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Le manager formateur existe-t-il ?

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Le manager commercial doit-il se muer en formateur ? Les missions et les qualités pour mener ces deux fonctions sont-elles compatibles ? Comment la mission se lie-t-elle avec celle du service formation ? Les entreprises se posent ces questions avec insistance.

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Yves Blanchard, président du cabinet de conseil et formation en productivité commerciale, management et communication CAA. Fondateur du Club Défi, réunion de DRH d’entreprises ayant mis en place des écoles internes. Le Club Défi s’est penché sur le manager formateur fin 1996. "Le concept de manager formateur est une tendance lourde et une obligation absolue. Pour les entreprises de l’an 2000, le facteur-clé est plus que jamais l’optique de la recherche maximale de l’accroissement de la performance et du développement des compétences."Dans l’univers de la visite médicale, où les rôles de managers étaient concentrés sur le contrôle, le rôle de développement des compétences s’est renforcé. Le terme manager formateur commence aussi à prendre du sens pour l’encadrement commercial dans l’univers télécoms. Ma conviction est que la tâche de manager n’a rien d’une tâche simple et univoque, qu’elle comporte une complexité réelle. Entre manager et formateur, les points de contradiction peuvent être majeurs, formidables, rédhibitoires. Tout sera fait pour les concilier. Plus que jamais, c’est lors de la nomination du manager qu’il faut identifier les développeurs de potentiels. Un formateur met en pratique des valeurs comme le sens de l’attention, de l’éducation, de l’écoute. Mais il faut aussi que l’individu possède une maturité personnelle : la confusion mentale des rôles est un risque grave, qui n’est pas tolérable du point de vue de l’entreprise. Elle a intérêt à procéder à une identification réelle des ressources humaines. Pour moi, la réalité du manager formateur, ce n’est pas d’organiser et d’animer une fois tous les quinze jours une séance de formation, c’est une attitude. Toute occasion, toute erreur, toute situation est pédagogique. Il s’agit d’analyser la performance, de comprendre comment le vendeur l’a réalisée. Le système d’entretien permet au manager de repérer des points de développement chez le vendeur pour que la direction des ressources humaines et le service formation lui assurent l’acquisition des compétences. Par défaut, rien n’empêche un chef des ventes de le faire, mais il ne dispose pas toujours de l’instrumentation nécessaire. Cependant, dans certaines entreprises, le référentiel du métier du chef des ventes incorpore ces règles. Et le manager suit lui-même une formation de formateur à l’évaluation, au coaching, qui lui donne la capacité à débriefer dans les règles. Enfin, dans quelques entreprises, se dessine le rôle de représentant formateur, qui est chargé, comme dans certaines entreprises de la pharmacie ou dans la cosmétologie, d’assurer le transfert de connaissances. Il existe un énorme champ de progrès, mais il faut y aller doucement et se méfier des injonctions, des incantations. Si rien n’est pris en compte dans le système ressources humaines pour évaluer le manager sur cette mission, ce n’est pas cohérent. Nicolas Bronner, directeur régional des ventes de la division automobile et mécanique de la société Berner. "Les clients demandent des interlocuteurs compétents. La formation technique est assurée au siège, qui accueille aussi l’école de vente. Sur le terrain, le chef des ventes assume un rôle de formateur à la technique et aux techniques de vente, et travaille sur la personnalité."Le chef des ventes passe 80 à 90 % de son temps avec les vendeurs. Il a un rôle essentiel de diagnostic et d’analyse. Lui seul peut le faire. Cela personnalise la formation et stimule le vendeur. D’autre part, le chef des ventes doit se livrer à un entretien individuel par mois pour s’assurer de la pertinence et de la cohérence de l’action. Les encadrants ont été eux-mêmes formés à l’entretien individuel et aux visites conjointes. Et aujourd’hui, la plupart sont capables de faire des séances de sketches vidéo. S’ils sont d’excellents vendeurs, le but n’est pas de montrer les écarts avec ce que pratique le commercial, mais de développer son aptitude. Une visite conjointe ne se révèle intéressante que si le vendeur prend conscience du point à améliorer, s’il l’accepte. Un conflit peut surgir si c’est mal amené : les vendeurs doivent comprendre où se trouve l’intérêt et la justification pour eux. Les chefs de ventes ont été formés à la prise de parole en public et en réunion et ils demandent fortement à échanger sur leurs expériences. Dans le Guide du management, que nous avons sorti il y a quatre ans, les chefs de vente retrouvent leurs marques et des standards d’activité. À ce moment-là, nous sommes passés d’une culture produit à une culture commerciale. Existent aujourd’hui à côté de pratiquement chaque chef de ventes des représentants formateurs. Ce sont des vendeurs justifiant minimum d’un an d’expérience, plutôt de deux voire de cinq ans, qui prennent en charge les nouveaux collaborateurs. Ils sont nommés par un avis partagé entre le centre de formation et le chef des ventes. Après une semaine complète de visite conjointe en prospection ou avec les clients régionaux, le nouveau vendeur prend progressivement les commandes. Ces représentants formateurs ont suivi une formation