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L’essor des stratégies multi-canaux

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Avec la montée du commerce électronique, les stratégies de distribution reviennent sous les feux de la rampe. Mais mêler vente directe et indirecte se gère avec diplomatie. Le management de la relation client est au cœur de ce débat d’enjeux importants, et de pouvoir.

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Yvan Defert, directeur associé au cabinet spécialisé en management des réseaux de vente et distribution PR3. “Les pressions concurrentielles, la volonté d’ouverture à la totalité des niches clients – même les petites cibles –, et de couverture de l’ensemble de son potentiel expliquent les stratégies multi-canaux. Pour moi, la question à se poser est qui sont les clients-cibles ?” Je vois à l’œuvre deux tendances, contradictoires : une tendance générale à la vente indirecte, moins coûteuse et plus souple. La vente directe est alors souvent réservée aux grands comptes. Et une autre tendance, totalement inverse, dans laquelle l’industriel, n’ayant pas su gérer ses canaux de distribution indirecte, veut reprendre le pouvoir. Il existe un phénomène de balancier entre les deux hypothèses. Regardez l’informatique, il y a en permanence des revirements de situation, qui ôtent toute confiance aux distributeurs. À mon sens, la situation intermédiaire est instable, difficile à gérer, à faire accepter. Car l’étanchéité n’existe pas, on peut seulement y tendre, en gérant plusieurs marques et produits selon les canaux auxquels on s’adresse. Il faut rémunérer chacun de manière différente, jouer sur la structure du barème, grâce aux volumes, aux conseils et services associés. Ce n’est pas très grave en phase de développement – c’est l’exemple des télécoms –, mais lorsque cela se tend, le multi-canal est difficile à tenir. Il faut alors être très clair dans sa stratégie. L’attente des revendeurs est d’être exclusifs. C’est l’image du millefeuille où les couches se superposent sans s’affaisser. Et les structures commerciales, autrefois généralistes et géographiques, se segmentent avec des spécialistes pour gagner en efficacité et crédibilité. Quant à internet, il peut aussi bien tétaniser et angoisser la distribution que l’aider. Si on le considère comme un nouveau canal de vente potentiel, la répartition du pouvoir entre fabricants et distributeurs est déterminante. Là où la distribution est intégrée et concentrée, on retrouve le moins de vente directe. En grande consommation, ce serait de la folie, sauf pour ceux qui démarrent et commencent par là. Mais les marques peuvent collaborer aux sites des enseignes ou faire du “pull” pour attirer le consommateur vers les produits en magasin. Mariam Ipatchki, consultante, CSC PeatMarwick. L’entité est issue du rapprochement de la grosse SSII CSC et du conseil PeatMarwick en 1998. “Oui, définitivement et sans hésitation, la tendance aux stratégies multi-canaux est plus forte, en particulier pour un certain nombre d’acteurs aux produits non-physiques, sans besoin de logistique. Un exemple : en assurance, des acteurs traditionnels qui s’étaient déjà mis au téléphone passent sur internet.“ Un axe évident de ces stratégies me paraît être l’implantation plus large qu’elles sous-tendent. Lorsque vente directe et indirecte cohabitent, il y a en général segmentation des cibles et souvent des types de produits distribués. Internet – ou le téléphone – sera utilisé pour des produits simples. Dans le voyage, ce sont les vols secs qui sont concernés. Pour du sur mesure et des services à valeur ajoutée, rien ne remplacera dans ce secteur le canal indirect. Le mix cible-produit-offre marche bien aujourd’hui. Il s’agit, à mon sens, essentiellement de pratiquer une segmentation de l’offre, car chaque canal a ses spécificités. Pour les livres, on peut très bien imaginer l’achat des best-sellers, achat d’impulsion, se faire chez les libraires, et l’acquisition de titres rares et épuisés via internet. Je pense qu’internet va surtout réorienter le canal de vente directe qui existait souvent déjà. Mais il y aura quand même un effet sur l’indirect. Soit internet deviendra un nouveau canal de distribution, avec son profil de catégorie client, soit il sera un canal de création de trafic vers le site physique. 80 % de la consommation alimentaire des foyers est récurrente. On peut facilement imaginer que le client prépare sa commande via internet, et qu’il aille ensuite la chercher en magasin. Une stratégie multi-canaux veut forcément dire un impact bien au-delà de la fonction marketing et commerciale, cela touche la chaîne logistique, le traitement des réclamations et le service client. Il est indispensable de revoir l’organisation, de créer un mode de fonctionnement et une structure dédiée comme pour la VPC ou les call centers. Il faut en outre une forte sensibilité pour intégrer la vision du client. Spécialisation et intégration sont les deux termes forts, et ils rendent l’organisation et la fluidité de l’information au sein de l’entreprise particulièrement cruciales. Gérard Mouton, directeur de mission chez Ernst & Young Conseil. Ernst & Young vient tout juste d’annoncer son rapprochement avec Altis, conseil en management. “Si l’intérêt en matière de débouchés, de couverture des clients et du territoire est évident, la limite de la démarche multi-canaux reste la non-maîtrise centralisée des opérations. Pour les entreprises, un intérêt d’internet est qu’il permet de toucher directement le consommateur.” L’intérêt d’une stratégie multi-canaux en terme de débouchés est évident, les coûts sont différents, le financement des services est différent. L’un des inconvénients ? Pour obtenir les données de vente consommateurs, lorsque l’on a une force de vente et des magasins en propre, cela ne pose pas de problème ; lorsque l’on a affaire à des franchisés, c’est déjà moins évident, et lorsque l’on traite avec des détaillants multi-marques, c’est carrément impossible. Un schéma qui a fait ses preuves en matière de management multi-canaux est la segmentation par marques. L’organisation de l’entreprise en est affectée et il vaut mieux choisir la spécialisation que le saupoudrage. Si le multi-canal se développe, ma vision n’est pas uniforme : d’autres entreprises se reconcentrent pour maîtriser totalement leur distribution. Il n’y a pas de grande vérité absolue ni dans un sens ni dans l’autre, je ne crois pas bien au bricolage. À mon sens, il faut que l’industriel privilégie un ou deux canaux, et qu’il sache réagir très rapidement. Internet constitue une nouvelle opportunité pour l’industriel, mais la logistique pose un problème : il est très différent de livrer un individu ou la distribution. C’est un point majeur. C’est différent pour les produits