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Une fusion pour aller plus loin

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La fusion de deux entreprises consiste en un savant cocktail. Il s’agit de mélanger, sans les dénaturer, une multitude d’ingrédients : organisations, méthodes de travail, modes de management, cultures d’entreprise… Le cocktail peut être savoureux, à condition de respecter certaines règles…

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En 1996, on dénombrait 600 opérations de fusion dans le monde. Les prévisions pour 2000 s’élèvent à 9 000 », rappelle Laurent Termignon, consultant Hewitt. En seulement quatre ans, le phénomène a été multiplié par 15, au point qu’aujourd’hui les fusions font parti intégrante de la vie et du paysage économique. Pour autant, se passent-elles sans l’ombre d’une tension ? Non. Les risques de déstabilisation sont toujours aussi nombreux. « À tous les échelons de la société, une fusion constitue un choc », constate Mario Juan, directeur général d’EM 2000, conseil en développement et management qui organise des formations sur le thème de la gestion du stress résultant de réorganisations ou de fusions (lire le témoignage ci-contre). Pour la direction commerciale, le challenge d’une fusion se situe à deux niveaux : il faut, d’une part, lisser les aspects organisationnels et, d’autre part, intégrer ensemble deux cultures d’entreprise, deux types de management. Il va de soi que la vie des salariés, au lendemain de la fusion, sera très différente selon la finalité de celle-ci et selon que les deux sociétés sont complémentaires ou concurrentes. Les priorités de la direction et les procédés mis en place ne seront pas les mêmes. Le rôle de la direction commerciale sera évidemment plus délicat si les deux entreprises sont d’ex-concurrentes. Sur le terrain, les choses peuvent alors s’envenimer... « Pour éviter ou limiter ce risque, il faut aller très vite », précise Gilles Mounissens, directeur associé de Mix RH. Boucler l’affaire en trois à six mois paraît raisonnable. Sur le plan de l’organisation tout d’abord, réussir une fusion suppose de mettre en place des outils communs de reporting et d’aide à la vente, et deux panoplies de tableaux de bord. Cela suppose également d’intégrer deux stratégies et deux méthodologies de travail, « deux discours, deux argumentaires de marques et de produits, qu’il faut lisser pour en faire un langage commun », poursuit le représentant de Mix RH. Gérard Aubin, directeur de l’activité conseil marketing et commercial à la Cegos, nuance cette stratégie d’intégration. Pour lui, il est essentiel « de ne pas toucher, du moins au début, à tout ce qui se voit de l’extérieur et, à l’inverse, de rationaliser tout ce qui ne se voit pas ». Un audit préalable Cette rationalisation passe par une mise à plat des pratiques commerciale avant la fusion. Ce n’est pas un hasard si Philippe Dujardin, qui a participé au rapprochement d’Econocom et d’Infopoint (lire le témoignage page suivante), cite, parmi les clés de la réussite d’une fusion, « la phase de préparation ». L’audit des deux sociétés doit servir à faire l’état des lieux des modes d’organisation, des comportements, etc. Un audit qui, cela va sans dire, doit être « impartial ». Il doit aussi offrir la possibilité « de mesurer la satisfaction des clients, d’analyser le portefeuille, etc. », explique Gérard Aubin. Car le client ne doit surtout pas être le parent pauvre de la fusion. Le directeur commercial doit, au contraire, au moment de l’alliance, s’intéresser de près « à la valeur ajoutée créée pour le client, envisager comment l’augmentation de la force de vente sur le terrain peut permettre de conquérir des parts de marché, comment éviter que les deux forces de vente ne se retrouvent en concurrence ». Mettre à plat les pratiques implique aussi de s’interroger sur la meilleure façon d’attaquer les diverses cibles, d’utiliser les différents canaux de distribution : télévente, e-vente, force de vente traditionnelle, SAV… Une période qui ne doit pas faire oublier les chiffres : « Il faut être extrêmement vigilant quant à l’atteinte des objectifs quantitatifs. » Impliquer le middle management La mise à plat et la reconstruction d’une organisation se fera d’autant plus aisément que la direction commerciale