spécifique à la formation. J’ai remarqué que les visites conjointes motivaient davantage ces vendeurs. Vincent Bianco, directeur de la formation Europe, Moyen-Orient et Afrique de Kodak. Il est également directeur du Cefom, le centre de formation interne, et externe. Il gère une équipe de 60 collaborateurs formation. " Les managers commerciaux, comme tous les autres managers, recevaient une formation de cinq jours lors de leur prise de fonction. Une nouvelle formation de trois jours va approfondir leurs connaissances sur le coaching."Les formations Kodak ont généralement pour cadre le Cefom, à Paris. S’y déroulent formations internes, mais aussi externes (pour les professionnels de l’image, les hommes des réseaux de distribution). Depuis peu, les ressources formation de Kodak ont été réallouées. La mission essentielle du service formation de Kodak procède de l’ingénierie de formation. L’équipe sélectionne et achète des formations extérieures, souvent au niveau européen, car la volonté d’harmonisation et d’homogénéisation des formations s’accentue dans la nouvelle stratégie des ressources humaines. Les rôles sont bien partagés, ceux des managers sont fixés. Nous avons besoin des managers pour évaluer les besoins de formation et accompagner les actions. Aux chefs des ventes revient la mission de faire part au service formation des besoins détectés. Comment ont-ils été équipés pour le faire ? Lors de leur prise de fonction, une session d’une semaine les amenaient à survoler le coaching. Très prochainement, un nouveau stage beaucoup plus pointu va approfondir leurs connaissances sur ce domaine précis. Chacun chez Kodak se plie à un programme de formation de 40 jours. Tout manager est évalué sur le développement de ses hommes. Pascal Debordes, spécialiste du coaching à la Cegos, auteur de Coaching efficace des commerciaux, paru aux Éditions Dunod. "Les compétences prennent de plus en plus de place dans les entreprises. Formation et coaching permettent de les renforcer. A mon sens, les deux approches ne s’opposent pas, mais se complètent. Disons que le coach, le manager, est un formateur au quotidien."Depuis un à deux ans, les directions générales s’intéressent de plus en plus aux compétences de leurs équipes. Car si l’on raisonne en termes d’avantages concurrentiels, de quoi disposent-elles ? Soit d’une stratégie vraiment originale, soit d’idées marketing innovantes mais copiables, soit de prix particulièrement intéressants. Une fois tous ces facteurs stratégiques éliminés, il en reste un, sur lequel on peut et on doit souvent progresser : les hommes, en particulier ceux de la vente. Pour agir sur les équipes, les entreprises ont deux moyens : la formation et le coaching. Les deux ne s’opposent pas, bien au contraire. La formation donne des compétences à l’instant t, mais trois mois avant et trois mois après, c’est l’affaire du management direct. Le coaching renforce les compétences et la motivation, les deux allant de pair, de manière individuelle et collective. La hantise d’un formateur en entreprise, c’est de ne pas savoir, une fois la formation terminée, qui va prendre le relais et poursuivre sa propre action dans la durée. Il n’est pas faux de dire qu’à 97 %, les services formation sont d’ardents défenseurs du coaching. Car les missions sont distinctes. La for-mation permet au commercial d’acquérir des compétences fondamentales, pendant une période donnée. De retour sur le terrain, ce sont les efforts du coach qui vont permettre le renforcement de ces fondamentaux. Le manager tient ici un rôle de maintenance de la formation. Disons que le coach est un formateur au quotidien. Il faut savoir que lorsque l’on interroge les managers sur ce qu’ils préfèrent dans leur métier, ils placent en premier le coaching. Mais à deux conditions : d’abord qu’on leur donne les moyens de le faire, c’est-à-dire au moins 30 % de leur temps, et ensuite qu’ils soient évalués et récompensés sur la qualité des opérations de coaching. Guy Kuneben, ancien attaché commercial et chef des ventes, aujourd’hui responsable de l’école de vente de Minolta. "Le chef des ventes est à la fois le capitaine et l’entraîneur de son équipe. C’est le relais indispensable de la formation sur le terrain : il dispatche et conforte notre travail de formation."En tant que formateur, je ne peux pas travailler sans le chef des ventes. Il n’est pas là directement pour former mais pour conforter notre travail, à nous, les six consultants en formation. Quand un nouveau vendeur entre chez Minolta, il est d’abord recruté par le chef des ventes. Ensuite, il est accueilli au sein de l’école de vente afin d’être formé à la culture maison, à nos produits et aussi aux techniques de vente, s’il débute dans le métier. À la fin de la session de formation, nous faisons un bilan avec le vendeur et avec le chef des ventes. Puis le relais passe dans la main du responsable d’équipe : c’est à lui de l’intégrer au groupe, de le former à la mentalité de l’équipe, de le mouler à sa main. Nous sommes des fournisseurs pour la société.Notre objectif est de deux ordres : faire progresser le chiffre d’affaires du vendeur et donner envie aux commerciaux de rester chez nous.Pour y arriver, il est essentiel que le formateur connaisse bien le terrain. Si l’on veut comprendre les réactions, les besoins, et les inquiétudes des jeunes, il faut avoir vécu la même situation qu’eux. C’est mon cas puisque je suis entré il y a 20 ans chez Minolta, en tant qu’attaché commercial puis chef des ventes dans la région parisienne.