immatériels, comme les logiciels et même les livres. Dans l’autre cas, on retrouve le besoin d’intermédiaires comme les distributeurs ou d’autres réseaux de proximité comme La Poste, ou la SNCF. Aux USA, où Ernst & Young mène des études sur l’internet shopping, on voit des réseaux de stations-services mettre à disposition les produits commandés. C’est aussi l’opportunité de créer des petits jobs de livraison, de portage à domicile. Car l’autre option de livraison, c’est le home delivery, mais cela a un coût. Karim Benraïs, associate partner d’Andersen Consulting. Spécialiste de la gestion client et du commerce électronique. “Les stratégies multi-canaux explosent. Et le commerce électronique est un canal de distribution à ne pas négliger. Dans toutes les niches, il y a des opportunités. Même si pour les produits physiques, il reste toujours la question de la logistique et du contact physique. “ L’état actuel des marchés pousse vers l’ubiquité et une distribution multi-modale. Le client aime avoir le choix. Alors les conditions d’accès à l’entreprise et la relation client prennent de multiples formes : call centers, internet, etc. Comment gérer la bivalence ? C’est un problème qui existe depuis longtemps. Personne n’a le monopole du client, il faut sortir des schémas dépassés. Nous sommes à l’ère de l’entreprise agile, réactive, qui adapte ses réseaux et ses processus en fonction du marché. Il y a aussi une accélération : il y a quelques années, aucune étude ne mentionnait internet. Aujourd''hui, les compagnies aériennes américaines sont complètement multi-réseaux. Internet est un risque et une opportunité. Court-circuiter la distribution ? Un spectre de solutions existe. On peut jouer la rivalité ou la complémentarité. Imaginer des kiosques internet dans les hypers, des têtes de gondole électroniques. L’entreprise peut choisir d’opérer par grands segments de clientèle : du home delivery pour les VIP, la présence en GMS pour le grand public. Avant, nous avions une stratégie de produits et de marchés, sur lesquels on plaçait des outils, on nouait des alliances. Aujourd’hui, nous avons affaire à une technologie qui devient une architecture incontournable. Les conditions du succès d’une stratégie ? L’ubiquité de l’information, la possession des compétences clés. Mais on aura toujours besoin de bases logistiques, de maintenance, de gestion de la relation client où la teneur en services prend une part importante. Tous les métiers et les business models doivent évoluer. Les forces de vente elles-mêmes peuvent profiter des services d’internet. Jacques Masurel,fondateur d’InterConcept et membre du réseau Customer Management. Spécialiste de la vente directe, a publié divers ouvrages sur le sujet. “Je vois la progression de la vente hybride. Car la vente directe, internet ou pas, sort de son domaine réservé. Et l’adjonction au commerce de détail, à la VPC ou aux deux réunis, est nouvelle et prometteuse.” Depuis 20 ans en France, s’est constituée la puissance de la grande distribution. En réduisant le nombre des fournisseurs, la distribution les oblige à concevoir d’autres canaux de vente. Une dose de vente directe, même à travers internet, est à étudier. Une stratégie multi-canaux mêlant par exemple commerce au détail et vente directe s’inscrit dans une dynamique de conquête et de fidélisation client. La société anglaise de cosmétiques Virgin-Vie mixe un réseau de 2 000 vendeurs, au statut de distributeurs indépendants, et des points de vente physiques en propre. Cela correspond à un élargissement de la zone de chalandise. Pour moi, cela peut aboutir à du gagnant-gagnant. J’en veux plusieurs preuves. Multi-Home associe la vente par réunion et ses propres magasins, et constate une corrélation : là où le réseau est le plus actif, les magasins le sont aussi. Plus délicat, l’éditeur anglais Dorling Kindersley s’est mis à vendre en direct. Cela a provoqué un tollé chez les libraires, mais ils ont vu leurs ventes monter. La clientèle alertée par les efforts des distributeurs se rendait dans les magasins. Il y a eu un effet boule de neige. La vente “hybride” est valable si le marché est en expansion, mais aussi lorsqu’il est stagnant : cette stratégie peut bousculer les parts de marché installées. C’est ce qu’a fait Pro Kennex en incitant les professeurs de tennis à se transformer en vendeurs. Pour ménager la distribution, il convient de l’intéresser au nouveau canal. Il y a plusieurs voies pour cela : soit le détaillant devient lui-même une tête de réseau, soit il est chargé des livraisons et est rémunéré pour cela, soit même il est intéressé sur les ventes de son secteur (via les codes postaux des distributeurs ou des clients) même s’il ne participe pas directement. Geoffroy Roux de Bézieux,président de The Phone House. Spécialiste de la téléphonie, développe son réseau de magasins, prospecte en direct les entreprises et lance la VPC. “Nous voulons développer fortement l’enseigne sur l’ensemble des canaux, avec une volonté de complémentarité. Si j’avais 60 % du marché, je me poserais des questions de cannibalisation, mais nous sommes à 3 %, alors on fonce. Les difficultés surgissent surtout dans des réseaux anciens. “ Nos objectifs sont d’atteindre 350 MF à avril 1999. Chaque canal correspond à une clientèle. Nous avons démarré par des boutiques grand public, dans les lieux à fort trafic et dans les centres commerciaux. Elles sont 52 à l’heure actuelle, et 50 devraient ouvrir avant la fin 1999. Depuis le 1er septembre, une équipe de six commerciaux – nous sommes organisés en six grandes régions – prospecte les entreprises, essentiellement les PME. L’effet proximité joue, le SAV est une dimension très importante. Nous recruterons des personnes supplémentaires pour étoffer ce service. À la fin 1999, il devrait faire 10 % de l’activité. Une expérience assez forte en Suède montre une proportion entreprises de 60 %. Certes, ce positionnement peut nous mettre en conflit avec nos fournisseurs, mais ce type de situation est bien connu dans d’autres secteurs, comme les copieurs par exemple. Et nous bénéficions d’un marché en expansion. Enfin, la VPC représente un complément de couverture. En octobre, nous avons mené une campagne MD en presse TV. On ratisse les zones rurales et les petites villes, où la seule concurrence est représentée par les agences France Télécom. Nous disposons d’un atout : une base client de 180 000 noms. Il est rare qu’un distributeur en dispose. Comme le recul est maintenant de deux années et que nous passons dans une phase de renouvellement, c’est un marché qui s’ouvre, que nous allons explorer en collaboration avec les opérateurs. Sommes-nous en phase de recrutement via internet ? Un site s’est bien développé sur l’Angleterre depuis la fin décembre, et nous devrions nous y mettre localement à l’été.

