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La citoyenneté, un élément de stratégie

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Si hier les entreprises se contentaient – à travers les démarches citoyennes – de redorer leur image, ce n’est plus le cas aujourd’hui. La citoyenneté est désormais partie prenante de la stratégie commerciale. Elle modifie le processus de fabrication, la distribution... et est devenue l’un des éléments du mix marketing.

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Il y a cinq ans, on nous prenait pour des fous. Ensuite, on nous a dit que l’on surfait sur la vague”, raconte Erik Pointillart, président du directoire d’Écureuil Gestion qui a dégainé le premier sur le marché français de la finance : en octobre dernier, il a lancé la Sicav “éthique”, Écureuil 1, 2, 3… Futur. Aujourd’hui ? “De plus en plus de gens se demandent si réellement le "tout économique" n’est pas contre productif et s’il n’est pas souhaitable de respecter certaines règles afin d’être dans une logique durable”, constate le représentant de la Caisse d’Épargne. Après sept mois d’existence, l’actif du fond s’élève à 500 millions de francs, preuve que face au “tout économique” de plus en plus de gens regardent d’un bon œil les alternatives. Si bien qu’aujourd’hui, la citoyenneté d’entreprise peut être considérée comme un argument de vente. La citoyenneté se vit de l’intérieur Dans une enquête Ipsos/ Fleishmann-Hillard, réalisée en Europe il y a un an, 89 % des personnes interrogées déclaraient faire davantage confiance aux entreprises citoyennes, et 86 % être disposées à privilégier les produits de ces entreprises. La démarche de la Caisse d’Épargne, loin d’être isolée, illustre par ailleurs parfaitement la mutation que vit actuellement la citoyenneté en entreprise. Ainsi, hier, une entreprise citoyenne avait sa fondation, faisait du mécénat culturel, social. Elle cherchait par ce biais-là à améliorer son image, sans attendre de résultats, du moins à court terme, sur les ventes. D’ailleurs, les entreprises restaient la plupart du temps extrêmement discrètes sur leurs actions. Aujourd’hui, elles préfèrent faire du bien au sein de leur secteur d’activité. “La citoyenneté gagne à être intégrée dans la stratégie de l’entreprise, dans son activité au quotidien”, explique Élisabeth Laville, cofondatrice et directrice associée d’Utopies, un cabinet parisien de conseil en stratégie et citoyenneté d’entreprise. Elle poursuit : “L’entreprise doit concevoir la citoyenneté comme source de différenciation.” Il s’agit d’un changement de cap à 90°, d’une mutation de taille qui consiste à réconcilier le développement et la performance économique de l’entreprise avec l’écologie, le respect de valeurs sociales, etc. Il s’agit de mettre une touche – ou plus – de citoyenneté dans son activité pour satisfaire certains consommateurs et le leur faire savoir. L’association Max Havelaar, qui labellise le commerce équitable, œuvre dans ce sens. Les actions citoyennes sont également l’occasion, pour les entreprises, de redorer leur image et de motiver leurs collaborateurs. Dans cette même étude Ipsos/Fleishmann- Hillard, neuf personnes interrogées sur dix répondaient que ce type d’initiative les rendrait plus fidèles vis-à-vis de leur employeur. En adoptant une telle démarche citoyenne, l’entreprise peut influencer sa façon de fabriquer, de distribuer, etc. Dans le secteur de l’agroalimentaire, on pense aux produits bio, respectueux de l’environnement. D’autres entreprises optent pour une citoyenneté version “sociale”. Ben & Jerry’s propose ainsi des glaces à base de matières premières fabriquées par des chômeurs, des sans-abris ou des coopératives ouvrières d’Amérique centrale (lire témoignage ci-dessous). Les lois, les normes poussent dans ce sens Mais en fait, tous les secteurs d’activité peuvent s’engager dans cette voie, la Sicav de la Caisse d’Épargne en est la preuve. Tout comme l’opération conduite par Motiv’force, qui, sur chacune des destinations “incentive”, verse 5 dollars par passager et demande à ces derniers d’en faire autant. Ou encore Solenium, la nouvelle dalle moquette recyclable d’Interface (lire témoignage ci-dessus). Les idées ne manquent pas et le mouvement qui se dessine tout juste en France est promis à un bel avenir. Aux États-Unis, pays qui n’est pas à une contradiction près, “un dollar sur huit est investi dans des valeurs éthiques”, témoigne Elisabeth Laville. Elle poursuit : “De plus en plus de fonds de pension demandent aux entreprises cotées en Bourse de justifier de leurs comportements dans des domaines tels que l’environnement, le social.” La vague qui nous vient d’outre-Atlantique a d’autant plus de chance d’être puissante que les normes et les lois françaises et européennes poussent dans ce sens-là : Iso 9000, Iso 14000 (le respect de l’environnement) et bientôt Iso 18000 (la sécurisation des process). “Le business éthique n’est pas une assurance” Bruno Sevin, chargé de projet au service marketing d’Interface France, reconnaît que “cela vaut le coup de se lancer, d’essayer… C’est un moyen de prendre de l’avance sur ses concurrents.” Depuis le lancement de la Sicav “éthique” de la Caisse d’Épargne, l’idée a fait des émules. Le Crédit Mutuel a sorti la sienne et d’autres banques sont dans les starting-blocks. Cela dit, il ne faut pas se méprendre. Le business éthi-que, partie intégrante du mix produit, ne protège pas des catastrophes. “Ce n’est pas une assurance”, insiste Francis Charhon, directeur général de la Fondation de France. L’entreprise a donc tout intérêt à être vigilante sur la cohérence de ses démarches citoyennes d’une part, et ses procédures en place d’autre part. Certains pourraient, par exemple, s’étonner de voir telle entreprise d’assurances réaliser une étude sur la solidarité et la responsabilité sociale des entreprises, alors qu’elle n’accorde à certains de ses collaborateurs que trois jours au titre des 35 heures…

