en management international, ainsi qu’une formation en gestion du temps. « J’aimerais, à l’avenir, continuer ma formation. Échanger avec d’autres dirigeants, bénéficier de leur vision, de leur expérience : tout cela me passionne. » Et après ? « J’ai envie d’avoir toujours plus de manettes dans les mains : le marketing, la communication, le style, etc. Ce qui me stimule, c’est la vision stratégique à long terme. Tant que j’aurai cela, je n’aurai pas l’impression de m’ennuyer ou de stagner. »

Témoignage

Orianne Garcia, directrice générale de Lycos France, en charge du marketing et de la communication « Le plus difficile ? La gestion des hommes ! » Dire qu’Orianne Garcia a eu une réussite précoce est un euphémisme : c’est à vingt-neuf ans que la jeune femme, cofondatrice de Caramail avec deux de ses amis, s’est retrouvée à la direction générale de Lycos France. À la tête d’une équipe de deux cents personnes, sa première mission consistait à mener à bien… un plan social ! « Ce fut difficile, avoue-t-elle. Je l’ai fait parce qu’il en allait de l’intérêt général de l’entreprise. Et puis, je ne me suis jamais sentie seule car j’ai toujours été soutenue par mes deux associés. » Quand on l’interroge sur les conséquences de son jeune âge, Orianne Garcia, qui préfère parler de « courte expérience », se souvient : « J’ai dû apprendre plus vite que les autres. Mes principales erreurs ? Elles sont liées à la gestion des hommes, sans doute. J’étais trop impatiente, j’avais du mal à comprendre que les gens n’agissent pas comme si cette société était la leur, etc. Autant de choses que j’ai rapidement été obligée d’accepter ! »

À retenir

- Pour bien vivre une telle ascension professionnelle, il convient de réaliser que l’on va abandonner son métier initial au profit d’une mission stratégique. - Le plus difficile ? Le sentiment de solitude face à la décision. L’échange avec d’autres dirigeants ou l’aide d’un coach peuvent être une aide. - Il convient aussi de continuer à se former. - Pour garder la tête froide, il est important de rester humble et de savoir, de temps à autre, se mettre en danger.

 
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Stéfanie Moge-Masson

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