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Nous avons vendu deux paquebots pour plus de 1 milliard d'Euros

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vient de remporter le plus gros contrat jamais signé avec un armateur européen. Arnaud Le Joncour, directeur commercial adjoint d'Alstom Marine, relate cette négociation d'un an.

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Le montant de l'opération, plus de 1 milliard d'euros, représente à lui tout seul le chiffre d'affaires que doit réaliser Alstom Marine en un an. C'est dire l'enjeu de ce contrat qui porte sur deux paquebots de 1650 cabines, pour Mediterranean Shipping Company (MSC), un armateur Italien déjà numéro deux mondial du marché des porte-conteneurs et qui pourrait bien conquérir rapidement 50 % du marché européen de la croisière. Ce chantier va nous permettre de maintenir l'emploi sur le site des Chantiers de l'Atlantique à Saint-Nazaire et apporter une bouffée d'oxygène pour Alstom Marine qui affiche, pour 2005, une perte de 103 millions d'euros. MSC n'est pas un nouveau client. En effet, nous lui avons déjà livré deux bateaux en 2003 et nous en construisons en ce moment même deux autres. C'est un avantage, car indiscutablement nous connaissons les hommes, leur façon de travailler et leur niveau d'exigence. Mais c'est aussi un piège, car le client est plus exigeant, puisqu'il a un retour d'expérience sur les bateaux que nous lui avons déjà livrés. C'est en octobre 2004 que MSC nous a fait part de son désir d'accroître sa flotte de paquebots. Et autant que je m'en souvienne, la demande de l'armateur était du type: “Je veux deux beaux bateaux d'environ 1600 cabines.” Une demande classique dans ce métier. À nous de relever le défi et de proposer un avant-projet séduisant et compétitif.

Évaluer le client

Mon premier rendez-vous s'est déroulé à Genève, siège de la Holding de MSC. Il s'agit toujours dans ce cas d'évaluer le client, de s'assurer de sa motivation, de la réalité du projet avant d'aller plus loin. C'est aussi, pour moi, le moment de recueillir le maximum d'informations sur les besoins du client afin de cadrer au mieux notre proposition. Passée cette phase, les négociations commerciales peuvent commencer. Désormais, à chaque rencontre, je suis accompagné d'un architecte naval. Même si, moi aussi, j'ai exercé ce métier avant d'occuper aujourd'hui une responsabilité purement commerciale, il est préférable d'être deux afin que chacun puisse se consacrer à sa tâche. À ce stade, aucun budget n'est encore avancé. Le client a bien une idée du prix puisqu'il se fonde sur sa dernière commande en appliquant une simple règle de trois en se basant sur le prix du bateau et son nombre de cabines… Mais c'est à nous de lui montrer que le projet n'est plus tout à fait le même, que les cabines sont plus spacieuses, que la vitesse du bateau est plus importante, etc. Nous parlons par image, par ellipse, jamais directement d'argent.

Ajuster le produit

Huit mois plus tard, en juin 2005, le projet prend forme et nous pouvons faire une proposition budgétaire. Comme pour toute vente de ce type, nous traitons avec un courtier maritime qui fait le lien entre le constructeur et l'armateur. Un intermédiaire indispensable qui nous permet ainsi de ne pas trop nous exposer face au client et de bénéficier d'un relais supplémentaire pour essayer de comprendre au mieux tous les aspects du dossier. Plusieurs échanges téléphoniques sont nécessaires afin de sonder le montant qu'est prêt à payer l'armateur. Finalement, MSC a accepté l'offre et on a pu signer une lettre d'intention qui définit le projet, le prix et le délai de construction. À ce moment précis, tout le bateau tient en seulement 3 pages A4! Pourtant à ce niveau de la vente, rien n'est gagné. Ce qui change, c'est que les concurrents ne sont plus dans la course. Mais il n'est pas rare que la deuxième phase échoue et que l'on reparte de zéro avec de nouveau d'autres constructeurs en compétition. Ce deuxième stade consiste à travailler avec les équipes techniques de MSC à Sorrento près de Naples. Cette fois, je ne travaille plus seulement avec un architecte naval, mais avec une véritable “task force” d'une dizaine de personnes à chaque rencontre. On discute de tout, du moteur, des cuisines, de la peinture, de l'air conditionné, des systèmes de communication… Et les demandes du client font sans cesse évoluer le prix. Là encore sans révéler les coûts supplémentaires, il s'agira d'expliquer la complexité, le gain qu'il pourra réaliser, la technicité… Enfin, après une douzaine de réunions et quand toute l'équipe technique de MSC donne son feu vert, il ne nous reste plus qu'à annoncer un nouveau prix qui tient compte de tous les ajustements. De nouveau, le courtier maritime joue pleinement son rôle d'intermédiaire en nous guidant dans cette nouvelle négociation. Au final, c'est au président d'Alstom Marine, Patrick Boissier, que revient la mission de s'accorder sur le prix définitif par téléphone avec le client. Un simple engagement verbal pour mettre fin à une vente d'une année et pour un montant record de plus de 1 milliard d'euros. Mais dans notre métier, c'est la règle et pas question de manquer à sa parole.

Fin de tempête pour Alstom Marine?

Alstom Marine propose une gamme étendue de navires: paquebots, car-ferries, transbordeurs, méthaniers, navires à grande vitesse, navires militaires, navires spécialisés… Patrick Boissier, le président de l'activité Marine d'Alstom, a lancé en fin d'année dernière son nouveau plan, Marine 2010, avec pour objectif de reconquérir 25 % de parts de marché pour les paquebots et de réduire les coûts de production de 15 %. En 2005, la société affichait, en effet, une perte de 103 millions d'euros pour un chiffre d'affaires de 630 millions d'euros. Alstom Marine prévoit un retour à l'équilibre dès 2007.

L'anecdote de vente

Toutes les phases de la vente se sont déroulées en français et en anglais. Langues que notre client maîtrise très bien. Mais bien qu'il soit italien, pas question pour moi de lui parler dans sa langue. Le client pourrait interpréter cela comme une tactique de séduction! Dans ce métier, on n'est pas sur ce registre. On doit rester professionnel, technique et honnête, tout en étant flexible et disponible pour gagner la confiance du client. C'est du moins notre vision et cela a porté ses fruits.

 
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Propos recueillis par Laurent Bailliard

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