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La guerre des prix n’aura pas lieu

Après une première bataille perdue sur le terrain des prix bas, nombre d’e-marchands ont dû revoir leur stratégie. Les conseils pour repartir à la charge.

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Casser les prix est toujours un moyen d’attirer les clients, mais certainement pas un moyen de gagner de l’argent ! », s’exclame Pierre Bouriez, le p-dg et fondateur du cybermarché Houra.fr. Une sentence qui a le mérite d’être claire et de trancher avec le discours des débuts de l’Internet marchand. Voici encore deux ans, le lancement d’un site devait presque obligatoirement être accompagné d’un effet d’annonce sur les prix, forcément plus intéressants que dans la distribution traditionnelle. Pourquoi ? Parce qu’un marchand virtuel, donc débarrassé des contingences de la distribution, était sensé avoir bien moins de frais qu’un distributeur réel. Un tel business-model oubliait cependant un aspect essentiel : la logistique, c’est-à-dire le stockage et la livraison des produits, tâches extrêmement onéreuses pour de nouveaux entrants ayant tout à construire et à concevoir. Nombreux sont donc les e-marchands, partis bille en tête, à s’être livrés à une guerre des prix... et à en être morts. Car, deux ans après, crise boursière de la high-tech oblige, les sites ont dû revenir à plus de raison et se sont majoritairement rendu compte qu’ils ne pouvaient pas, d’un point de vue économique, casser leurs prix. « Il faut à tout prix éviter le dumping, explique Bertrand Bathelot, fondateur du site abc-netmarketing.com et professeur à l’ESC Amiens. On ne fidélise pas avec des prix bas, et quand on essaie de revenir à des prix classiques, les acheteurs s’en vont. C’est la grande leçon de la guerre à laquelle se sont livrés aux États-Unis les distributeurs de livres en ligne Amazon et Barnes &Nobles. »

La carotte du prix bas

Faire du prix bas n’aurait donc de sens que si, derrière, le site marchand se donne les moyens de fidéliser ? Oui, à quelques exceptions près, toutefois. Certains, par exemple, sont spécialisés dans les prix bas : discounters et autres sites proposant des fins de série vivent sur le seul critère du prix. « Cela fonctionne très bien, parce que c’est leur business-model, analyse Bertrand Bathelot. Chez Cdiscount ou Mistergooddeal, l’internaute vient parce que le prix est l’élément carotte. » Autre exemple intéressant : le site de vente de produits high-tech Rueducommerce, leader français sur ce créneau. Avec plus de 38 millions d’euros (250 millions de francs) de chiffre d’affaires et un équilibre financier déjà atteint, deux ans seulement après son lancement, le site fait presque figure d’exception dans le paysage de l’e-commerce hexagonal. La recette de son succès ? Réponse de Gauthier Picquard, le directeur général : « Nos prix sont inférieurs de 5 à 25 % à ceux de la distribution physique. » Mais, attention, si Rueducommerce fut, au départ, considéré comme un trublion cassant les prix, le site n’a jamais eu l’image d’un discounter et réfute d’ailleurs ce positionnement. « Un discounter, remarque Gauthier Picquard, ne peut pas présenter 10 000 références comme nous le faisons. Nous sommes un véritable magasin avec une offre très construite. » Et, surtout, Rueducommerce a également misé sur une qualité de service sans laquelle il lui aurait été impossible de fidéliser les internautes. « Le prix ne doit pas être l’unique avantage d’un site, explique Gauthier Picquard. Beaucoup de clients sont venus à nous grâce aux prix bas et y sont restés grâce à notre service. » Service qui se traduit aussi bien en avant-vente (mise en place d’une information rigoureuse et importante sur les produits proposés, disponibilité des références, etc.) qu’en après-vente (service de livraison efficace, centre d’appels, etc.)

L’avantage aux fabricants

Si Rueducommerce peut se permettre de pratiquer des remises importantes, c’est notamment parce qu’il opère sur un secteur où les marges des distributeurs classiques sont fortes. « Ces e-boutiques-là peuvent proposer des prix bas, note Bertrand Bathelot. A une condition, toutefois : qu’elles soient pure players. Il est inimaginable de trouver sur le site de la Fnac, par exemple, des prix significativement inférieurs à ceux de leurs soixante magasins. » Un e-marchand est en effet pris entre deux feux : satisfaire et attirer le client – entre autres par des prix bas – et ne pas se mettre à dos son réseau de magasins ou de revendeurs.