“Nous prenons aujourd’hui un engagement : sur chacune de nos destinations "incentive", nous donnons à un organisme humanitaire local 5 dollars par passager, et nous demandons à notre client de faire le même geste. Ces sommes seront notamment investies dans l’enseignement et la santé.” Pascal Allard, directeur général associé de The Sales Machine Group L’incentive aussi se met à l’heure de “l’ethic business”. En proposant à ces clients de s’associer à sa démarche en faveur des pays destinataires de ses opérations, Pascal Allard, à la tête de The Sales Machine Group et Motiv’force (groupe Euro-RSCG), ouvre la voie. “Je crois que les équipes commerciales trouveront dans cette formule une motivation supplémentaire. Savoir que ce voyage qui leur est offert en remerciement de leurs performances est agréable, mais aussi utile, donne au projet une dimension plus forte.” Sans pour autant sombrer dans l’angélisme : Pascal Allard sait, d’expérience, qu’une campagne de motivation reposant uniquement sur les bons sentiments (par exemple, si tel objectif commercial est atteint, l’entreprise finance la construction d’une école au Mali) obtient des résultats moins bons.

“À l’automne dernier, une étude du Wall Street Journal mesurant la "réputation" des entreprises américaines plaçait Ben & Jerry’s en cinquième position devant Mac Donald, Nike ou Microsoft. Sur les aspects environnement et social, Ben & Jerry’s arrivait en première position.” Jeanne Bloch, de l’agence Sept ou 8, est chargée des missions sociales de Ben & Jerry’s en France Le parfum “Chocolate Fudge Brownie” des glaces Ben & Jerry’s est en partie fabriqué par des chômeurs et des sans-abris, le café provient d’une coopérative ouvrière mexicaine. Ben & Jerry’s ne cache rien de cette démarche “citoyenne”, mais ne s’en sert pas non plus comme vecteur de communication. L’entreprise communique en revanche sur certains sujets, comme les hormones de croissance, absentes des exploitations qui lui livrent le lait, en distribuant des prospectus d’information dans ses boutiques ou bien en informant les consommateurs via le packaging. En France, les missions sociales de l’entreprise se mettent en place. Ben & Jerry’s réalise également des opérations “produit partage” (l’entreprise reverse un certain montant à un organisme), dont le consommateur est évidemment informé. “Cette stratégie donne indiscutablement une autre dimension à la marque”, insiste Jeanne Bloch.