saura rallier les forces du middle management. « La direction commerciale doit former le management intermédiaire, lequel va ensuite coacher et former les vendeurs », insiste Gilles Mounissens (Mix RH). S’agissant de l’intégration de deux cultures d’entreprise et de deux types de management, une règle d’or fait l’unanimité chez les spécialistes : aucune des deux entreprises ne doit imposer de but en blanc son diktat à l’autre : « Il ne faut pas annoncer qu’une culture va prendre le dessus, même s’il est clair qu’à un moment, c’est ce qui va arriver… », reconnaît Gilles Mounissens. Au contraire, une fois de plus, il est essentiel d’harmoniser. Les contrats de travail, la rémunération et notamment le mode de calcul du variable doivent être uniformisés, tout comme les avantages tels que la voiture de fonction, ou encore les procédures d’évaluation et d’appréciation. « Attention aux “parachutes dorés” qui permettent à certains collaborateurs de quitter l’entreprise dans des conditions très avantageuses mais très coûteuses pour celle-ci », prévient Laurent Termignon (Hewitt). Pour que ces changements se passent en douceur, il est judicieux de mettre en place des groupes d’écoute, de mener des enquêtes de satisfaction des troupes. « La direction doit être, dès le début du processus, proche des salariés. Elle a, en général, le réflexe de faire descendre les informations, elle oublie en revanche très souvent de mettre en place des dispositifs pour les faire remonter », déclare Laurent Termignon. Il ajoute un conseil de bon sens : « Être à l’écoute des salariés permet de désamorcer les bombes à retardement. Il faut expliquer que tout n’est pas décidé. » Une opinion que corrobore Gilles Mounissens : « La direction doit communiquer régulièrement et directement avec l’ensemble de ses collaborateurs afin de combattre les rumeurs. » Sur ce point aussi, il est primordial d’associer le management intermédiaire, de l’impliquer dans l’élaboration des nouveaux outils RH. « La fusion repose en grande partie sur le middle management, véritable courroie de transmission entre le top management et les opérationnels. L’entreprise doit le “chouchouter” pour le faire adhérer au projet. Elle dispose pour cela d’outils tels que la formation », affirme le directeur associé de Mix RH. Les choix passeront d’autant plus facilement que le directeur commercial aura joué la transparence, non seulement vis à vis du middle management mais aussi face à l’ensemble des collaborateurs. « Il est important, dans ces moments-là, de ne pas s’enfermer dans sa tour d’ivoire, mais, bien plutôt, de participer aux réunions d’équipe », insiste Laurent Termignon. L’accélération du départ des collaborateurs constitue l’un des risques inhérents aux fusions. « Au delà de 15 à 17 % de départs des collaborateurs, on peut parler d’hémorragie, et l’entreprise doit s’interroger sur les raisons », estime Gilles Mounissens. Chaque manager a, d’ailleurs, tout intérêt à identifier, le plus tôt possible, les éléments clés de son équipe. À couper court aux appels des sirènes. Comment ? En développant avec eux une relation privilégiée, en les assurant qu’ils ont leur place dans la future organisation. Se trouver très vite un projet commun Enfin, pour pouvoir parler de succès, les opérationnels, et parmi eux les commerciaux, doivent rapidement sentir un progrès, percevoir des signes tangibles d’amélioration. « Les collaborateurs doivent tirer un avantage concret d’une fusion qui, au départ, est stratégique. L’entreprise peut, par exemple, en profiter pour les informatiser, les équiper d’un Palm », préconise Gilles Mounissens. Par ailleurs, il est judicieux, pour augmenter les chances de réussite d’une fusion, de trouver très vite un point commun entre les deux organisations, de déplacer l’attention des commerciaux vers autre chose que la fusion, de les faire regarder dans la même direction, de faire en sorte qu’ils se « battent ensemble plutôt qu’entre eux ». Par exemple, en faisant « coïncider la fusion avec le lancement d’une nouvelle identité, d’une nouvelle signature voire d’un nouveau produit », commente le représentant de Mix RH. Une bonne dose de diplomatie, une touche de ruse, un doigt d’habileté et le tour est joué ? Sans doute pas, mais ces ingrédients peuvent amplement faciliter les choses.

