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Droit. Harcèlement moral : prévenir plutôt que guérir

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Afin d’éviter les plaintes pour harcèlement moral, mieux vaut intervenir en amont par un management de proximité et une sensibilisation des collaborateurs.

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Les dossiers de plaintes pour harcèlement moral s’amoncellent dans les bureaux des Prud’hommes. Pourtant, rares sont les entreprises à s’être dotées d’un dispositif de prévention. La Poste est de ces exceptions. Elle a pris le problème à bras-le-corps dès que la loi du 17 janvier 2002 en a fixé les contours. « Notre réflexion a été simple, explique Raymond Llanès, directeur des relations sociales du groupe national. Nous nous sommes dit : “Ne faisons pas l’autruche, c’est un problème que nous rencontrerons !” Il valait donc mieux anticiper que subir. » Car, contrairement à une idée reçue, les plaintes pour harcèlement moral ne sont pas une fatalité. « D’abord, précise Stéphanie Savel, associée fondatrice du cabinet ASG Conseil, il faut distinguer le harcèlement avéré et l’impression de harcèlement. Car ce n’est pas la même chose ! Bien souvent, des salariés se plaignent d’être harcelés alors qu’ils subissent, en réalité, un stress important, créateur de malaise. » Si l’entreprise a la capacité de prévenir ces derniers maux, en revanche, seul un psychothérapeute est à même de lutter contre le véritable harcèlement qui provient d’une relation perverse entre le collaborateur et son supérieur hiérarchique. Mettre en place un dispositif de prévention suppose de sensibiliser l’ensemble des collaborateurs de l’entreprise au harcèlement moral. Il faut les informer et leur expliquer clairement ce qu’est le harcèlement d’un point de vue juridique et managérial. « L’objectif de cette première phase est d’homogénéiser le vocabulaire, explique Stéphanie Savel. On dépassionne le débat en montrant clairement avec quoi le harcèlement ne doit pas être confondu. » C’est d’autant plus important qu’une accusation de harcèlement relève du pénal, donc d’une peine de prison ferme pour le “harceleur”.

Diagnostiquer les sources de conflit

Une fois l’explication de texte effectuée, il s’agit de donner aux managers les clés de la prévention. Des cabinets conseil comme AZG ou Present Consulting organisent des sessions de formation avec les responsables hiérarchiques des entreprises, au cours desquels ils identifient des styles de management à même de faire naître des sentiments de malaise chez les collaborateurs. « Nous réalisons un travail sur les sources de conflit, détaille Martine Volle, la fondatrice de Present Consulting. Il est, par exemple, certain qu’un management affectif est une source importante de stress pour les salariés. C’est une culture, certes humaniste, mais dans laquelle des jeux de pouvoir et d’alliances entrent en jeu. Ce style de management n’est pas adapté à toutes les situations : lors de l’intégration d’un nouveau collaborateur, ou pour fixer des missions à ses salariés, le manager devra dépasser cette relation affective. » D’autres styles, plus autoritaires, peuvent aussi être sources de stress. Un management coercitif va engendrer une souffrance chez les salariés. Le style managérial idéal n’existe pas. L’essentiel est de savoir quel est son style, de l’accepter et d’être capable d’en changer. D’autres facteurs peuvent favoriser l’apparition de problèmes de harcèlement moral. « On sait que certains métiers très liés à la clientèle sont propices au stress, explique Stéphanie Savel. C’est le cas des guichetiers et des commerciaux. De la même manière, toutes les activités professionnelles dans lesquelles les collaborateurs jouissent d’une grande autonomie présentent un risque. » Mais l’organisation de l’entreprise elle-même peut également être en cause. Un fonctionnement en “mode projet” peut créer un malaise. Le chef de projet se retrouve, en effet, face à des collaborateurs, sans avoir nécessairement de légitimité hiérarchique par rapport à eux.

