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Les présidents face à la vente

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La fonction commerciale est une préoccupation majeure au plus haut sommet de l’entreprise. Si la presse économique se fait plus volontiers l’écho de l’actualité financière ou boursière, des fusions, rachats et autres augmentations de capital, les grands capitaines de l’économie française, au jour le jour, se préoccupent au moins autant des performances de leur équipe commerciale – et de leur bien-être ! – que du cours de l’action. Pour en témoigner, Action Commerciale a réuni, à l’occasion de cette édition pas tout à fait comme les autres – la deux centième ! –, un comité de rédaction exceptionnel. Il se compose de présidents de grandes entreprises, toutes mondialement connues, qui se sont illustrés par l’attention qu’ils ont su porter, au cours de leur carrière, à la fonction commerciale. En acceptant de prendre part à ce numéro, ils ont voulu souligner, une fois de plus, l’importance stratégique de la vente au plus haut niveau de l’entreprise – le leur. Par leurs réponses à nos questions, ils rendent à la fonction commerciale une dimension forte que, parfois, on oublie…

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L’action commerciale est-elle stratégique au plus haut niveau de l’entreprise ? Question à Jean-Marc Espalioux Président d’Accor La fonction commerciale est extrêmement importante dans l’hôtellerie… C’est tout aussi vrai pour d’autres activités au sein d’Accor, comme les services avec le ticket Restaurant par exemple. Mais l’affirmer pour le secteur hôtelier, c’est presque une provocation. Car nous sommes tous, toujours et encore, marqués par la réponse fameuse de Conrad Hilton, qui, à la question de savoir quels étaient les trois points-clés de la réussite d’un hôtel, répondait : “ Location, location, location. ” Et cela reste d’actualité : le rapport qualité-prix, la qualité des équipes, la notoriété de la marque et l’implantation représentent 80 à 90 % du succès de l’hôtel. Dans ce schéma pourtant, la fonction commerciale prend toute son importance du fait d’une double évolution. La première renvoie à l’internationalisation des flux de clientèle, une véritable révolution pour notre métier : il y a aujourd’hui 600 millions de touristes internationaux, il y en aura deux milliards dans vingt ans. Pour les faire venir dans un hôtel, qu’il soit un excellent produit, qu’il bénéficie d’un emplacement privilégié, ne suffit pas : il faut le faire connaître. La seconde évolution repose sur la segmentation de la clientèle : les voyageurs aujourd’hui ne sont plus seulement des vacanciers saisonniers, mais appartiennent à toutes sortes de catégories : des jeunes en quête d’une hôtellerie accessible, des seniors, des comités d’entreprise… Au vu de l’importance des coûts fixes dans l’hôtellerie, ce sont les dernières chambres occupées qui font gagner de l’argent. Un certain taux de remplissage de l’hôtel permet de rentabiliser l’investissement ; tout ce qui vient au-delà est du pur bénéfice : on comprend là toute l’importance de l’action commerciale. En agissant sur ce taux de remplissage marginal, elle enrichit l’entreprise. C’est pourquoi, la force commerciale s’est retrouvée au cœur du plan Accor 2000 qui a consisté, entre autres, en une révision de notre organisation vers plus de solidarité entre les marques du groupe. La force de vente est désormais structurée sur le principe “un client, un interlocuteur Accor”. Le commercial peut donc proposer tous les hôtels, quelle que soit la catégorie, la zone géographique… Auparavant, il était en charge d’un seul hôtel, d’une seule marque. Ce système a permis de développer, à destination de notre marché, une offre commerciale et de fidélisation multimarques ; en interne, la force de vente existe désormais comme une profession à part entière, alors qu’elle était auparavant très dépendante de la direction de l’hôtel. Elle a aujourd’hui son école, son plan de carrière, son management propre avec un directeur commercial, ses objectifs, ses moyens. Nous faisons du marketing direct, ciblé, et de la télévente : ces techniques sont nouvelles dans l’hôtellerie. Maintenant que les commerciaux sont constitués en équipe, les échanges, le dialogue, sont beaucoup plus faciles.