Comment concilier les rôles ? -Les deux fonctions se contredisent apparemment sur de nombreux points. L’objectif du manager se mesure en termes de performance et de résultats, celui du formateur en termes de compétences. Le manager calcule à court terme, le formateur à long terme. Le manager décide, agit, et a un pouvoir de sanction. Le formateur réfléchit, analyse, et doit rester neutre. Le premier s’impose, le second propose. L’un commande, l’autre écoute. -Malgré les oppositions entre les deux fonctions, le bon manager est forcément un bon formateur, parce que les qualités requises pour le management incluent celles du formateur. -Pour réconcilier les deux fonctions, les entreprises posent des limites : en ne donnant pas au manager les deux fonctions à exercer au même moment, en même temps. En excluant l’utilisation des jeux de rôles, difficile à manier. En réservant au manager la formation concrète et informelle au fur et à mesure de l’activité, et les formations non comportementales. En excluant la formation collective, en salle. En n’exigeant du management formateur qu’en bas de l’échelle. Et en laissant à chacun la possibilité d’être non formateur.* D’après l’étude menée par le Club Défi avec le cabinet CAA.

Ce qu’il faut retenir - Les directions opérationnelles doivent travailler main dans la main avec les services de formation. Le manager est un relais sur le terrain des formations dispensées en salle. Grâce au coaching, le manager peut détecter en amont les besoins en formation de son équipe et soutenir en aval l’acquisition des connaissances de ses collaborateurs. - Le manager ne peut pas et ne doit pas être un formateur à plein temps. Cependant, pour suivre, entraîner et soutenir son équipe, le manager doit disposer de suffisamment de disponibilité. - Former les managers à la formation et au coaching est indispensable afin qu’ils puissent remplir efficacement leurs deux rôles. - Afin de mettre en place un management formateur efficace et durable, il faut l’inclure dans le système d’évaluation des encadrants.

“Le coaching est à la mode. Demain, je retourne sur le terrain.“Thierry Frontère, directeur de la publication Bon, maintenant, je tourne avec vous deux fois par mois. Ordre du dirco ! - Ah bon… et pour quoi faire ? - Du coaching. C’est la nouvelle technique à la mode, on vient de suivre le stage. Tiens, toi, où est-ce qu’on se retrouve ? - J’ai mon premier rendez-vous à 7 h 30, on se retrouve à 7 h 00… - À 7 h 00 ! Voyons, et toi, demain, qu’est-ce que tu fais ? - Demain c’est une journée "dans le dur" : prospection non-stop. On peut tourner ensemble, ça me ferait du bien. - Que de la prospection... Et toi ? - Moi, je passe la matinée pour essayer de régler le litige chez mon plus gros client. C’est la journée de tous les dangers ! Je veux bien un coup de main. - Bon, réflexion faite, on démarrera la semaine prochaine. Ça nous donnera le temps de préparer des journées normales… c’est ce qu’ils nous ont conseillé en formation.

 
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Propos recueillis par Sylvie Brouillet et Laure Deschamps, T.Frontère

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