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Argument de vente. L’éthique sur l’étiquette : une utopie rentable

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En B to B comme en B to C, les clients sont de plus en plus sensibles à l’argument éthique. Les entreprises l’intègrent à leur stratégie commerciale.

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Le 17 février dernier, Canal Plus diffusait un documentaire sur le commerce équitable. Une première à la télévision. « Les médias français sont encore en retard sur le sujet, explique Victor Ferreira, directeur de l’association qui gère le label Max Havelaar, garantie du commerce équitable. Cependant, la notoriété du commerce équitable progresse. » Les résultats de l’étude menée par Ipsos en octobre 2002 le confirment : 32 % des Français déclarent connaître le concept, contre 24 % en 2001. Et, parmi eux, 41 % disent avoir acheté, au moins une fois, un produit “équitable”, contre 34 % en 2001. Une tendance corroborée par la progression des ventes du café équitable : selon Max Havelaar, elles auraient crû de 50 % en 2002. « Une croissance exceptionnelle au regard de la courbe globale du café », observe Victor Ferreira. L’éthique deviendrait-elle rentable ?

Un élément de différenciation

« Là n’est pas sa finalité, rétorque Thierry Raes, associé en charge du département développement durable du cabinet de conseil PriceWaterhouseCoopers. Mais l’éthique ne peut être que profitable à une entreprise. » Un avis que partage Élisabeth Laville, cofondatrice d’Utopies, cabinet de conseil en stratégie et en citoyenneté d’entreprise : « Être attentif à ses clients et à ses salariés, c’est s’assurer leur fidélité. Cela va donc dans le sens de la performance de l’entreprise. » À l’inverse, ne pas se soucier d’éthique lui serait préjudiciable. « Un accident social ou environnemental ternit l’image d’une entreprise et peut entraîner de lourdes conséquences financières », rappelle Thierry Raes. Mais toutes les entreprises ne souhaitent pas mettre en avant leur engagement éthique dans leur stratégie commerciale et marketing. « Communiquer sur son engagement éthique peut créer une confusion dans l’esprit des consommateurs, qui se demanderont alors comment l’entreprise fonctionnait jusque-là », explique le porte-parole de PriceWaterhouseCoopers. Un risque qu’Interface, leader mondial des fabricants de revêtements de sol, n’a pas hésité à prendre. Depuis huit ans, la société s’efforce de respecter ses engagements responsables, du fonctionnement des usines aux matériaux utilisés, en passant par le traitement des déchets. Et ça marche…

Un plus dans la négociation

« À condition de rester concurrentiel, l’argument éthique peut faire pencher la balance en fin de négociation, particulièrement avec les grands comptes, qui intègrent désormais cette notion dans leur cahier des charges », déclare Bruno Sevin, responsable du marketing opérationnel d’Interface. Et pour cause : la loi sur les nouvelles régulations économiques, adoptée en mai 2001, fixe l’obligation, pour les sociétés françaises cotées sur un marché réglementé, de rendre compte, dans leur rapport annuel, de la gestion sociale et environnementale de leur activité. « Pour répondre aux appels d’offres de ces entreprises, mieux vaut, donc, leur proposer des produits respectueux du développement durable, sans quoi on risque de perdre le marché », assure Thierry Raes. De là à bâtir l’ensemble de son argumentaire commercial sur la notion d’éthique, il y a un pas, que Bruno Sevin ne franchira pas. « L’éthique n’est, aujourd’hui, qu’une composante de la stratégie commerciale », insiste-t-il. En effet, mises à part quelques entreprises comme Ben & Jerry’s, The Body Shop, Nature et Découverte ou encore Patagonia, qui ont fait de leur démarche éthique la pierre angulaire de leur communication, la majorité des sociétés intègrent l’argument éthique au mix marketing, au même titre que le prix, le packaging ou encore la promotion des ventes. “L’engagement éthique devient alors une variable additionnelle aux variables traditionnelles du marketing”, explique dans son ouvrage, La Marque face à l’éthique*, Édouard de Broglie, directeur de la cellule management éthique chez Young & Rubicam, agence de publicité et de conseil en marketing.

