Joubrane Ouechec directeur commercial zone Moyen-Orient de Degrémont/Suez « J'ai activé mes réseaux pour conquérir le Qatar »
Degrémont, filiale du groupe Suez, a remporté au Qatar un contrat de 260 millions de dollars pour la construction d'une usine de traitement des eaux usées. Et prend pied dans ce pays à forte croissance.
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Le Qatar est une belle victoire ! De par le montant du contrat, 260
millions de dollars, et son étendue, puisqu'il s'agit de concevoir, construire
et exploiter pour dix ans la plus importante usine de traitement des eaux usées
du pays. Cela nous permet aussi de prendre position dans ce pays. Heureusement,
car en avril 2004, Degrémont ne disposait plus de contrat en exécution dans les
pays du Golfe. J'ai donc décidé de me rendre à Dubaï et au Qatar pour organiser
une tournée de prospection. Il s'agissait pour Alain Meunier, directeur
technique chez Degrémont, et moi-même non seulement de faire connaître les
métiers de la filiale de Suez Environnement, mais aussi d'instruire le marché
sur un concept que nous tentions de mettre en place : le DBO, pour Design,
Build, Operate. Autrement dit, l'ensemble des prestations, de la livraison de
l'usine de traitement des eaux usées à sa gestion. Très vite, nous avons senti
que seul le Qatar était intéressé par le concept. Nous avons, par ailleurs,
appris que l'Autorité des travaux publics de l'État du Qatar (PWA) comptait
lancer un appel d'offres en mai 2004 pour une usine de traitement des eaux
usées. Notre démarche active, quelque temps avant l'appel d'offres, tombait
donc à pic. Elle nous a sans doute permis de marquer des points face à nos
concurrents. Pour ce contrat, nous devions nous associer à une entreprise ayant
déjà oeuvré au Qatar dans le cadre de réalisations comprenant du génie civil.
Notre choix s'est arrêté sur la société japonaise Marubeni Corporation. Même si
celle-ci ne présentait pas le meilleur profil – elle sous-traite, en effet, la
réalisation des travaux civils, ce qui alourdit la facture finale –, Marubeni
est partenaire de Qatar Gaz et dispose de liens avec l'appareil étatique.
Sachant que ce type de projet peut prendre des tournures politiques, il était
stratégique de s'allier avec quelqu'un qui pouvait, le moment venu, faire jouer
ses relations. Une fois ce partenaire trouvé, nous avons mis en place une Task
Force d'une vingtaine de personnes (ingénieurs, consultants, juristes…) afin de
réussir la première phase de l'appel d'offres : une préqualification classique
où il s'agit de présenter la société, prouver sa solidité financière et
démontrer son expérience. Seuls neuf groupes sur vingt-cinq au départ ont
franchi cette étape. Lors de la rédaction du cahier des charges, la PWA a mis
en place un système un peu particulier. L'Autorité s'est, en effet, engagée à
transmettre l'ensemble des questions posées par un candidat ainsi que les
réponses à tous les concurrents. Nous avons profité de cette opportunité pour
orienter les décisions des autres candidats en interrogeant la PWA sur des
points techniques, forçant ainsi nos concurrents à prendre en compte des
paramètres qu'ils n'auraient probablement pas intégrés. L'idée étant de les
forcer à augmenter leurs prix. J'ai deviné que nous avions deux concurrents
sérieux. Je devais donc tout savoir d'eux pour élaborer une stratégie
commerciale efficace. Le premier, la CCIC, présente au Qatar depuis 40 ans,
s'est associé à des Anglais et des Américains. Au travers de mes déplacements à
Londres et dans la région, j'ai appris, auprès de plusieurs contacts, qu'ils
étaient incapables de faire en interne la partie design et devraient donc faire
appel à des sous-traitants, augmentant ainsi leur prix. Le deuxième concurrent,
Semb Corp, un Singapourien, m'était inconnu. Comme il souhaitait se développer
dans le Golfe, notre crainte était qu'il casse les prix pour y parvenir. Il me
fallait trouver des informations sur eux ! Là encore, pas question de passer
par des cabinets de renseignements. Au travers d'une de nos filiales en
Australie, j'ai rencontré des personnes qui travaillaient pour ce groupe. Les
informations obtenues m'ont ainsi appris que la société était en mutation
depuis le décès de son président-fondateur. Leur point faible était donc
d'avoir leur nouveau président qui passerait, sans nul doute lui aussi, par des
sous-traitants. Ma quête de renseignements est allée jusqu'à interroger les
fournisseurs locaux de ces entreprises afin de connaître les démarches qu'ils
effectuent auprès de ces derniers. Au final, après quinze mois de processus de
soumission, nous avons remis l'ensemble du dossier à la PWA en juillet 2005.
Mais ce n'est qu'en novembre que nous avons été convoqués pour une soumission à
l'oral. Une heure trente pour défendre notre position. Bien sûr, à côté de la
négociation sur certaines clauses commerciales, le montant du contrat était au
coeur des enjeux. Alors que notre prix était de 15 % moins cher que celui de
notre concurrent le plus direct, j'ai tout de même dû consentir un rabais de 2
millions de dollars. Il faut savoir céder sur certains points pour gagner de
futurs contrats et ne pas froisser le client. Car nous avons de réelles
ambitions dans ce pays !
Repères
Degrémont, filiale à 100 % de Suez Environnement, est spécialisée dans la conception, la construction, la mise en route et l'exploitation des installations de production d'eau potable, de dessalement ou des stations d'épuration des eaux usées. Le chiffre d'affaires, pour 2005, s'élève de 960 millions d'euros et la société compte 4 000 collaborateurs.
L'anecdote de vente
Je parle arabe, mais j'ai utilisé l'anglais lors de cette négociation. Il vaut mieux jouer sur notre côté occidental pour faire du business dans ces pays. En revanche, mon expérience de la région me sert à appliquer certaines stratégies. Comme celle du silence, qui force l'interlocuteur à se dévoiler… Une pratique que j'ai apprise des Iraniens, passés maîtres en la matière !