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Bilan de compétence : on efface tout et on recommence ?

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“Ambigu, suspect, à double tranchant…” Le bilan de compétence n’a pas bonne réputation. Du moins lorsqu’il est réalisé par un salarié en poste. Un divorce qu’explique en grande partie le contexte économique du début des années 1990 dans lequel il s’est développé. Mais le vent d’optimisme qui souffle actuellement sur les entreprises va peut-être changer la donne.

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Vingt-quatre heures pour faire le point sur ses compétences et sur sa carrière. La loi du 31 décembre 1991 a encadré ce droit et l’a élargi à tout salarié qui affiche 5 ans d’expérience professionnelle au compteur et 12 mois d’ancienneté dans l’entreprise ou à tout demandeur d’emploi. En 1997, le ministère du Travail en a dénombré 92 000. “Les bilans de compétence ont explosé au début des années 1990, avec la vague de restructurations dans les entreprises”, raconte Marie-Laurence Carillon, consultante psychologue chez Momentum, conseil en RH. “Bilan de compétence rimait alors avec plan social”, une association dont il a encore aujourd’hui du mal à se défaire, explique celle qui les pratique depuis 10 ans. Jean-Pierre Debette, associé gérant de Momentum, surenchérit : “Le bilan de compétence, c’est un peu "l’outplacement du pauvre". Lorsqu’il est demandé par l’entreprise, le licenciement est très souvent déjà enclenché. Si ce n’est pas le cas, alors on observe des problèmes de relations internes.” Même lorsque le bilan de compétence n’intervient pas dans un contexte de plan social avancé, la démarche est, selon les porte-paroles de Momentum, empreinte de zones d’ombre. C’est le cas lorsqu’il est demandé par la hiérarchie : “Demander à une personne extérieure de juger et de noter un salarié relève d’une certaine hypocrisie. Quelque part, l’instigateur du bilan se décharge de ses fonctions de manager.” De même lorsqu’il est demandé par l’employé. La suspicion est alors du côté de la direction tentée de s’interroger sur la motivation du demandeur, son implication dans l’entreprise à moyen et long terme. Sylvie Tricard du groupe Jean-Pierre Tricard le reconnaît : “Les personnes qui sont parfaitement bien dans leur métier font rarement des bilans de compétence.” Difficile dans ces conditions de ne pas s’en méfier. Une expérience très riche Pourtant, le bilan de compétence n’est pas sans intérêt. Ainsi, si remettre tout à plat n’est jamais facile, si les candidats sortent psychologiquement épuisés de cette expérience, les spécialistes s’accordent sur le fait que l’expérience est riche sur le plan personnel et que les candidats acquièrent plus de confiance en eux. Une enquête de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a mis en évidence que “dans plus de 60 % des cas, le bilan de compétence est vécu comme quelque chose de positif”, dans le sens où il permet de mieux connaître ses propres compétences et de mieux tracer son avenir professionnel, explique Serge Rochet, président du réseau national des Centres interinstitutionnels des bilans de compétence (CIBC). Ces centres, il en existe une centaine, procèdent à environ 50 000 bilans de compétence par an, soit un peu plus d’un bilan sur deux. Serge Rochet, chef de file des CIBC, organismes qui interviennent dans 50 % des cas à la demande du salarié, voit dans cet outil un moyen de “construire ou de vérifier un plan de formation ou encore de gérer la mobilité interne.” Il se fait le chantre du bilan de compétence et dément en bloc l’image négative qu’il traîne et notamment qu’une entreprise ne propose jamais un bilan sans arrière-pensée sur l’avenir professionnel de l’employé. “Il y a beaucoup de fantasme derrière le bilan de compétence.” Cette image négative, le président du réseau national des CIBC l’incombe à l’absence de communication menée autour du produit. Vide qui selon lui a laissé place aux interprétations. Ce qui ne l’empêche pas de reconnaître que “sur le terrain, certains prestataires peuvent dévier…” Sur l’état d’esprit qui entoure le bilan de compétence, il est en revanche d’accord pour dire “qu’on ne fait jamais un bilan de compétence sereinement pour la simple raison qu’à cette occasion on est évalué et qu’on se pose des questions.” Quoi qu’il en soit, Serge Rochet défend bec et ongles cet outil qui a d’ailleurs un certain succès à l’étranger. Le réseau des CIBC a créé un département international qui a travaillé sur quelque 25 projets européens inspirés du CIBC (Portugal, Pologne, République tchèque, etc.) et collaboré à la mise en place d’un centre pilote à Gdansk. Le droit de chacun au bilan Alors, si proposer un bilan de compétence à un employé est suspect et s’il est préférable d’y réfléchir à deux fois avant de demander à sa hiérarchie un bilan de compétence, reste le cas du bilan de compétence demandé par le salarié à l’insu de sa hiérarchie. Il est alors pris en charge financièrement par un organisme paritaire collecteur. Parce qu’à certains moments de sa carrière, toute personne peut souhaiter faire le point, réfléchir au chemin parcouru et en dessiner les courbes à venir, le bilan de compétence peut se révéler très utile. Mais attention. Il ne faut pas non plus en attendre des miracles. “Rares sont les cadres qui, à l’issue d’un bilan de compétences, procèdent à une complète reconversion”, observe Nadia Zarebski, chargée de clientèle auprès du cabinet Centor Idep spécialisé dans le conseil, les formations et les bilans de compétence. Il faut rester “réaliste et concret dans ses projets”, ajoute Sylvie Tricard. D’une manière plus réaliste, changer les choses revient par exemple à suivre une formation pour répondre à des faiblesses identifiées, ou à s’orienter progressivement de façon différente. Pas question de changement de vie professionnelle à 180 °, les employeurs craignent trop ces parcours professionnels originaux. Ceux qui veulent changer du tout au tout choisissent le plus souvent d’assumer seuls les risques, et optent pour la création d’entreprise. Bilan “nouvelle formule” Si à ce jour seul le bilan de compétence réalisé à la demande de l’employé et de façon autonome est dans 100 % des cas exempt de toute démarche “mal intentionnée” ou de toute interprétation, les choses sont peut-être en train de bouger. C’est ainsi que Patricia Tonial, consultante de Perspectives (structure de l’Apec), remarque que “l’an dernier, de nombreux cadres issus du secteur de l’informatique, secteur alors en pleine évolution qui générait de nombreuses opportunités de carrière, se sont présentés pour passer un bilan de compétence.” Ce constat constitue peut-être les prémices d’une nouvelle utilisation du bilan de compétence. Après la première version “inquiétante” d’un bilan de compétence porté par la crise, on est peut-être sur le point de voir apparaître une seconde version “volontaire et dynamique”. Pour Serge Rochet, elle existe d’ores et déjà. Sylvie Tricard l’espère du bout des lèvres : “Le marché de l’emploi repart, le climat évolue de façon positive, demain les entreprises proposeront peut-être des bilans afin de faire le point des compétences qui la composent, c’est du moins comme cela qu’un directeur des ressources humaines doit envisager l’évolution de ses collaborateurs.” Reste que sur un plan qualitatif, tous les bilans ne se valent pas. “Certains cabinets s’évertuent à remplir 24 heures (durée légale maximum) en faisant passer des montagnes de tests. C’est inutile, l’important, c’est de sélectionner les bons tests et surtout avoir la volonté et les moyens de s’investir, d’instaurer une relation de confiance…” C’est à ce seul prix qu’un bilan a des chances d’atteindre ses objectifs.