Privilégier la proximité

Une fois les sources de malaise identifiées, il convient de trouver des solutions. Celles-ci permettront d’éviter les plaintes pour harcèlement moral. La prévention repose sur deux idées majeures : travailler sur les pratiques qui peuvent être changées dans l’entreprise pour améliorer les conditions de travail et mettre en place un observatoire des problèmes de harcèlement. Côté conditions de travail, il faut avant tout imposer ce que Stéphanie Savel appelle le « management bienveillant ». « Cela consiste, pour les managers, à développer une écoute de leurs collaborateurs. Ils doivent être à la recherche de l’équité et de la non-discrimination. Et ce principe est valable pour tous les managers, quel que soit leur style. » Mais attention ! Cela ne veut pas dire renoncer à toute forme d’autorité. « Ils doivent savoir taper du poing sur la table et mettre les points sur les “i” lorsque c’est nécessaire ! », souligne Martine Volle. À La Poste, on a opté pour un dispositif efficace, mais léger. Une formation a certes été dispensée aux managers, mais sans leur demander de changer leur style : il s’agissait simplement de leur faire prendre conscience du problème et de leur donner la marche à suivre s’il survenait. « Ce n’est qu’après enquête du médecin du travail, d’une assistante sociale et d’un responsable hiérarchique du manager incriminé que nous envoyons, éventuellement, certains managers en formation, sans verser dans l’excès de zèle », indique Raymond Llanès, directeur des relations sociales du groupe. « Il ne faut pas oublier que le désaccord peut être constructif, qu’une certaine dose de conflit et de stress – mesurée – est productive », rappelle Martine Volle. Mettre en place un dispositif de prévention, c’est bien… À condition de ne pas faire de cette question un épouvantail qui enlèverait tout poids au management.

Témoignage

Raymond Llanès, directeur des relations sociales du groupe La Poste « Être exemplaire pour mieux se défendre » Avec ses 320 000 salariés, La Poste redoutait une explosion des plaintes pour harcèlement moral. C’est pourquoi elle a mis en place une procédure ad hoc.« Si un collaborateur se déclare – à tort ou à raison – victime de harcèlement, nous ouvrons une enquête, explique Raymond Llanès. Un médecin du travail et une assistante sociale interviennent en toute confidentialité. Ils ont un mois pour rédiger un rapport au responsable hiérarchique du manager accusé de harcèlement, qui doit dire si, oui ou non, le harcèlement est effectif. Dans ce cas, le manager fait l’objet d’une procédure disciplinaire. » Sur les 150 dossiers ouverts, seuls deux sont des cas de harcèlement moral avéré. « Pour tous les autres, il s’agit d’un manager qui dirige un peu “durement” ses collaborateurs, et c’est souvent dans une période de changement d’organisation du service où les habitudes des uns et des autres sont bousculées. » Le dispositif mis en place se révèle donc efficace : « Je suis persuadé que cette méthode a permis d’éviter de nombreux dossiers de harcèlement en “dégonflant” un phénomène qui aurait pu être incontrôlable si nous ne l’avions pas anticipé », analyse Raymond Llanès. Et puis, il y a un autre avantage : si un salarié va devant un tribunal pour harcèlement moral, La Poste bénéficie d’un préjugé favorable, car ce dispositif montre aux juges que le groupe s’est soucié de la question.

Avis d’expert

Emmanuel Charlot, directeur commercial de Psya, service d’écoute psychologique pour les salariés « Écouter peut suffire à désamorcer le conflit » Pour lutter contre le harcèlement moral, Psya propose un outil d’écoute psychologique. Les entreprises s’abonnent (3,50 euros HT par salarié et par an avec un minimum de 1 125 euros annuels) et leurs collaborateurs peuvent téléphoner 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 à une plate-forme d’écoute. Des psychologues diplômés répondent et diagnostiquent le problème. « Souvent, les salariés disent qu’ils sont harcelés alors qu’ils éprouvent un malaise lié à tout autre chose, un problème personnel par exemple, note Emmanuel Charlot. Si de nombreuses personnes du même service nous appellent, nous informons l’entreprise sans donner le nom des salariés afin qu’elle diligente une enquête interne. » Avec ce service, l’employeur bénéficie d’une assurance juridique avec prise en charge des frais de justice dans le cas où l’entreprise serait poursuivie.

Juridique

La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 fait du harcèlement moral un délit. L’article L122-49 du code du travail stipule qu’un salarié peut refuser de subir des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Toute rupture du contrat de travail ou toute disposition discriminatoire qui résulterait de ce refus serait considéréecomme nulle. Toutefois, ce texte a été amendé par l’Assemblée nationale le 10 décembre 2002. La charge de la preuve incombe désormais aux deux parties.

 
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Frédéric Thibaud

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