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Franchir la Grande Muraille de Chine

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Longtemps à l’abri derrière sa Grande Muraille, absorbé dans un ordre immuable réglé par la voûte céleste, l’Empire du Milieu est sorti de sa torpeur. Pour réussir là-bas, il faut savoir se mettre dans la peau d’un Chinois : penser par opportunités et manier avec dextérité la persuasion.

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La Chine s’est lancée dans une course à la croissance mais nous la comprenons toujours aussi mal. Un expatrié français : "C’est un monde à part. Même si tout bouge et vite, il est encore très facile de s’en rendre compte." Les territoires des seigneurs de la guerre se sont transformés en zones économiques de développement. Mais l’engouement pour l’Eldorado chinois fait place à un bilan contrasté. Aujourd’hui, la majorité des implantations se fait sous la forme de filiales à 100 % et non plus de joint-venture. "Les Occidentaux n’ont pas surestimé le marché chinois, ils ont sous-estimé les difficultés pour y entrer", souligne Franck Liu, vice-président de Xin Développement qui négocie des implantations dans la zone franche de Shanghai. Apprendre prudence et patience Les Chinois ont des objectifs similaires à ceux des Occidentaux : acquérir des compétences, se voir attribuer plus de responsabilités, travailler pour une entreprise gagnante, gagner plus d’argent. Mais leurs comportements semblent obéir à d’autres règles. Le sage comme le stratège n’aspirent pas à figer la réalité dans une projection de papier. Ils exploitent le potentiel d’une situation et attendent une occasion d’agir, au lieu d’agir pour créer l’occasion. Alors que le génie occidental se caractérise par la construction de stratégies, de projets. "Une petite impatience ruine un grand projet", dixit Confucius. "J’ai appris, souligne un cadre d’EDF, le sens de la prudence et de la patience et sous couvert d’une courtoisie sans égale, la redoutable fermeté et l’efficacité des négociateurs chinois." Le décalage entre les deux peuples dans l’appréciation des choses ne s’arrête pas là. Le directeur provincial d’une des principales banques chinoises, qui négocie fréquemment avec des équipes occidentales, symbolise parfaitement ce modèle si différent : "Si j’occupe ce poste, c’est parce que les miens m’y ont conduit. Je jauge chacun à la reconnaissance dont moi-même ou mes proches lui sommes redevables." En l’absence de ce lien, votre interlocuteur chinois attend des preuves qui créent, entre ceux qui maîtrisent ce code de convenances, des liens de dépendance réciproque. "Hors de ce cercle, précise Tran Canh, la brutalité de l’indifférence peut s’exercer. Ce qui explique le manque d’égards ou de manières dont certains négociateurs français se plaignent." En tant qu’hôtes, les Chinois tirent avantage du contrôle du déroulement des négociations. D’abord ils établissent l’ordre du jour. Ce qui force les invités étrangers à abattre leurs cartes les premiers. "Ils n’hésitent pas à se montrer manipulateurs, précise un négociateur français, en attribuant une importance exagérée à un point de détail mineur pour eux, ou à remettre en cause des points d’accord pour déstabiliser leur adversaire et obtenir in extremis des concessions supplémentaires." Et la boucle continue de tourner jusqu’à écœurer les négociateurs les plus avertis. Tôt ou tard, les Français se fatiguent et veulent en finir. Parfois, le karaoké permet de contourner les réunions officielles et de débloquer des négociations dans l’impasse. Rien n’est figé Reste qu’une négociation chinoise débute bien avant la première rencontre. Et qu’elle se termine bien après que le dernier toast ait clos le banquet de célébration. Le contrat, quintessence de l’esprit modélisateur occidental, a la prétention de porter, figés dans la dactylographie, le passé (préambule et introduction), le présent (rappel des intérêts en jeu) et l’avenir (vie du contrat, clauses résolutoires, circonstances d’applications, majeures ou ordinaires). "Cette prétention, note Cai Huayiu, consultant au bureau de Shanghai d’Inter Cultural Management Associates, est doublement mise à mal en Chine. Il en résulte une remise en cause fréquente des engagements acquis. Une modification des circonstances est toujours l’occasion, du côté chinois, pour rouvrir des négociations."

"Les prises de décision par les Chinois ne sont jamais immédiates. Elles impliquent la réunion de l’après-dîner. De nouvelles questions surgissent auxquelles il faudra répondre le lendemain. La crainte de commettre une erreur, d’avancer un avis ou une réponse inadéquate peut même paralyser les discussions." Marc Raynaud, directeur associé d’Inter Cultural Management Associates. E-mail : MRaynaud@icmassociates.com Les Chinois aiment à répéter que c’est l’eau qui use la pierre. Rien ne sert d’imposer son point de vue. C’est la persuasion qui fait évoluer les situations. Il faut laisser du temps au temps pour que se forme le "cœur" de la négociation. L’Occidental dévore le temps, le Chinois compose avec l’éternité. ICM est une équipe de consultants de cultures différentes qui aide depuis 15 ans les managers à être toujours plus efficaces au-delà des frontières et à adapter leur entreprise aux changements de l’environnement international.

"N’étant que la représentation concédée d’un rapport de force à un moment donné, le fameux contrat ne pèse guère devantla force de l’évolution." Tran Canh, responsable à Shanghai du bureau d’Inter Cultural Management Associates. E-mail : TCanh@icmassociates.com Tran Canh et Cai Huayiu viennent de publier une étude intitulée "S’implanter en Chine, perspectives chinoises" : "La culture chinoise dont le génie se concentre sur le mouvant n’a pas développé d’instruments aussi contraignants que le contrat. D’autre part, la pensée chinoise n’a pas imaginé qu’on puisse observer la réalité à sa place ou plutôt d’une autre place : celle du droit. Les Chinois, attribuant de l’importance aux mutations et aux opportunités, cherchent à se placer au bon endroit et au bon moment, avant même que les forces favorables apparaissent et qu’on puisse surfer dessus."

Cinq bons conseils de négociation 1 . Préparez des cadeaux – par exemple des stylos de luxe – qui se partagent facilement et d’une marque française connue. Vous les présenterez emballés dans du papier rouge ou doré avec les mains presque jointes. 2 . Prévoyez une assistante technique chinoise pour ne pas vous mettre entièrement dans les mains d’un(e) interprète dont vous pourrez toujours mettre en doute la "loyauté". 3 . Exercez votre sens de l’observation pour repérer le négociateur, le chef – que certains confondent avec le chauffeur – de la nombreuse délégation ou le représentant du Parti. 4 . Signez systématiquement des "minutes" en fin de réunion. En cas de désaccord, il convient de décrire les positions de chaque partie et de spécifier les éléments d’accord et de désaccord. 5 . Préservez toujours une porte de sortie honorable à votre interlocuteur pour qui l’harmonie ne doit être rompue sous aucun prétexte. N’oubliez jamais que ne pas perdre la face est capital pour un négociateur chinois.

 
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Une enquête signée ICM

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