Quelle est l’importance de la fonction commerciale dans l’entreprise ? Question à Olivier Derrien Vice-président de ithena *Ici, on est tous vendeurs : la standardiste, moi… Je le dis à tout le monde : chacun d’entre nous, à un moment de la journée, a l’occasion de jouer un rôle vis-à-vis du client, de convaincre. Et qu’est-ce que convaincre, sinon vendre ? La culture d’entreprise ici est complètement commerciale : un peu comme pour la potion magique, on est tous tombés dedans quand on était petit. Chez Business Objects, les neuf dixièmes des directeurs généraux viennent du commercial ou du marketing, très peu de la finance ou des services. De fait, la voie royale chez Business Objects est celle de la vente, plus encore que le marketing : par exemple, mon successeur à la direction générale de Business Objects est l’ancien directeur commercial... Pour gérer une croissance supérieure à 45 % depuis trois ans, il est obligatoire d’accorder une importance maximale au commercial. Ce constat est généralisable : j’ai pu observer que, plus les entreprises connaissent de fortes croissances, plus leur culture est “orientée commerciale”. Toute la difficulté, dans un tel contexte, réside dans la faculté à savoir prendre du recul et de la hauteur. C’est là la force du président de Business Objects, Bernard Lieutaud, qui s’occupe de la stratégie, tandis que l’autre fondateur du groupe, aujourd’hui parti, avait surtout la compétence “commerciale”. Chaque lundi est l’occasion d’un grand reporting mondial, de 13 à 20 heures ; les présidents des filiales et les vice-présidents se réunissent ensuite pour en faire une synthèse, sur le thème : “Qu’a-t-on signé la semaine dernière ? Combien va-t-on signer la semaine prochaine ? Avec quelle probabilité ?” Nos commerciaux n’ont pas d’objectifs annuels, mais trimestriels. Les non-commerciaux aussi sont rémunérés en fonction d’objectifs à atteindre, qui sont soit qualitatifs, soit quantitatifs, sur des critères autres que celui du chiffre d’affaires. Mais la culture française ne favorise pas forcément ce type d’approche : la formation accuse en la matière un vrai retard, par rapport aux États-Unis par exemple. Eux se lancent de façon opportuniste et pragmatique là où il y a des parts de marchés à prendre. En Europe, on réfléchit davantage, on privilégie la culture “ingénieur”, et, du coup, les prix sont plus élevés. Ceci dit, il ne suffit pas d’être commercial : il faut avant tout apporter de la valeur à l’entreprise cliente.

Les forces de vente ne servent-elles qu’à vendre ? Question à Vittorio Senso Président de Jaguar France L’implication de l’équipe commerciale à différents niveaux de l’entreprise a profondément changé au cours de ces dernières années. Auparavant, la force de vente découvrait le produit quelques mois seulement avant le public ; des objectifs de vente et de rentabilité lui étaient fixés : à elle d’utiliser ses ressources pour les atteindre. À l’époque, il était facile de considérer un peu rapidement que, si un produit se vendait bien, c’est parce qu’il était fabuleux, et s’il se vendait mal, c’est parce que les commerciaux avaient mal fait leur travail. Aujourd’hui, les commerciaux sont intégrés dans les différentes phases de développement du produit. Au moment où l’idée d’un nouveau produit est en train d’émerger, l’équipe commerciale émet un certain nombre de souhaits, en fonction de ce qu’elle estime que le marché attend : des modèles diesel, un certain style, une nouvelle gamme de prix. Si leurs demandes ne sont finalement pas retenues, on leur explique pourquoi un autre choix a été privilégié, il n’y a donc pas de frustration. Cette nouvelle organisation, outre le regain de motivation et d’intérêt qu’elle suscite au sein de l’équipe commerciale, a permis de donner au client une nouvelle “voix” au chapitre. Pourquoi ? Parce que les commerciaux sont, en quelque sorte, les porte-parole du consommateur. Ils sont en contact avec lui, bien plus que les autres services de l’entreprise. La première compétence que nous attendons de nos forces de vente, aujourd’hui, c’est une parfaite connaissance de nos acheteurs. Nous sommes une entreprise complètement orientée client. L’axe principal de la motivation chez nous passe par le contact avec lui : ce sont des gens formidables, passionnés par nos produits, et il est très stimulant d’aller faire un tour avec eux, pour leur faire découvrir un nouvel engin. À l’inverse, si nous décevons le client avec nos voitures, c’est très dur. La charge affective liée à un achat chez nous est énorme : imaginez, le premier déplacement que fait le client Jaguar avec sa nouvelle voiture est, dans la quasi-totalité des cas, d’aller voir son père. La réussite de Jaguar, c’est aussi leur réussite… Dans un tel contexte, et avec 2 200 voitures vendues par an en France, au prix où nous les vendons, nous nous devons d’avoir une connaissance intime de nos interlocuteurs : grâce à notre base de données constamment enrichie, si nous envoyons un mailing de 15 000 lettres, il s’agira de 15 000 courriers personnalisés. La difficulté aujourd’hui réside dans le fait de pouvoir garder ce rapport de proximité tout en multipliant, à terme, le nombre de voitures vendues en France par sept, ce qui est notre objectif. Les nouvelles technologies aujourd’hui nous en donnent les moyens, et c’est la raison pour laquelle nous investissons beaucoup en la matière

