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Evaluation des salariés: jusqu'où pouvez-vous aller?

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Si l'évaluation de vos collaborateurs est devenue courante et naturelle, cela ne signifie pas pour autant qu'elle se fasse sans limite ou contrainte. Certaines règles juridiques doivent être respectées, sous peine de rendre l'évaluation illicite.

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Rappelons tout d'abord un point essentiel: l'employeur tire de son pouvoir de gestionnaire et de son pouvoir de direction la faculté d'apprécier les compétences de ses salariés et de les évaluer (Cass. soc. 10 juillet 2002, n° 00-42368). Pour autant, cette évaluation ne peut se faire sans limites ou contraintes. Aussi, indépendamment de la technique retenue par l'entreprise ou le manager, certaines règles encadrent cette pratique.

Les règles à respecter

Ces règles sont globalement de deux ordres: celles relatives à l'information des salariés et des représentants du personnel et celles concernant la finalité de l'évaluation. Sur les premières, on doit noter que le comité d'entreprise, s'il existe, doit être informé et consulté préalablement sur «les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés» (Code du travail art. L. 2323-32). Attention, le terme «consultation» ne signifie pas que l'entreprise peut se contenter de simplement informer le comité d'entreprise, car il doit y avoir une discussion et un avis (peu importe qu'il soit conforme ou non). Il y a déjà quelques années, la Cour de cassation a jugé que le CHSCT devait également être consulté lorsque l'employeur décide de mettre en oeuvre des évaluations individuelles annuelles. Cela au motif que «les évaluations annuelles [...] pouvaient avoir une incidence sur le comportement des salariés, leur évolution de carrière et leur rémunération, et que les modalités et les enjeux de l'entretien étaient manifestement de nature à générer une pression psychologique [sic] entraînant des répercussions sur les conditions de travail» (Cass. soc. 28 novembre 2007 n° 06-21964). En clair, cela signifie que, compte tenu de l'objectif même des entretiens annuels, on voit mal comment on pourrait échapper à cette consultation préalable, y compris (et même surtout) pour le ranking.

Mais ce n'est pas tout: le code du travail précise de façon très nette que le salarié doit être «expressément informé [...] des méthodes et techniques d'évaluation professionnelle mises en oeuvre à son égard» (Code du travail art. L. 12223, al. 1er). Il ajoute même que cette information doit être préalable «à leur mise en oeuvre».

L'expert

Me Stéphane Béal est avocat associé et directeur adjoint du département droit social du cabinet Fidal.

Déclaration des fichiers informatisés à la Cnil

Enfin, à cela s'ajoute une déclaration à la Commission informatique et libertés. Il faut ainsi déclarer à la Cnil tous fichiers informatisés créés à l'occasion de l'évaluation de salariés et comportant des données personnelles. Que faut-il entendre par données personnelles? Il s'agit de données, d'éléments, qui permettent d'identifier directement ou indirectement une personne physique. Pour les fichiers de ressources humaines, il est possible de réaliser une déclaration simplifiée (en référence à la norme 46).

Les fichiers papier n'ont pas à être déclarés à la Cnil. Toutefois, ils doivent être constitués et utilisés en conformité avec les principes et exigences de la loi Informatique et libertés. Les fichiers papier ou informatisés ne peuvent contenir, par exemple, que les dates des entretiens d'évaluation, l'identité de l'évaluateur, les compétences professionnelles de l'employé, les objectifs assignés, les résultats obtenus, l'appréciation des aptitudes professionnelles sur la base de critères objectifs et présentant un lien direct et nécessaire avec l'emploi occupé, les observations et souhaits formulés par l'employé, les prévisions d'évolution de carrière...

Ne pas oublier que, si le traitement est informatisé (ce qui est le plus fréquent), le salarié peut accéder à tout moment aux informations le concernant de même que les contrôleurs de la Cnil.

Les contraintes sont donc importantes, mais ne pas les respecter revient notamment à renoncer à l'effectivité des entretiens d'évaluation. En effet, si ces obligations juridiques ne sont pas respectées, l'entreprise ne pourra pas se baser sur lesdites évaluations avec un minimum de sécurité juridique (sans évoquer les contentieux où les résultats des entretiens sont de plus en plus fréquemment utilisés).

La finalité de l'évaluation

Il faut bien comprendre que la finalité de l'évaluation n'est que d'apprécier les aptitudes professionnelles du salarié. Dès lors, les informations recueillies doivent «présenter un lien direct et nécessaire avec l'évaluation de ses aptitudes». Mais, qui plus est, les informations doivent être objectives. Ainsi, les critères tels que «agir avec courage», «promouvoir l'innovation et livrer des produits fiables», «générer de la valeur pour le client», «favoriser le travail de l'équipe et l'intégration au niveau mondial», «faire face à la réalité et être transparent» et «développer mes talents et ceux des autres» doivent être exclus car non pertinents.

@ FOTOLIA / ANDREY KISELEV

Le ranking, une pratique autorisée?

C'est une méthode qui vise à évaluer des salariés placés dans des conditions similaires (aux mêmes postes) mais en établissant un classement selon des catégories. La technique du ranking a déjà été validée (Cour d'appel de Grenoble, 13 novembre 2002, RG n° 02/02794), mais à la condition que «le ranking ne contienne aucun caractère disciplinaire et ne puisse être considéré comme une étape avant la prise d'une sanction quelle qu'elle soit».

Mais attention, car certaines variantes du ranking sont contestables. C'est le cas du ranking par quotas. Cette dernière méthode consiste à classer les salariés selon des pourcentages prédéterminés, et non des critères objectifs de compétence. Ainsi, par exemple, 15 % des salariés évalués doivent être classés dans les «moins bons», 5 % parmi les «excellents», etc.

Dans une affaire qui a défrayé la chronique, une organisation syndicale a contesté le système d'évaluation établi en se fondant sur un guide distribué aux managers dans lequel figuraient des quotas ou «distribution cible» sous forme d'une courbe de répartition des salariés selon leur performance à atteindre. D'après ce modèle, les managers devaient porter à 20 % le nombre de cadres «top et high performance», limiter à 70 % le nombre de cadres dans la moyenne et amener à 10 % le nombre de cadres «low performance». Les juges du fond ont condamné sans ambiguïté ce système: il «n'est pas contesté que l'institution de quotas permettant de prédéterminer le nombre de salariés à classer dans chaque niveau de performance serait illicite» (Cour d'appel de Toulouse, 21 septembre 2011, CGT c/ SAS Société Airbus Opérations, RG n° 11/00604).

Evaluer n'est pas de tout repos, mais quitte à le faire, autant que cela serve. Respecter l'environnement juridique est donc un préalable incontournable.

 
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Stéphane Béal

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