Dossier 3 : Initiez vos vendeurs à la “culture prospect “
Confier au même commercial la prospection et la fidélisation permet de maintenir un lien continu essentiel dans la relation avec un client », affirme Julien Lever, consultant et manager au sein du groupe Altedia, conseil en management. La grande majorité des entreprises choisissent, en effet, aujourd’hui de mettre une “pincée” de prospection dans le portefeuille de chacun de leurs commerciaux, ceci pour des raisons essentiellement liées à la gestion de la relation clients. De plus, selon Philippe Gramond, du cabinet Exponentiel, spécialisé en management et en développement marketing et commercial, « il est difficile de multiplier les interlocuteurs pour un même client : un commercial établissant un premier lien pour prospecter, un deuxième ayant pour mission de conclure une vente. Il est préférable d’avoir un seul et même interlocuteur pour que le client soit rassuré. » C’est encore plus vrai en B to B, où les cycles de vente sont souvent longs. Plus un commercial aura passé de temps avec un prospect, mieux il connaîtra ses besoins et plus il sera capable de le suivre sur le long terme. « Sans oublier que lorsqu’un commercial fait régulièrement de la détection de projets, il acquiert de bonnes connaissances sur le marché et les besoins des entreprises, qui vont l’aider à mieux gérer ses clients déjà acquis », explique David Marroco, consultant et formateur chez Demos, cabinet de formation et de conseil. Une logique qui fonctionne également en sens inverse : un commercial apprend beaucoup de ses clients fidèles, dont les besoins évoluent sans cesse. « Il reproduira donc auprès de ses prospects ce qu’il applique déjà à ses clients acquis, ce qui ne peut être que bénéfique », ajoute Chantal Lefebvre, consultante chez Demos. Autre avantage de confier au même commercial prospection et fidélisation : il n’y a pas de déperdition d’information, contrairement à ce qui peut arriver lorsque la prospection est externalisée. « La remontée d’informations est souvent faible et incomplète lorsque la détection de projets est confiée à un prestataire externe, ce qui prive l’entreprise d’informations stratégiques essentielles », assure Julien Lever.
Réconcilier les commerciaux avec la prospection
Les directions commerciales ont donc tout intérêt à ménager du temps à leurs commerciaux pour partir à la conquête de nouveaux clients. Malheureusement, il existe de nombreux freins à cette démarche. En effet, la prospection n’a souvent pas bonne réputation auprès de vendeurs à qui l’on vante depuis des années les valeurs de la fidélisation clients. De plus, c’est une tâche difficile et ingrate, car même un très bon commercial peut essuyer un nombre important de refus. « La prospection est considérée comme une activité peu noble par les commerciaux aguerris, ce qui explique que beaucoup d’entreprises l’envisagent comme une sorte de bizutage et la confient volontiers à des télévendeurs ou à des juniors », note Julien Lever. « Un bon commercial doit pourtant savoir faire les deux, ajoute Chantal Lefebvre. Même lorsqu’il est chez un client acquis, il doit sans cesse l’envisager comme un prospect et gérer la relation avec un œil neuf. En résumé, il faut gérer le client comme un prospect et le prospect comme un client ! » L’entreprise qui veut confier la prospection à ses commerciaux doit donc se donner les moyens de réconcilier ces derniers avec cette mission et activer les bons leviers pour les inciter à partir en conquête. « Il s’agit souvent d’une véritable remise en cause des pratiques de l’entreprise, affirme Chantal Lefebvre. Cette dernière doit absolument faire un effort d’information, de formation et de communication à destination de la force de vente pour lui expliquer les enjeux stratégiques de la prospection. » La première pierre à l’édifice, ce sont les objectifs auxquels est affecté un variable motivant. La “carotte” financière reste une valeur sûre pour motiver une population de commerciaux. Certaines directions commerciales vont même jusqu’à doubler les primes liées aux objectifs d’acquisition de nouveaux clients. Et plus les objectifs sont clairs et bien présentés, plus on accroît les chances que les vendeurs adhèrent et prospectent efficacement. « Les objectifs doivent faire l’objet d’une véritable réflexion en amont et doivent être approuvés par tous », estime David Marroco. Un avis que partage Julien Lever, qui va même jusqu’à conseiller de doser la part de prospection en fonction du profil de chaque commercial. « Il y a, incontestablement, dans toute force de vente, des commerciaux qui ont un goût prononcé pour la chasse et qui donneront de bien meilleurs résultats que les autres. Autant capitaliser sur ces profils plutôt que de donner des objectifs irréalisables aux “éleveurs”. » La “dose” de prospection ne peut cependant pas dépendre uniquement de la maturité du commercial. Chez Michael Page, les objectifs des consultants qui assurent eux-mêmes leur prospection sont déterminés en fonction du segment de marché sur lequel ils évoluent. « Dans certains secteurs comme dans la banque ou la distribution, les contacts sont restreints. Les objectifs sont donc rapidement atteints. C’est pour cela pour nous adaptons ces objectifs en fonction du secteur et de la difficulté qu’il représente », témoigne Paul Mercier, directeur commercial du cabinet de recrutement international.
Prévoir une organisation spécifique
Reste que la prospection est, par essence, très “chronophage”. Il faut donc prévoir une organisation spécifique afin qu’elle ne se fasse pas au détriment du développement du portefeuille clients. « Le manager a un rôle déterminant à jouer. Il doit être en permanence à l’écoute de ses commerciaux afin de maintenir un bon équilibre à la fois entre prospection et fidélisation, mais aussi entre quantité et qualité des contacts », conseille Patrice Piccardi, responsable du département marketing/vente à l’ESC Dijon. Car l’un des effets pervers de ce système peut être la multiplication des appels et des visites auprès de prospects pas forcément “chauds”. « Les actions d’incentive mises en place pour aider à booster les actions de prospection doivent impérativement prendre en compte ces paramètres et inclure des objectifs qualitatifs », prévient Chantal Lefebvre. Enfin, pour aider les commerciaux à ne pas se noyer dans des missions de prospection trop lourdes – et qui pourraient se faire au détriment de la fidélisation – pourquoi ne pas envisager la mise en place d’une cellule interne dédiée à la qualification des fichiers ? « Si vous envoyez vos commerciaux prospecter dans le dur, c’est l’échec assuré, affirme Julien Lever. Démotivés, les vendeurs s’essouffleront vite et iront prospecter à reculons. En leur prémachant le travail, c’est-à-dire en externalisant la détection de projets, vous les valoriserez, car vous leur confierez la partie noble de la prospection : la visite en face à face. »
Témoignage
Paul Mercier, directeur commercial et du développement de Michael Page International, cabinet de recrutement « Les objectifs de prospection varient en fonction de la maturité de nos consultants » Chez Michael Page, les 155 consultants en recrutement vont eux-mêmes à la conquête des clients. « La dose de prospection dans leur activité dépend à la fois de leur maturité et du segment de marché sur lequel ils évoluent. Les objectifs varient de 80 à 160 contacts par trimestre et par consultant. » L’entreprise a choisi de confier la conquête à ses commerciaux en interne, notamment pour accentuer sa présence auprès des PME. « Pour nous, la solution interne est la meilleure manière de faire, car nos consultants connaissent parfaitement les besoins des clients. Mais nous souhaitons également éviter qu’il y ait rupture dans le lien entre un consultant qui aura détecté les besoins d’un prospect et le suivi de celui-ci une fois le contrat signé.»