Baisse des prix dans la discrétion

Une quadrature du cercle dont certaines marques tentent aujourd’hui de sortir. Exemple : l’éditeur de logiciels Norton commence à faire de la vente directe sur son propre site et répercute une partie de l’économie générée par la suppression de tout intermédiaire distributeur sur les prix facturés aux consommateurs. Autre exemple : L’Oréal, aux États-Unis, vend également sur son propre site certains produits de beauté dont la notoriété est telle qu’ils n’ont plus besoin d’être “poussés” en magasin. Les prix, là aussi, sont plus bas qu’en parfumerie. Le point commun de ces deux exemples ? La discrétion avec laquelle les marques se lancent dans cette expérience, sans publicité et sur des volumes faibles, afin de ne pas se fâcher avec les réseaux traditionnels. « On commence à constater des différences de prix entre Internet et la distribution réelle, surtout sur les sites des fabricants eux-mêmes, remarque Bertrand Bathelot. En B to B également, ou sur des marchés très spécialisés (par exemple, des appareillages très techniques, des produits génériques, etc.) sur lesquels les réseaux physiques de vente n’ont que peu d’impact, on peut supposer que le même mouvement se dessinera dans les années à venir. »

La guerre du service

Il ne faut pas s’y tromper : si, économiquement, peu de sites peuvent se permettre d’être moins chers que leurs homologues réels, le prix bas est un avantage. « La politique de prix est assez subtile, affirme Gauthier Picquard. Si vous effectuez une enquête auprès des e-clients, ils ne vous diront jamais que le prix est le critère principal de leur achat, mais feront figurer en tête de leurs préoccupations la qualité du service, la sécurité, etc. Or, la réalité est différente : le prix est bien un critère majeur de l’acte d’achat, à condition que, de surcroît, le service soit irréprochable. » Economiquement donc, une véritable guerre des prix semble aujourd’hui difficile à mener pour les sites marchands français. La guerre du service, en revanche, a déjà commencé.

Témoignage

Gauthier Picquard, dg de Rueducommerce, site de vente de produits high-tech « Le prix n’est pas le seul critère d’achat » Lancé il y a deux ans, le site Rueducommerce pratique des prix inférieurs de 5 à 25 % par rapport à ceux pratiqués en magasin. « Quand on lance une nouvelle enseigne, affirme Gauthier Picquard, il est nécessaire de satisfaire aux critères d’achat des consommateurs. Or, le prix est l’un de ces critères. » Mais pas le seul. Car, pour fidéliser sa clientèle (300 000 personnes actuellement), Rueducommerce s’est imposé comme une enseigne sérieuse proposant des services fiables (information, livraison, etc.) « Plus le temps passe, plus le client achète, et moins il accorde d’importance au critère de prix. La vocation d’un site n’est pas de pratiquer des prix bas, mais de générer du profit. Cela signifie que si nous pouvons remonter certains prix de manière indolore, nous le faisons, notre volonté étant tout de même de garder des prix attrayants. Je pense cependant qu’il n’y a pas de vérité unique et qu’il n’est pas obligatoire pour qu’un site réussisse qu’il pratique des prix bas : tout dépend du marché sur lequel il opère. »

Témoignage

Pierre Bouriez, p-dg du cybermarché Houra.fr « La logistique, un coût énorme » « Au début, on nous disait : vous devriez vendre moins cher, car vous n’avez pas de frais liés aux magasins, aux parkings, etc. C’est vrai, mais nous avons des coûts logistiques énormes », explique Pierre Bouriez, le p-dg de Houra.fr. Le cybermarché pratique donc des prix presque identiques à ceux des hypermarchés traditionnels, et même situés dans la fourchette haute. À cela, il faut ajouter les frais de livraison. Au final, la facture pour le consommateur est plus élevée s’il commande sur Houra que s’il achète les mêmes produits dans son hypermarché classique. « Nous estimons que l’avantage pour l’e-client de ne pas avoir à se déplacer et de se faire livrer à domicile est un vrai service. Celui-ci doit donc être rémunéré. Nos clients le comprennent d’ailleurs très bien : le droit à la paresse que nous mettons en avant dans notre communication a un coût qu’ils sont prêts à assumer. »

Avis d’expert

Bertrand Bathelot, fondateur de abc-netmarketing.com et professeur à l’ESC Amiens « Ne pas se mettre à dos ses revendeurs » « Les sites peuvent pratiquer des prix bas dans deux cas. D’abord, lorsque le produit s’y prête bien parce qu’il peut être dématérialisé. C’est le cas des logiciels que l’on peut vendre moins cher en téléchargement. Enfin, si les marges des distributeurs sont fortes, on peut imaginer qu’un fabricant propose ses produits sur son site à des prix inférieurs. Mais, dans ce dernier cas, il faut faire attention à ne pas se mettre à dos son réseau de revendeurs, sinon c’est contre-productif. »

Bon a savoir

_ Certains produits se prêtent aux prix bas sur le Web. Il y a d’abord ceux que l’on peut dématérialiser. C’est le cas, par exemple, des logiciels. Un site peut vendre les licences à moindre coût en téléchargement. _ De même, cela est possible concernant les produits génériques très connus du grand public. _ Enfin, c’est également le cas pour les produits très spécialisés et techniques en B to B, quand le réseau de vente traditionnel n’a que peu d’importance.

Frédéric Thibaud

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