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Comment utiliser ses arguments de façon stratégique?

Publié par La rédaction le

L'art de l'argumentation ne concerne-t-il que le commercial, s'entraînant à répéter ses arguments pour les «avoir bien en bouche»? Ou s'agit-il d'outils stratégiques auxquels toute l'entreprise doit réfléchir, pour avoir un impact puissant face aux clients? Voilà une question qui mérite une réponse... argumentée.

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C'est en préparant une nouvelle formation à la négociation d'affaires que je plonge dans cet article de Jon ElsterD'après Jon Elster, « L'usage stratégique de l'argumentation», Négociations, 2005/2 N° 4, p. 59-82., un éminent philosophe et sociologue spécialiste des négociations collectives et de la résolution des conflits. Il y parle de l'usage stratégique de l'argumentation. D'emblée, l'auteur observe que l'on choisit entre deux voies: menacer et promettre d'un côté, argumenter rationnellement de l'autre. Et plutôt que de séparer négociation et argumentation, comme le fait Elster, je parlerai plutôt d'une palette d'outils au service d'une négociation: entre instruments de pression, de séduction, de persuasion, nous en utilisons constamment toute une gamme large dans nos relations commerciales, ou managériales d'ailleurs.

Parmi ces outils, argumenter, c'est convaincre. C'est parler à la raison, avec des faits, des preuves, de la bonne rationalité bien mesurable et vérifiable. Or, la question qui se pose, finalement, est «pourquoi argumenter?».

On voit bien que de nombreux facteurs mettent à mal nos arguments, même s'ils sont patiemment élaborés, fruit de dizaines de visites successives auprès de dizaines de clients. La crise économique, l'acheteur qui veut toujours plus de garanties, le prix, qui devrait toujours baisser, les innovations, vraies ou fausses, qui fleurissent tous les matins sur l'étal du concurrent, etc. Comment sortir de cette impasse et faire que nos arguments ne soient pas que du verbiage face au client ou au prospect? Comment donner un poids stratégique à l'argumentation commerciale?

@ FARSOUTHTOMMY / FOTOLIA

Relativiser nos capacités de raisonnement

Nous partons généralement de l'idée que nous sommes rationnels et logiques, et que nous savons pourquoi nous prenons nos décisions. Or, il est bien évident que cet a priori est trop simpliste. Un acheteur ne va pas se décider uniquement parce que nos arguments sont rationnels. Nos convictions se forgent en particulier, dit Elster en citant Tocqueville, «en fonction des sensations et des intérêts du moment». Et oui: nous avons nos envies, nos intérêts personnels motivés par des ressorts aussi variés que l'envie de plaire au chef, l'attrait d'une promotion à court terme, ou la satisfaction d'avoir eu raison, même momentanément.

Une première manière de donner de la force à nos arguments consiste à les passer au crible d'une analyse sous trois facettes, en fonction de ce que nous détectons chez le client:

- Parler à ses passions: lorsqu'il apparaît que celles-ci dirigent actuellement son comportement, qu'il a un désir féroce, presque irrationnel, de faire réussir son nouveau projet, par exemple.

- Nourrir ses intérêts personnels: si l'on peut répondre à ses attentes, certes rationnelles mais un peu (beaucoup?) égoïstes, disons-le, allons-y, tant que cela ne nuit ni à son entreprise, notre client, ni à nos propres objectifs.

- Utiliser la «raison impartiale»: on peut l'appeler la raison d'Etat, ou plus simplement les objectifs stratégiques du client. Tous peuvent s'entendre sur des buts orientés sur le long terme, bénéfiques pour le client et pour nous, son partenaire.

Je vous suggère de préparer vos arguments commerciaux en couplant ces trois facettes par paires, que vous emploierez en fonction du profil actuel de votre interlocuteur: c'est un passionné qui a des intérêts en jeu ; sa passion est toute dévouée à son entreprise ; ou il voit rationnellement tout le bénéfice de faire réussir les projets de son organisation.

Idéalement, nous espérons tous que ce sont nos arguments les plus impartiaux, «en béton», qui emporteront l'affaire et la conviction de l'acheteur. Mais pour cela, il faut absolument éviter les «pseudo-arguments», qui cachent, parfois mal, notre propre intérêt personnel. Pour cela, quelques conditions sont indispensables.

Utiliser stratégiquement des arguments rationnels

L'argument parfait, dans ce cadre, doit répondre à trois critères pour être efficace:

- Etre vrai, dans l'absolu: qu'il soit chiffré, montré, testé n'est pas le problème. La difficulté que l'on rencontre souvent est de voir des arguments qui sont vrais... quand ça nous arrange. Le client doit pouvoir vérifier aisément, par lui-même, que vous avez totalement raison d'avancer votre démonstration de performance de la machine XYZ, ou que tous les clients de tous les concurrents préfèrent en effet cette couleur. Dit autrement, il est temps de jeter aux oubliettes le fameux slogan «leader sur son marché» que l'on a vu dans de si nombreuses brochures et sites web! Ici, on met en avant des preuves irréfutables.

- Etre juste sur des bases impartiales: là aussi, n'importe quel acheteur potentiel doit pouvoir constater que votre offre est bonne pour son entreprise et ses projets, sur des critères acceptés par tous. La subtilité tient dans le fait que cette qualité de l'argument stratégique permet de passer les petits intérêts personnels, et s'impose à des envies qui ne sont pas toujours en phase avec les besoins de l'entreprise. En revanche, il est préférable que l'acheteur, si vous le soupçonnez d'être partial et de «jouer perso», ne soit pas le seul à entendre vos arguments: d'autres doivent pouvoir valider votre proposition comme juste, et participer au processus de décision. Là, ce sont des principes majeurs qui sont utilisés, en plus des preuves irréfutables.

- Etre sincère et engagé: la troisième qualité du «bon» argument tient en sa capacité à montrer notre désir réel de faire réussir le client. Il comporte donc la promesse, elle aussi fondée et vérifiable par l'action, que nous allons nous engager dans sa réussite dès la décision prise. Aux preuves et aux principes, on ajoute donc des engagements par l'action.

Si je résume, des arguments vrais, justes et sincères, adaptés à un interlocuteur partial, égoïste et rationnel en même temps, c'est finalement assez classique, non? Donc maintenant qu'on l'a dit, il ne reste plus qu'à les écrire ou les réviser, à les diffuser et à se les approprier tous, pour que les arguments deviennent réellement faciles à utiliser, et stratégiquement percutants.

Le diable est dans les détails: c'est en croisant le profil de l'acheteur et les trois facettes de l'argument que l'on passe vraiment du temps à trouver les bonnes formulations. Car nous sommes bien dans un art du discours qui touche juste. Le choix de chaque mot, la construction de chaque phrase ont par conséquent toute leur importance, tout en devant coller à chaque vendeur.

Bien sûr, tout cela fonctionne si l'on n'est pas, chez le client, face à des attitudes d'hypocrisie, à des favoritismes bien ancrés, ou tout simplement à une incapacité à décider. Mais cela n'arrive qu'aux autres, n'est-ce pas?

Pascal Brassier

Pascal Brassier

L'expert

Pascal Brassier est enseignant-chercheur en management commercial et négociation depuis 2002. Titulaire de la Chaire en développement commercial du groupe ESC Clermont, il est, par ailleurs, fondateur du Conseil scientifique des DCF. Il a publié en 2011 Management de la force de vente, avec Alfred Zeyl et Armand Dayan (Editions Pearson).

 
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