Quelles grandes évolutions la fonction commerciale a-t-elle connu au cours de ces dernières années ? Question à Patrick Peugeot Président de La Mondiale Je constate deux grandes évolutions majeures, qui concernent directement la force de vente : le développement du rôle des commerciaux dans le conseil et dans la fidélisation. Pour souligner la première, la rémunération des commerciaux, à La Mondiale, est désormais la même quel que soit le produit vendu. Quant à la fidélisation des clients, elle est devenue une priorité pour tous. Elle a été confiée à un réseau spécifique pour les sociétaires anciens, et le taux de maintien annuel est un facteur-clé du commissionnement. Une troisième grande évolution est à noter : le rôle des gestionnaires, des “administratifs” et des téléconseillers est désormais reconnu dans l’organisation commerciale. Ils appellent les prospects comme les sociétaires, participent aux actions de prospection comme aux programmes de fidélisation. Aujourd’hui, un réseau ne peut plus gagner seul, il lui faut un appui efficace dans les services administratifs pour que la qualité du service final au client soit irréprochable. Ainsi, nous envoyons chaque année une centaine d’administratifs passer du temps avec la force de vente : les adhésions qu’ils traitent deviennent du coup moins “impersonnelles” pour eux. Notre offre est une chaîne de services, qui ne supporte aucun maillon faible. C’est ce qui nous permet aujourd’hui d’être leader sur les trois marchés autour desquels nous avons recentré nos activités depuis 1995 : la retraite individuelle, celle des salariés en entreprise, et l’assurance patrimoniale au travers d’accords de partenariats. Pour nous, être leader signifie participer aux principales innovations sur le secteur et y acquérir une part significative. Pour effectivement atteindre le degré d’expertise suffisant, nous exigeons de nos conseillers salariés un très bon niveau de qualification. Le réseau commercial de La Mondiale bénéficie à ce titre de formations spécifiques en continu, reconnues parmi les plus performantes du marché, et qui touchent à la fois le domaine fiscal, juridique et social. Plus récemment, nous avons créé un diplôme de conseiller en assurance de la personne, qui a pour objectif de faire des experts incontournables. Notre ambition est d’être LA référence en matière de conseil en assurance retraite et patrimoniale. Je suis moi-même très attentif, lors de mes visites dans le réseau, au suivi des débutants, à leur bonne utilisation des outils d’informations et de vente, à leurs acquis technique et juridique. Ce qui est essentiel, puisque nous recrutons environ 200 commerciaux par an.

De quelle manière vous impliquez-vous dans la fonction commerciale ?Question à Jacques Maillot Président de Nouvelles Frontières te : Je m’implique d’abord parce que j’aime ça ! Et ce n’est pas seulement de manière théorique que j’interviens sur les aspects commerciaux de Nouvelles Frontières : je vais vraiment sur le terrain, même si évidemment j’ai beaucoup moins de temps qu’il y a 33 ans, lors des débuts. Mais encore aujourd’hui, j’assiste au séminaire annuel organisé pour nos commerciaux, je vais y passer deux jours. Par ailleurs, chaque semaine, je me rends dans un point de vente différent pour aller à la rencontre des vendeurs. C’est très important d’écouter ce qu’ils ont à me dire, de voir concrètement ce qui se passe dans les magasins. Quand je constate un problème, je fais remonter l’information au directeur des ventes. Par exemple, nous avons eu un changement de système informatique récemment, certains vendeurs m’ont directement fait part des difficultés qu’ils rencontraient par rapport à cela : j’ai donc pu réagir très vite parce que j’étais allé sur le terrain. C’est un contact vraiment important, car les vendeurs sont la base de notre activité. C’est aussi pour cette raison qu’il faut sans cesse les motiver, faire des piqûres de rappel : il y a quelques semaines, nous avons emmené trente d’entre eux en croisière et d’autres faire un circuit en Inde. Et quand il reste des places dans nos avions, ils peuvent y accéder gratuitement. De la même manière, je m’implique dans le commercial au niveau du service client. Quand je vais dans un point de vente, je discute avec certains d’entre eux. Et tout le temps, je lis tous les mails et les courriers qui arrivent ici de clients qui ont un problème. Parfois je leur réponds directement et chaque samedi, je réserve ma matinée pour téléphoner à ceux qui ont une réclamation importante. Si je le fais, c’est parce que j’aime ça et qu’il est indispensable pour moi de garder ce contact avec nos clients : dans une entreprise, même quand on est pdg, si on perd le contact avec le client, c’est terminé, on est “out”. Cette relation très forte avec le terrain permet aussi d’anticiper. Par exemple, je pousse toutes les innovations lorsque je me rends compte qu’il y a une demande ou qu’il y en aura une. En ce moment, nous sommes en train de monter un projet sur le WAP et nous avons commencé l’aventure internet dès 1995. C’était une vraie volonté de ma part d’aller sur ce nouveau créneau. Quand j’ai lancé les enchères sur le web en 1998, je l’ai fait contre l’avis de beaucoup de monde et notamment de mon avocat. Je ne le regrette pas du tout ! Regardez aujourd’hui le résultat : 150 millions de chiffre d’affaires sur les enchères en 1999, et un objectif de 300 millions cette année, sans compter les retombées très positives pour nos clients et en terme d’image pour l’entreprise ! Diriger, c’est aussi savoir anticiper et faire des paris commerciaux. La preuve : la plus importante décision commerciale que j’ai prise, c’était en 1967, quand nous avons décidé de monter un réseau intégré, c’est-à-dire des magasins où on ne vendrait que des produits Nouvelles Frontières. Nous aurions pu faire l’inverse et se positionner comme un tour opérateur banal en vendant nos produits dans des agences de voyage classiques, mais nous avons eu raison de faire l’inverse. Grâce à cela, nous avons réussi à construire une marque connue et nous réalisons aujourd’hui 1 milliard de chiffre d’affaires. Tout cela grâce à une décision forte, risquée, mais spontanée.