Opportunités du canal électronique Le cabinet Roland Berger a débusqué quatre étapes-clés de développement du commerce électronique : information, interaction, transaction et intégration dans la stratégie, avec des systèmes d’organisation et de production pensés pour internet. Internet permet d’exploiter de nouveaux canaux de distribution, d’identifier de nouvelles opportunités de marchés et de clients, de développer les nouveaux systèmes de tarification. Mais aussi de réduire les coûts de distribution, d’assistance et de support aux utilisateurs finaux, d’optimiser le cycle de développement produit et la logistique. Le commerce électronique est potentiellement avantageux pour des produits à coûts d’acheminement faibles, à changement fréquent de prix et d’assortiments, à faible rotation ou rares, ou encore à la clientèle dispersée. Mais attention à l’existence de conflits d’intérêts potentiels importants avec les réseaux de distribution traditionnels, comme dans le secteur des cosmétiques. Cette faiblesse évidente des entreprises “traditionnelles”, la cannibalisation des canaux, ne concerne pas les 100 % internet.

Ce qu’il faut retenir - Comme le note le 2e rapport Lorentz sur le commerce électronique : “En favorisant la mise en rapport direct des clients et des fournisseurs, le commerce électronique, dans de nombreux cas, met en cause des intermédiaires classiques.“ Faut-il créer un nouveau conflit avec un réseau de distribution (ou une force de vente) existante ? - Il faut repenser la stratégie de distribution globale. La segmentation de l’offre peut constituer une solution, de même que des rapports de coopération avec la distribution, car, de toutes les manières, la nécessité d’une bonne logistique s’impose. - Les distributeurs eux aussi veulent conserver et approfondir ce contact client et ils font d’internet une de leurs priorités. Selon Ernst & Young, les distributeurs sont plus favorables au commerce électronique que les producteurs : 30 % ont ou vont développer une offre, contre 20 % des industriels.

 
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Propos recueillis par Sylvie Brouillet

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