La vente est-elle une profession?
Avec une telle question, Pascal Brassier souhaite-t-il créer la polémique dans les pages d'Action Commerciale? Certainement pas... Néanmoins, au vu des points qu'il soulève, la question est pertinente et montre à quel point ce métier est à part!
Je m'abonneDans l'esprit de cette rubrique qui vise à partager les meilleurs travaux des chercheurs en management et en vente, je suis retombé sur un article du Journal of personal selling and sales management
Comment peut-on définir si une activité est une profession? Ce n'est pas lié au fait que celles et ceux qui l'exercent en vivent ou agissent «en professionnels», c'est plus complexe. Passons donc en revue les six critères retenus par ces chercheurs.
1. Un corps de connaissances homogène et reconnu
Une profession se construit sur un ensemble cohérent de savoirs, théoriques et pratiques, que l'on peut acquérir dès l'école puis par l'entraînement au sein du métier. Analyser les besoins d'un client par le questionnement ou élaborer une proposition commerciale font partie d'un bon cours de vente, par exemple. Mais tous les cours dispensés offrent-ils des contenus similaires? Y a-t-il un «corpus» commun des fondamentaux de la vente, comme il y a un enseignement relativement homogène, je suppose, du droit des affaires pour les avocats, ou du pétrissage du pain pour la profession de boulanger? Il suffit de se procurer les nombreuses brochures des écoles de commerce, des universités ou des centres de formation pour voir que l'offre est très variable, quand elle existe. On est loin du DSCG des comptables. A quand un DSCV (diplôme supérieur du commerce et de la vente)?
2. Une expertise et une autonomie reconnues
Une profession se distingue par son autonomie de décision, aussi bien pour dire ce qui est bon ou juste dans ses pratiques, que pour évaluer et développer les compétences de ses membres. Elle peut créer des certifications et des labels pour cela, d'ailleurs. Mais ce qui compte, c'est que la société civile lui reconnaisse cette expertise. Or, plusieurs problèmes se posent aujourd'hui: les savoirs sont de plus en plus partagés, la responsabilité du client aussi. La technologie est le support de cette diffusion, en même temps qu'elle sert à perturber les frontières entre les professions. Et comme l'on remet, désormais, aisément en cause l'expertise d'un médecin ou d'un banquier, l'affaire n'est pas gagnée pour les vendeurs.
L'expert
Pascal Brassier est enseignant-chercheur en management commercial et négociation depuis 2002. Titulaire de la Chaire en développement commercial du groupe ESC Clermont, il est, par ailleurs, fondateur du Conseil scientifique des DCF. Il a publié en 2011 Management de la force de vente avec Alfred Zeyl et Armand Dayan (Éditions Pearson).
3. Le service rendu à la société
Les tensions économiques renforcent le rôle de la fonction commerciale, mais peuvent aussi se révéler à double tranchant sur ce troisième critère. Plus que jamais le client est, en effet, en droit de se demander si le vendeur agit pour le bénéfice de celui-ci, de son entreprise ou pour lui-même. Bien sûr, idéalement, nous devrions toujours pouvoir répondre «les trois». Mais dans les faits, dans quelle proportion parvient-on à concilier harmonieusement ces attentes parfois contradictoires?
4. Une représentation reconnue
L'existence d'une association professionnelle à laquelle appartiennent de manière exclusive les commerciaux, du débutant au dirigeant, est un quatrième critère distinguant une profession d'une activité. Elle prend la forme d'une fédération professionnelle principalement, et elle est un interlocuteur reconnu par les pouvoirs publics. Or, la vente est représentée par plusieurs associations qui, de plus, n'ont pas ces deux caractéristiques.
La Marmotte a eu pour vocation de représenter syndicalement les vendeurs, pour ceux qui s'en souviennent. Les agents commerciaux ont leur fédération, et les DCF, auxquels j'ai l'honneur d'appartenir, est une association loi 1901, visant plutôt les dirigeants commerciaux, mais ouverte aussi à d'autres métiers proches du commerce. Nous n'avons donc pas un Ordre des vendeurs.
5. Un code déontologique établi
Comme les médecins ont le serment d'Hippocrate, aurons-nous un jour un serment de Mercure (et non d'hypocrite, mauvaises langues!)? Un tel code de conduite encadre une pratique. Il est aussi une protection, voire un avantage concurrentiel pour celles et ceux qui s'y référent. Il porte l'idée que l'autocontrôle par les pairs est la meilleure garantie éthique, en raison de leur expertise.
6. La compétence exclusive d'une tâche
Ce dernier critère permet à une profession d'affirmer que seuls ses membres peuvent et savent pratiquer leur «art» au profit de la société dans son ensemble, qui en a besoin. Elle définit qui en est capable, ou pas. Or, pour la vente, si l'on excepte la croyance populaire que «n'importe qui peut vendre s'il a du bagout», aucun ordre ou institution professionnels ne peut empêcher quiconque d'être vendeur. Sans compter que la somme des connaissances nécessaires pour cela n'est pas établie, loin s'en faut.
On le voit, être reconnus comme une profession à part entière va sûrement demander encore du temps. Cela ne veut pas
dire qu'il faut une organisation rigide, délivrant ses certifications avec parcimonie. Cela ne signifie pas non plus que la diversité de nos formations (du CAP aux nombreux Bac + 5), de nos contextes ou de nos métiers soit un défaut. Mais nous gagnerons sûrement tous à clarifier nos jobs, comment on y accède et en quoi ils sont honorables, pour éviter les encore trop nombreux: «Tu es dans la vente? Oh, et t'as rien trouvé d'autre?»...