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Quand la rareté fait vendre

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De la 206 CC à la PS2, certains produits sont en perpétuelle rupture de stock. La rareté semble devenue un argument de vente. Une arme à double tranchant.

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Ce qui est rare est cher… Ce vieil adage, prémisse majeure d’un syllogisme célèbre, n’a pas pris une ride. C’est, du moins, ce dont témoignent les stratégies mises en œuvre récemment par bon nombre de marques, qui font de la rareté de leurs produits un argument de vente. « Autrefois, la notion de rareté renvoyait à celle de luxe, et vice-versa, explique Gilles Laurent, professeur de marketing à HEC et spécialiste de la promotion des ventes. L’objet de luxe se distinguait des autres par la rareté de ses matériaux, du savoir-faire de l’artisan, etc. La quintessence du luxe étant la pièce unique. Mais aujourd’hui, paradoxalement, cette notion de rareté s’applique à des objets de grande consommation. » Rare était la PS2, fin 2000-début 2001 : la console de jeux, lancée en novembre dernier par Sony, était même en rupture de stock dès son arrivée sur le marché européen. Rare aussi, le fameux Coupé Cabriolet 206, de Peugeot, que l’on doit attendre cinq mois avant de le voir trôner dans son garage. Rare encore, le PT Cruiser de Chrysler : succès assuré aux heureux concessionnaires qui parviennent à s’en procurer quelques modèles, répondant – partiellement bien sûr – à l’engouement suscité par cette pénurie.

Sony, un cas d’école

Car, qu’elle soit provoquée ou non, la rareté suscite bel et bien la convoitise. Chez Sony Entertainment Computer (SCE), on se défend à cors et à cris d’avoir organisé la pénurie de PS2. « Au Japon, dès les premières semaines de commercialisation du produit, les résultats de vente ont dépassé les objectifs, relate Nathalie Dacquin, directrice marketing de SCE France. Or, comme il s’agissait d’un nouveau processeur, le taux de déchet, en production, était naturellement supérieur à la moyenne. D’où une pénurie de produits, bien avant que la console n’arrive sur le Vieux Continent. Ajoutez à cela que le Japon a dû être servi en premier… La décision de repousser d’un mois le lancement paneuropéen ne pouvait pas suffire à renflouer les stocks. » La rareté a-t-elle attisé le désir des consommateurs, et donc renforcé la rareté ? Nul ne le sait, pas même Sony. Toujours est-il que la filiale hexagonale du géant nippon estime à « environ 100 000 à 150 000 unités » le manque à gagner de la fin d’année 2000. « Toutefois, le phénomène n’a en rien entaché notre image de marque. Au contraire, souligne Nathalie Dacquin. Nous avons constaté, au cours des six premiers mois de vie de la PS2, qu’elle séduisait un nombre inattendu de néophytes, qui n’avaient jamais acheté de Play-station auparavant : l’objet était devenu “trendy”, et sa rareté n’y était sans doute pas étrangère. »

Attention à la fuite des consommateurs

Reste qu’en ne satisfaisant pas la demande de leurs clients, les entreprises risquent de les décevoir ou – pire – de les voir partir à la concurrence. « L’argument de la rareté ne fonctionne que lorsqu’il est manié intentionnellement. Il faut en peser attentivement les conséquences, insiste Richard Hullin, directeur de la communication d’Adidas. Nous commercialisons régulièrement des séries limitées, ce qui nous permet de faire des “coups marketing”. Mais nous avons aussi connu des cas de ruptures de stock qui nous ont cruellement pénalisés. » Et d’évoquer le maillot de l’équipe de France de football qui, peu après la Coupe du Monde, était épuisé dans l’ensemble de la distribution hexagonale : « Le public a eu beau répéter que c’était là la rançon de la gloire… Nous avons perdu du chiffre, des clients revendeurs et des clients finaux. Pire : cela a déclenché un flot de contrefaçons. » Même son de cloche chez Peugeot : la marque au lion répète à l’envi qu’elle n’a en rien provoqué la pénurie de 206 CC – « L’usine d’un de nos fournisseurs a brûlé au printemps 2001, rendant caduques toutes nos planifications industrielles », affirme Roland Dumond, porte-parole du constructeur – et que son impact a été négatif, en terme commercial du moins. « Nous sommes passés de 250 à 53 commandes par jour du fait du délai d’attente annoncé !, précise Roland Dumond. Nos concessionnaires ont joué la carte de la transparence vis-à-vis des clients, en leur exposant précisément la situation. » Mais le Landernau de l’automobile, lui, a chuchoté que Peugeot avait habilement orchestré un “coup marketing”, ce qui n’était pas la moindre de ses réussites. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en dépit du délai d’attente qu’il a infligé à ses clients, le constructeur français avait enregistré 66 000 commandes de 206 CC à la fin juin, dont 27 000 sur le seul territoire hexagonal.