« Les premiers contacts entre Econocom et Infopoint remontent à deux ans. Nous avons attendu que le projet mûrisse puis, une fois la décision prise, tout est allé très vite : trois mois seulement ont séparé l’annonce officielle de la fusion effective. » Philippe Dujardin, directeur général d’Econocom-Infopoint, chargé des opérations commerciales Les sociétés Econocom (380 personnes,1 MdF de CA) et Infopoint (800 personnes, 2,2 MdF de CA) – la première, spécialisée dans les services informatiques, la seconde, dans la distribution de produits informatiques – ont fusionné le 1er septembre dernier. « Les collaborateurs n’appréhendaient pas cette fusion, explique Philippe Dujardin. D’une part, l’activité, les compétences et l’implantation géographique des deux entreprises sont complémentaires. D’autre part, chacune avait déjà vécu et réussi une fusion. Les choses étaient donc relativement aisées. » Au 1er septembre, l’informatique était unifiée, notamment le système de traitement des commandes, de même que la communication et 90 % des aspects ressources humaines. Pour réussir un fusion ? « Il faut qu’elle soit planifiée et soigneusement préparée : c’est alors un outil de management fantastique », assure Philippe Dujardin. Il faut ensuite communiquer en interne et en externe, vite et bien. « Nos 200 commerciaux ont suivi une formation à l’ensemble de l’offre produit. Les pdg des deux entreprises ont fait un “tour de France” afin d’expliquer le projet, l’organisation, l’ambition… et faire remonter les informations. Ça peut paraître du temps perdu, mais en réalité c’est très bénéfique et très rassurant pour les collaborateurs », poursuit le directeur général d’Econocom-Infopoint. Aujourd’hui ? « Nous procédons à des ajustements sur l’organisation, nous nous concentrons sur les facteurs d’échelle et sur le business ! »

Ce qu’il faut retenir Lors d’une fusion, la direction commerciale doit… Consacrer du temps en amont à la préparation, à l’analyse et à la mise à plat des pratiques. Rallier le middle management à sa “cause”. Mettre en place des groupes d’écoute des collaborateurs et des enquêtes de satisfaction clients. Communiquer régulièrement et directement avec la force de vente. Identifier très rapidement les collaborateurs “clés” qu’il convient de “chouchouter”. Faire en sorte que les collaborateurs tirent un avantage concret d’une fusion qui répond, au départ, à des impératifs stratégiques. S’arranger pour que la fusion rime avec un projet qui ralliera l’ensemble des forces de la nouvelle entité.

« Combattre le stress est indispensable lorsqu’il se prolonge. » Mario Juan, directeur général de EM 2000, conseil en développement et management des hommes « À tous les échelons de la société, une fusion constitue un choc identitaire. Pour gérer au mieux le stress, il faut en comprendre le mécanisme. Différencier le stress “représentatif” qu’un individu “construit” à partir d’éléments, qui correspondent ou non à une réalité, du stress résultant de la confrontation et de l’opposition entre des personnes. Quand commence la fusion, lorsque les “on dit” ont la voie libre, c’est le stress représentatif qui domine puis, lorsque la fusion se réalise, le stress généré par les relations entre individus prend le dessus. Le manager doit toujours essayer de comprendre le stress et son origine. Au début, le stress est plutôt stimulant. Il peut permettre au commercial d’accroître ses performances. Mais s’il se prolonge, il peut entraîner un désordre organisationnel. Le combattre devient alors indispensable. Pour un directeur commercial, toute la difficulté réside dans le fait qu’il manage à distance. Il est nécessaire qu’il sensibilise le middle management, qui est en contact avec la force de vente, à ce phénomène, pour avoir la vision la plus juste possible de l’état d’esprit qui règne sur le terrain. »

 
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Anne-Françoise Rabaud

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