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Boire pour mieux vendre: une habitude prend l'eau

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Repas d'affaires, contrats copieusement arrosés, soirées entre collègues... Pour un commercial, nombreuses sont les occasions de trinquer. Or, peut-on faire des affaires sans boire? En tout cas, la prise de conscience des dangers liés à l'alcool dans le cadre du travail est réelle.

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«Comme tous les commerciaux autour de moi, j'étais, à longueur de journée, complètement imbibé d'alcool. A tel point que je sentais le Ricard à plein nez, même le matin à jeun, alors que je n'en avais pas encore bu une seule goutte...», confie Franck Daniel, ex-commercial de Ricard, dans son livre Dealer légal. A l'époque, dans les années 90, pas question pour lui de traiter une affaire sans boire avec le client. Ce qui était d'autant plus aisé qu'il vendait justement... de l'alcool! Bien sûr cette technique de vente n'est pas enseignée dans les écoles de commerce, mais pour «mieux vendre, je n'hésitais jamais à trinquer trois ou quatre fois, aussi bien avec les patrons de bars, d'hôtels ou de restaurants qu'avec des responsables de rayon dans la grande distribution. En résumé, je saoulais mes acheteurs pour faciliter les négociations», témoigne-t-il encore. Une méthode terriblement efficace, mais dangereuse, qui l'a conduit à sombrer dans l'alcoolisme.

Jean-Paul Jeannin, consultant en addictologie au sein de la société Arcom formation, confirme qu'en effet «l'alcool désinhibe et facilite les échanges verbaux. Ce qui peut s'avérer utile dans le cadre d'une négociation commerciale». «La méthode Franck Daniel» n'est pas reconnue officiellement par le groupe Ricard qui n'a pas souhaité s'exprimer sur ce sujet. Chez Bacardi Martini France, en revanche, pas de tabou sur l'alcool. Le distributeur du fameux rhum Bacardi reconnaît effectivement que ses commerciaux sont davantage que d'autres exposés aux dangers de l'alcool, d'où une sensibilisation qui commence dès l'entretien d'embauché! «Avant de décider de recruter un vendeur, nous lui expliquons certaines règles, et notamment qu'il aura à signer, en annexe à son contrat de travail, une charte de bonne conduite qui lui interdit entre autres de boire dans le cadre d'une vente», précise Sophie Esnault, responsable des ressources humaines. Une fois recruté, le commercial reçoit une formation de cinq semaines au cours de laquelle sont évoqués, à côté des techniques de vente, la notion de consommation responsable et ce qu'induit de travailler pour la marque. Et la société distribue même des éthylotests à ses commerciaux qui sont priés de les utiliser avant de prendre leur voiture...

Mais le problème de la consommation d'alcool ne concerne pas uniquement celui qui en vend. «Il est clair que les commerciaux constituent une population à risque. D'autant qu'en France, le vin joue un rôle social important dans les relations humaines, et donc dans la vente», précise Patrick Fouilland, addictologue et président de la Fédération des acteurs de l'alcoologie et de l'addictologie (F3A). Eric, manager commercial à l'international dans une importante société d'export, estime que ses vendeurs sont confrontés à des sollicitations auxquelles il leur est difficile de se soustraire. «Après une journée de travail, le commercial se retrouve seul dans sa chambre d'hôtel. Il peut être tentant pour lui d'accéder au mini-bar. D'ailleurs, les notes de frais en témoignent.» Et de se rappeler le cas du commercial d'un de ses fournisseurs qui avait directement établi son bureau... dans un café! «Une buvait pas systématiquement, mais nous étions sûrs de l'y retrouver attablé et les affaires se traitaient de cette manière!» Vraiment impensable pour Johan Dereux, p-dg de Louhann, une société qui vend des produits de beauté. «Il n'est pas question que je sois privé d'un commercial à cause d'un retrait de permis à la suite d'une consommation excessive d'alcool», assène ce patron d'une douzaine de vendeurs. Dès lors, son discours est clair: alcool et voiture ne sont pas compatibles. Pour autant, il avoue que c'est mieux pour les affaires de recevoir un client autour d'une bonne table. «Notre culture nous l'impose! C'est pourquoi, plutôt que d'interdire totalement le vin, je préfère prôner une consommation responsable. En l'expliquant à mes collaborateurs, je fais appel à leur vigilance.»

Johan Dereux, p-dg de Louhann

«Plutôt que d'interdire totalement le vin, je prône une consommation responsable.»

Prise de conscience

«Il existe une réelle prise de conscience à la fois au sein des entreprises, mais aussi auprès des commerciaux», indique Jean-Paul Jeannin (Arcom formation). Un constat partagé par Didier Le Bras, dirigeant de Supenergie, société d'externalisation de fonction RH dans les entreprises. «Depuis trois, quatre ans, j'ai noté une évolution chez mes clients. Avant, il n'était pas rare de terminer une rencontre en fin d'après- midi par un apéritif. Ce n'est plus le cas». Autre exemple, le port autonome du Havre a interdit toute consommation d'alcool sur le lieu de travail, aux commerciaux comme aux autres employés. Une petite révolution dans un univers très masculin et habitué à la «convivialité de l'alcool». Mais pour Franck Daniel, ces mesures et cette prise de conscience arrivent trop tard. Les médecins lui ont retiré dix centimètres d'intestin usé par l'alcool et il a été déclaré inapte à son poste. Par la suite, son employeur l'a licencié après onze années de collaboration. Aujourd'hui, il se bat pour qu'on reconnaisse le caractère professionnel de sa maladie.

Le témoignage de Bruno Marion, directeur associé de la société de Conseil Europacific Management et auteur de Réussir avec les Asiatiques Réussir avec les Asiatiques, Editions d'Organisation, 28 euros, 225 pages.

«En affaires, les Asiatiques font tout pour vous inciter à boire»


Les commerciaux qui débarquent en Asie font la douloureuse expérience des virées nocturnes avec leurs clients ou prospects. «Au Japon, en Corée et en Chine, afin de mieux vous connaître, votre interlocuteur vous invitera dans des bars où il y aura une forte incitation à boire. Si vous ne buvez pas, ils considéreront que vous n'êtes pas sincère !» Pourtant, il existe un moyen de ne pas boire sans offenser vos hôtes. «Si vous ne buvez pas, vous devez en revanche montrer que vous êtes très content d'être là. Ainsi lors du traditionnel karaoké, vous devez chanter un peu fort avec des gestes les plus ridicules possible.» Un autre moyen est de les emmener sur votre terrain. Culturellement, les Asiatiques supportent moins bien le vin et tiennent moins longtemps. Une façon d'abréger un peu plus vite la soirée!

A lire

Dealer légal Par Eric Coder, Editions Max Milo, 16 euros, 190 pages.

 
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Laurent Bailliard

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