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La parole est aux experts

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Les centres de contacts font appel à des experts, étudiants ou professionnels bardés de diplômes, pour étancher la soif d’informations “sensibles” du public. Le téléacteur de demain ? Bac + 5, bien payé, épanoui, travaillant à domicile.

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Allô ? Les laboratoires Tartempion ? Je suis très inquiet. J’ai entendu parler des risques qu’encourent les personnes ayant consommé votre produit X… Que dois-je faire ? » Des appels de ce type, les laboratoires pharmaceutiques en reçoivent chaque jour. Habitués à se nourrir d’une information toujours plus riche et abondante, les consommateurs veulent savoir. Savoir quels éléments contiennent les aliments ou médicaments qu’ils ingèrent, quels risques éventuels ils encourent, quels gestes de sécurité ils doivent accomplir. Plus largement, ils exigent de leurs fournisseurs qu’ils leur proposent, outre des produits irréprochables, les services qui vont avec. « Dans l’informatique, la différence ne se fait plus sur l’offre produits ou sur les prix, mais sur les services d’assistance aux utilisateurs qui y sont associés », explique Jean-Michel Rhode, responsable du pôle “centres d’appels” chez Orga Consultants. C’est pourquoi, face à l’impérieuse nécessité de répondre aux demandes de plus en plus complexes de personnes de mieux en mieux documentées, certaines entreprises ont inventé un nouveau type de centres d’appels, dont les téléacteurs – une fois n’est pas coutume – sont des experts : médecins, diététiciens, pharmaciens, infirmiers, vétérinaires, mais aussi financiers, informaticiens ou encore conseillers juridiques. Ainsi, Lafarge vient de monter un centre d’appels, que les artisans peuvent à tout moment contacter afin d’obtenir les conseils éclairés d’un professionnel du bâtiment. Autre initiative : celle d’Aniwa, filiale high-tech de Royal Canin, qui s’apprête à inaugurer un centre d’appels ouvert à tous les amateurs et possesseurs d’animaux, et grâce auquel il sera possible de dialoguer avec un vétérinaire.

Il y a vingt ans, déjà…

Certes, le phénomène n’est pas neuf. Chez Burson Marsteller, agence conseil en communication, le département “gestion de crise” est amené à créer, depuis ses débuts, il y a vingt ans, des centres d’appels d’experts, confiés à des outsourcers. De même, c’est au début des années 80 que le groupe Call Center Alliance, spécialisé dans l’externalisation de centres d’appels, s’est doté d’une branche “santé”, capable de répondre, en quelques heures, pour le compte d’entreprises ou de laboratoires, aux interrogations de professionnels de la santé et à celles du grand public. « Mais cette demande d’expertise va crescendo, elle touche tous les secteurs d’activité, et outrepasse largement les situations de communication de crise, note Sophie de Menthon, p-dg de la société Multilignes Conseil, spécialisée dans l’outsourcing de call centers. Elle a explosé avec l’émergence des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Les mentalités ont évolué ; les consommateurs, surinformés, rejettent aujourd’hui la notion de risque. Lorsqu’ils achètent un produit, ils veulent être sûrs qu’il est fiable à 100 %, et souhaitent être en mesure de le vérifier par eux-mêmes. » D’où la nécessité de mettre en place ces hot lines d’un nouveau genre, dont les téléopérateurs, experts de haut niveau, sont aussi des professionnels de la relation clients, rompus aux techniques de communication par téléphone.

Les 5 % qui font la différence

En effet, ne s’improvise pas téléopérateur qui veut : un médecin, par exemple, est peu habitué, a priori, à rassurer ses patients sans se déplacer. Pour faire de ces professionnels des téléacteurs de talent, les sociétés de centres d’appels leur dispensent donc la même formation aux techniques de phoning qu’à n’importe quels autres salariés. Et n’hésitent pas à leur donner une solide culture d’entreprise soit en les faisant travailler en tandems avec les équipes “maison” des entreprises, soit en les intégrant purement et simplement à ces équipes, si la cellule est appelée à perdurer. Ensuite, c’est à leurs qualités humaines qu’on s’en remet – en situation de crise liée à la santé, la plupart des appelants ont simplement besoin d’être tranquillisés – et, surtout, à leurs compétences techniques ou scientifiques. Car, comme le rappelle Sophie de Menthon, « si, dans la plupart des crises, 95 % des appels portent sur trois questions simples, ce sont les réponses apportées aux 5 % d’appels restants qui rendront le dénouement favorable ou non ». D’une façon plus générale, en proposant de l’information à leurs clients, les entreprises mettent en jeu leur crédibilité : elles n’ont, alors, aucun droit à l’erreur ! Ainsi, il n’est pas rare, dans ce type de situation, de voir des professionnels – médecins, pharmaciens, experts financiers, chefs d’entreprises, etc. – téléphoner afin de valider leurs informations. Pour éviter aux experts d’être dérangés pour des appels de niveau 1 – c’est-à-dire portant sur des questions de base auxquelles un simple téléacteur peut répondre – deux niveaux de traitement sont mis en place : les appels sont, tout d’abord, pris en charge par une équipe de téléopérateurs classiques, qui les basculent, si nécessaire, sur la hot line des experts. « Nous sommes fréquemment amenés à créer des Numéros Verts pour les professionnels de la médecine. Imaginez ce qui se passerait si un médecin avait en ligne quelqu’un qui soit incapable de comprendre ses questions ! », souligne Jacques Rolland, directeur du département “santé” de Call Center Alliance.