Le secret des séries limitées

« De fait, la rareté attire le consommateur, confirme Gilles Laurent. Elle peut l’inciter à collectionner le produit, ou encore à lui donner une valeur de référence : le consommateur se penche sur la marque, en connaît l’histoire, tisse avec elle un lien affectif. » C’est le principe des séries limitées, parfois même numérotées : alors, le fabricant fait de la rareté une qualité intrinsèque du produit. Un domaine dans lequel la marque suisse Swatch est passée maîtresse, en multipliant les séries limitées, pour attiser la passion des fidèles. Le site Swatch.com ne comprend-il pas un espace réservé aux fans, qui s’y échangent des montres, font part de leurs appréciations à leurs pairs, etc. ? Mais ce n’est pas tout : « Une série limitée peut également donner une valeur distinctive au produit, observe Gilles Laurent. Les séries dites “spéciales” sont ainsi faites pour des groupes. Elles utilisent leurs codes de ralliement. » Une technique bien connue des constructeurs automobiles : l’acheteur d’une Smart Agnès B, série limitée à 400 exemplaires numérotés (et vendue 11 815 euros, soit 77 500 francs !) n’aura, a priori, pas le même profil – et ne s’identifiera pas aux mêmes codes sociaux – que le conducteur d’une 206 Roland Garros. À chacun son produit… Mais dépêchez-vous, il n’y en aura peut-être pas pour tout le monde !

Témoignage Richard Hullin, directeur de la communication d’Adidas « La série limitée fait parler d’elle, suscite le désir. » Adidas a l’habitude de manier l’arme de la rareté afin de conférer une valeur d’exception à certains de ses produits. « Nous lançons une série limitée à chaque fois que le produit le justifie, par son histoire ou son caractère exceptionnel », explique Richard Hullin, directeur de la communication de la marque aux trois bandes. Ainsi, en mars, pour célébrer les cent ans d’Adi Dassler, son fondateur, Adidas a édité – à cent exemplaires, pas un de plus ! – un modèle de chaussures réalisé à la main, en autruche. Le prix de la merveille était, lui aussi, exceptionnel : 1 000 euros. « Ces séries spéciales ne sont, bien entendu, pas des produits de masse, reprend Richard Hullin. Elles nous permettent d’alimenter l’histoire de notre marque, de lui donner une âme, d’entretenir la passion des collectionneurs. » Des produits qui, des années plus tard, bénéficient toujours d’une cote sur le marché des “Adidas” les plus rares…

à retenir _ La rareté déclenche et attise le désir des consommateurs. _ Mais la pénurie est une arme à double tranchant : elle peut inciter le consommateur à acheter un produit concurrent, voire une contrefaçon. _ Les séries spéciales ou limitées permettent de cibler un groupe précis de consommateurs, dont elles utilisent les codes de ralliement.

AVIS D’EXPERT Gilles Laurent, professeur de marketing à HEC, spécialiste de la promotion des ventes « La rareté donne de la valeur au produit. » « L’argument de la rareté est bien connu des grands distributeurs, qui s’en servent dans leurs campagnes de publicité (affichage, radio, etc.) afin d’inciter la clientèle à se rendre sur le point de vente pour profiter d’une promotion exceptionnelle, proposée en quantité limitée, explique Gilles Laurent. Généralement, pour être certains d’être satisfaits, les gens se précipitent dans les magasins dès le premier jour. Et repartent, bien entendu, avec un chariot plein de marchandises ! » Mais le spécialiste évoque un autre cas de marketing de la rareté : « Pour bon nombre de rencontres sportives, matchs de foot par exemple, on diminue intentionnellement le nombre de places disponibles afin d’en augmenter la demande. Ce qui contribue également à hisser les prix vers le haut. »

 
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Stéfanie Moge-Masson

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