“La particularité des CIBC par rapport aux autres prestataires, Perspectives de l’Apec ou cabinets privés, c’est que nous avons une mission de service public et que le financement de notre activité est assuré en grande partie par l’État et les collectivités territoriales.” Serge Rochet est président du groupe national de liaison des Centres interprofessionnels des bilans de compétence (CIBC), dont le premier a vu le jour en 1989 à l’initiative du ministère du Travail. Ils réalisent actuellement 50 000 bilans par an, soit plus d’un bilan sur deux. Le bilan de compétence est encadré par la loi du 31 décembre 1991. Les quelque 100 CIBC répartis sur le territoire travaillent pour l’essentiel avec des demandeurs d’emploi. Tout salarié justifiant de 5 ans d’expérience et de 12 mois d’ancienneté a droit à un bilan, c’est ce que le gouvernement a appelé “le droit au bilan pour tous”. Perspectives de l’Apec, les cabinets privés agréés, etc. qui représentent au total environ 1 200 centres ont davantage une clientèle d’actifs et interviennent le plus souvent à la demande du salarié. La durée du bilan de compétence est fixée à 24 heures maximum (3 jours). Son financement est assuré par le budget formation de l’entreprise ou par un organisme paritaire collecteur lorsque la démarche émane du salarié.

“Le bilan de compétence que je viens de faire à Perspectives m’a permis d’identifier et de me réapproprier des compétences acquises dont je n’avais pas conscience. J’ai particulièrement apprécié les “cartes de compétences”, c’est un système que l’on devrait développer très tôt dans sa vie professionnelle.” Didier G., 40 ans, est depuis 10 ans adjoint du gérant d’une PME spécialisée dans la création graphique, la PAO et le multimédia. Il s’occupe notamment du suivi commercial de l’entreprise et vient de réaliser, à l’insu de son employeur, un bilan de compétence. Pour des raisons relationnelles et notamment parce que son responsable hiérarchique ne lui renvoyait jamais de retours positifs sur son travail, Didier G. a décidé de se mettre en quête d’un nouvel emploi. Avant de se lancer, il a souhaité faire un bilan de compétence afin de mieux définir le type de poste qui lui convient et auquel son parcours l’a préparé. Il voulait aussi par ce biais se “réapproprier une valeur” et “déterminer ses lacunes”. À l’issue du bilan, Didier G. “y voit plus clair et a regagné confiance en lui”. Il se donne six mois pour trouver un emploi du même type que celui qu’il occupe actuellement mais dans une structure un peu plus importante. Au delà, si ses recherches n’aboutissent pas, il cherchera une formation complémentaire, notamment en management.

 
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Anne-Françoise Rabaud

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