Renoncer à ses idées, au nom de la réussite commerciale
Avez-vous déjà entendu parler d'Arla Foods ? Peut-être, si vous vous êtes
rendu dans un pays du Moyen-Orient depuis septembre 2005, date à laquelle le
quotidien danois Jyllands- Posten publiait les tristement célèbres caricatures
de Mahomet. Car quelques semaines après cette parution explosive, le groupe
scandinave de produits laitiers, qui jusqu'ici réalisait une part significative
de son chiffre d'affaires avec les pays arabes, a soudainement été stigmatisé
par les populations locales, qui ont appelé au boycott des produits danois.
Résultat : après avoir vu ses 50 000 points de vente de la région retirer, du
jour au lendemain, les produits Arla de leurs rayons, le groupe a dû se
séparer, temporairement ou non, de 200 des 250 salariés de son usine de Bislev,
au Danemark, qui fabriquait de la feta pour le Moyen- Orient, puis ajourner son
projet d'ouverture d'une unité de 1 200 personnes en Arabie Saoudite. Une
catastrophe économique, un tsunami social. Mais la direction d'Arla Foods ne
s'est pas laissée abattre. Loin de tenter de noyer le poisson en ôtant de ses
produits tout signe national, l'entreprise a choisi, sur les conseils d'un
éminent professeur de la Copenhagen Business School, d'estampiller ses laitages
d'un gros drapeau danois. Le message ? « Arla, c'est le Danemark ; les
caricatures, ce n'est pas le Danemark », argumentait, dans les colonnes du
quotidien financier La Tribune, ledit éminent professeur. Associée à un
engagement teinté de militantisme en faveur du respect des valeurs de l'islam,
et même à une politique de mécénat pro-arabe (Arla serait sur le point de
soutenir financièrement le Croissant Rouge), cette stratégie originale a porté
ses fruits : en juin 2006, Arla avait reconquis 20% des points de vente qui lui
avaient tourné le dos. Mieux : grâce à ses prises de position – pourtant très
controversées au Danemark –, le groupe aurait contribué à faire reculer le
boycott général des produits danois. Reste une question essentielle : au nom de
la réussite commerciale, peut-on légitimement soutenir toute philosophie ? À
défendre à tout prix ses parts de marché au Moyen-Orient, Arla ne risque-t-elle
pas de démotiver ses salariés européens, décrédibiliser ses marques et perdre
la respectabilité de son nom ?