En tant que président, vous sentez-vous proche de la fonction commerciale ? Question à Patrick Ricard Président de Pernod-Ricard : Par nature, c’est la fonction de laquelle je suis le plus près. Par pratique, c’est le métier que l’on peut voir et sentir le plus facilement. Tous les jours, j’ai le résultat des ventes de nos principales filiales françaises et étrangères : Pernod, Ricard, Orangina... Au jour le jour, je vois le résultat de l’action de nos hommes sur le terrain. Lors de l’élaboration des budgets, une grande partie des discussions que nous avons avec nos filiales concerne la fonction commerciale, les marques, les moyens mis en œuvre et les hommes qui mettent l’ensemble en musique pour adopter une stratégie gagnante. La fonction commerciale est essentielle : elle regroupe un tiers des effectifs du groupe avec, en France, un poids encore plus fort, 500 personnes chez Ricard, 400 chez Pernod et 200 pour Orangina. Néanmoins, Pernod-Ricard est une holding légère, avec très peu de personnes, qui, au niveau commercial et marketing, n’est que fonctionnelle, ne donne pas d’ordre à ses filiales. Je m’implique donc de façon indirecte dans la stratégie commerciale. Je n’interfère pas et surtout ne court-circuite pas les patrons de filiales qui sont des patrons à part entière. Je préfère quand les décisions viennent de nos filiales. Il n’y a pas de meilleure décision que celle qui est partagée par celui qui la met en place. Finalement, je vois assez souvent les forces de vente. C’est très important parce que l’homme qui tous les jours visite les clients est au cœur de notre activité. Je m’efforce également d’assister aux séminaires de vente pour voir les commerciaux, pour discuter. Mais c’est leur convention, je me contente de parler dans les couloirs. Ce qu’ils me disent ? Ceux de Ricard se plaignent de la concurrence de Pernod et inversement. Ils s’intéressent à la dynamique du groupe, au rachat de telle marque, ils s’interrogent sur la diminution du nombre de dirigeants issus du commercial. C’est un vrai problème que je constate, sans vraiment l’expliquer. Peut-être parce que ces cadres-là sont tellement essentiels là où ils sont. Changer un financier d’un poste, bon… c’est un technicien. Mais quand vous avez un bon commercial... Lorsque nous sommes passés aux 35 heures, avec la loi Robien, l’essentiel des recrutements a été dédié à la fonction commerciale. L’impact a été formidable : nous avons ainsi rajeuni la force de vente, augmenté la proportion de femmes et intégré des collaborateurs bac + 4, bac + 5… Cela a été un vrai tournant. La difficulté, aujourd’hui, c’est d’être capable de les faire évoluer, sous peine de les voir partir. C’est la contrepartie. Aujourd’hui, nous sommes un gros fournisseur de commerciaux sur le marché, parce que la formation est bien faite, parce qu’ils sont bons… Il vaut mieux avoir des gens qui s’en vont parce qu’on ne peut pas les faire évoluer que des gens qui ne sont pas à la hauteur.

 
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Propos recueillis par Frédéric Thibaud, L. Derrien et A.-F. Rabaud

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