Des rémunérations alléchantes

C’est pourquoi, afin d’étancher la soif d’informations du public, les entreprises n’hésitent plus à s’offrir les compétences d’étudiants en fin de cursus, voire de professionnels. Chez Call Center Alliance, on n’emploie pas moins de 150 téléacteurs experts, dont la plupart en CDI ! « Leurs rémunérations oscillent entre 1 800 euros (11 800 francs) bruts par mois pour une diététicienne, et 6 000 euros (39 400 francs) bruts par mois pour un médecin nutritionniste », confie Jacques Rolland, quand Sophie de Menthon évoque un tarif horaire de 23 euros, soit 150 francs, pour un profil bac + 4. « Cela peut paraître beaucoup, mais c’est peu, comparé au risque que prendraient les entreprises si elles répondaient mal aux questions ! », argumente la présidente de Multilignes Conseil. « De plus, ajoute Jean-Michel Rhode (Orga Consultants), nombre d’entreprises voient dans le télédiagnostic et l’action à distance une source d’économies, car cela leur évite d’envoyer un spécialiste sur site. » Outre l’attrait de la rémunération, les outsourcers séduisent les candidats en leur offrant des conditions de travail privilégiées. « Les horaires sont souples, explique Jacques Rolland. Nos centres sont ouverts du lundi au samedi, de 8 à 20 heures. De nombreuses mères de famille sont intéressées, qui souhaitent exercer une activité professionnelle à la carte, souvent à mi-temps. D’ailleurs, le turn-over est faible – il n’excède guère 10 à 15 % par an – et les gens qui nous quittent se font, pour la plupart, remplacer par une personne de leur entourage. » Pour le porte-parole de Call Center Alliance, ce type de structure permettra bientôt aux téléacteurs de travailler depuis leur domicile : « La première règle, pour bien gérer une crise, est d’agir vite. Demain, nous devrons être capables de mettre en place un Numéro Vert en une demi-heure. Le télétravail nous permettra de gagner en réactivité. » De quoi rassurer les gestionnaires de centres d’appels, à l’heure où le consommateur, enfant gâté de la société de consommation, souhaite obtenir de l’information de qualité 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 !

Avis d’expert

Sophie de Menthon, p-dg de Multilignes Conseil « On ne peut pas prendre le risque de ne pas connaître les réponses. » « Le consommateur est habitué à manier de l’information de plus en plus complexe. De surcroît, il veut pouvoir joindre l’entreprise 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. » Pour Sophie de Menthon, l’exigence croissante du public a conduit les entreprises à un point de non-retour. « Celui qui ne répond pas, ou qui répond mal, s’expose à un véritable danger, surtout en cas de crise. Ce serait d’autant plus regrettable que la gravité de la crise est rarement proportionnelle à l’importance du danger. » Pour faire face à une situation de crise, donc, Sophie de Menthon recommande, au contraire, la communication. « Il faut expliquer, rassurer, diffuser de l’information. Mais, sur des sujets aussi sensibles que la santé, tout le monde n’en est pas capable. Seul un expert peut parler à un expert. Or, dans ce type de situations, les appels proviennent souvent de populations spécialisées. »

Témoignage

Cyrille Arcamone, directeur conseil et responsable du département “affaires publiques et communication de crise” chez Burson Marsteller « Face à un consommateur averti, l’entreprise n’a pas droit à l’erreur. » « En mettant en place de tels centres d’appels, les entreprises répondent à l’exigence nouvelle des consommateurs qui veulent être tenus informés et, surtout, exigent des marques qu’elles corrigent le tir en cas de crise. » Informer et agir : telles sont les deux missions prioritaires de Cyrille Arcamone, qui met en place, pour le compte d’entreprises de tous horizons, 20 à 30 cellules de crise chaque année, dont 3 ou 4 nécessitent un centre d’appels de haut niveau. « Leurs qualités ? Réactivité – les téléopérateurs doivent être recrutés et formés en 24 heures –, fiabilité – ils doivent être capables de dialoguer avec des professionnels de haut vol – et adaptabilité – l’importance et la durée de ces cellules ne sont jamais connues à l’avance. » D’ailleurs, les problématiques soulevées par les crises évoluant d’heure en heure, en fonction de leur traitement médiatique notamment, Burson Marsteller établit, avec ses téléacteurs experts, des briefs quotidiens.

 
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Stéfanie Moge-Masson

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