“On rencontre de plus en plus de clients qui nous demandent de justifier d’un processus de fabrication et d’un produit écologique. Il y a trois ans, cela n’existait pas.” Bruno Sevin, chargé de projet au service marketing de la société Interface En début d’année, Interface – leader sur le marché des dalles moquettes – a lancé en France Solenium, “une dalle moquette tissée, conçue pour être recyclée”. Le produit est fabriqué dans une usine qui utilise 100 % d’énergies renouvelables (eau, vent et soleil). Le prix de vente de Solenium se situe à 280 F/m2 (fourniture + pose) tandis que les gammes traditionnelles se situent entre 100 et 500 francs avec un prix moyen qui se situe à 210-220 francs. Parallèlement, Interface a réduit ses émissions de déchets, réutilise les chutes dans la production, a parfois modifié la composition de ses produits… dans le but de respecter l’environnement. L’ensemble de ces démarches est mis en avant dans les argumentaires de vente. Ray Anderson, président fondateur d’Interface, est à l’origine de ces démarches qui s’inscrivent dans une logique économique : “Je n’envisage pas de faire de l’écologie sans faire du profit” explique le président du groupe.

" Aux Etats-Unis, les placements éthiques financiers sont légèrement plus rentables que les placements classiques. Un dollar investit en 1990 vaut aujourd''hui respectivement 6 et 5 dollars." Erik Pointillart, président du directoire d''Ecureuil Gestion qui a lancé la Sicav "éthique", Ecureuil 1, 2 , 3... Futur. "En janvier 1995, nous sommes allés voir ce qui se faisait aux Etats-Unis en matière de placements éthiques. Nous sommes revenus avec l''idée qu''il y avait, là, une vraie idée. C''était encore l''époque prématurée en France", raconte Erik Pointillard, président du directoire d''Ecureuil Gestion qui depuis, a lancé Ecureuil 1, 2, 3 ... Futur. La Caisse d''Epargne a dans un premier temps, décidé de créer une société chargée d''analyser le comportement ethique des groupes côtés en Bourse : leurs relations avec leurs salariés, leurs clients, leurs fournisseurs et l''environnement. "A partir de ces informations, nous avons pu créer un produit." Ecureuil 1, 2, 3...Futur séduit les clients qui ne se retrouvent pas dans "le capitalisme sauvage".

Ce qu’il faut retenir La citoyenneté dans l’entreprise n’est plus seulement véhiculée par les fondations et autres actions de mécénat. De plus en plus d’entreprises l’intègrent dans leur stratégie commerciale, réconciliant développement et performance économique avec écologie et respect de valeurs sociales. La démarche citoyenne répond alors à une demande perceptible des consommateurs et fait à ce titre l’objet d’un plan de communication. Les démarches citoyennes jouent également sur l’image de l’entreprise et peuvent être l’occasion de motiver les collaborateurs.

Pour en savoir plus… Des livres… Vers une écologie industrielle, de Suren Erkman (éditions Charles Léopold Mayer). L’éthique ou le chaos, de Hughes Minguet et Jean-Loup Dhese (Presse de la Renaissance). L’écologie de marché, de Paul Hawken (éditions Le Souffel d’Or). Et pour rire, Travaillons dans la joie, le dernier Dilbert de Scott Adams (éditions First). ... et des sites www.utopies.com : des informations, des contacts, l’actualité, des exemples, etc. sur le développement durable et la responsabilité sociale de l’entreprise. www.calvertgroup.com et www.citizensbank.ca : deux sites recommandés à ceux qu’intéresse la responsabilité sociale dans le domaine de l’investissement et de la banque.

 
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Anne-Françoise Rabaud

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