Sensibiliser les vendeurs au message

Encore faut-il que les commerciaux l’intègrent à leur argumentaire de vente. Or, c’est loin d’être un réflexe. « Nos vendeurs peinent encore à relayer le message sur le terrain », reconnaît Bruno Sevin, chez Interface. Pour y remédier, l’entreprise a formé, en 2002, ses forces de vente au concept du développement durable. « Il est essentiel de leur expliquer ce concept, renchérit Élisabeth Laville, cofondatrice du cabinet Utopies, afin qu’ils puissent le répercuter auprès de leurs clients. » D’autant que cette mission devrait, selon la spécialiste, prendre de l’ampleur dans les années à venir : « À terme, les vendeurs devront devenir des conseillers en développement durable, capables de convaincre leurs clients qu’en achetant éthique, ils pourront à leur tour communiquer sur leur engagement. » Un argument qui ne devrait pas les laisser insensibles. (*) La Marque face à l’éthique, Guide du marketing durable, par Édouard de Broglie, Éditions Pearson-Village mondial, décembre 2002, 320 pages, 27 euros.

Témoignage

Éric Flamand, responsable du développement durable chez Dexia « Les produits éthiques semblent plus rentables que les autres » « Il y a trois ans, il existait une dizaine de fonds durables en France. On en compte aujourd’hui près d’une cinquantaine », lance Éric Flamand, responsable du développement durable chez Dexia, groupe bancaire spécialisé dans le financement du secteur public local, la banque de détail et la gestion d’actifs. Une montée en puissance qui répond, avant tout, à une demande des consommateurs. « Le développement durable n’est pas un effet de mode. Les Français manifestent une réelle attente. » Une attente qui n’est pas seulement motivée par la philanthropie des investisseurs. « L’année 2002 a été très mauvaise pour l’ensemble des fonds de placement. Or, on constate que les produits éthiques ont moins souffert que les autres sur le plan de la rentabilité financière. » Est-ce à dire que les produits éthiques sont plus performants ? « On est, en tous cas, tenté de le croire, même si on ne pourra réellement l’apprécier qu’à long terme. »

Témoignage

Tristan Lecomte, président-fondateur d’Alter Eco « Il ne suffit pas d’être équitable pour attirer les clients » On ne présente plus Tristan Lecomte. À 28 ans, cet ancien de L’Oréal est l’heureux fondateur d’Alter Eco, qui commercialise sept gammes de produits issus du commerce équitable (cafés, chocolats, thés, sucres, riz, jus de fruits et produits non alimentaires). Heureux, et lucide. « Il ne suffit pas d’être équitable pour gagner les faveurs des clients. Ce qu’ils recherchent, c’est la qualité. » Quant au mix marketing, il répond aux mêmes impératifs que pour n’importe quel produit. « Nous avons testé nos emballages auprès des consommateurs, et nous en avons concluqu’il nous fallait être plus attractifs. » Des efforts qui se révèlent payants : les produits Alter Eco se vendent, et bien. « Depuis mars 2002, date à laquelle nos produits sont apparus dans les rayons de Monoprix, les ventes ont doublé, se réjouit Tristan Lecomte. Et la courbe continue de croître. » 850 000 euros de chiffre d’affaires la première année, cela laisse, en effet, présager un bel avenir. Il n’en fallait pas plus pour convaincre une seconde enseigne de référencer les produits Alter Eco. À partir d’avril, on trouvera l’ensemble de la gamme dans les magasins Cora.

À retenir

- En B to B et en B to C, les clients sont de plus en plus sensibles aux engagements des entreprises en matière de développement durable et d’éthique. Ces dernières doivent répondre à de nouvelles exigences législatives en la matière. - La finalité première du développement durable n’est pas la rentabilité. Cependant, le négliger aurait, à coup sûr, des retombées négatives pour l’entreprise. - Lors d’une négociation, l’engagement éthique d’un fournisseur peut faire pencher la balance. Cependant, il n’est qu’une composante de l’argumentaire commercial. - Les entreprises ont encore un gros travail de pédagogie à réaliser auprès de leurs forces de vente, afin de les sensibiliser au message.

 
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Maud Aigrain

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