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Soutien. L’essaimage, un outil de gestion des savoir-faire

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Au-delà de son rôle “social” ou “économique”, l’essaimage offre aux entreprises l’occasion de lutter contre la fuite des talents commerciaux à la concurrence.

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Après une dizaine de “bons et loyaux” services, Éric Allain, ex-DRH de la société Atlas Copco Compresseurs, est devenu le distributeur en Poitou-Charentes de son ancien employeur. Un “transfert” qui s’est déroulé en bonne intelligence : l’entreprise y a vu l’occasion de placer – à un endroit stratégique – un collaborateur dont elle connaît les compétences et qui est imprégné de la marque. Lui y est allé en toute confiance, épaulé en cela par l’entreprise, qui lui a maintenu son salaire pendant quelques mois et octroyé diverses aides, telles que du matériel informatique, un budget communication, etc. Même si la démarche n’en avait pas le nom, ce tout nouveau chef d’entreprise a bénéficié d’une initiative d’essaimage. On parle d’essaimage dès lors qu’une personne qui porte un projet de création d’entreprise est soutenue, dans sa démarche, par son employeur, et cela, en dehors de toute considération d’activité, qu’elle soit ou non en rapport avec celle de l’employeur. Hier essentiellement destiné à des ingénieurs porteurs d’idées “révolutionnaires”, l’essaimage s’ouvre aujourd’hui à toutes les fonctions de l’entreprise. Et en particulier aux collaborateurs de la fonction commerciale. “ L’essaimage requiert, pour être couronné de succès, de véritables capacités commerciales ”, observent Sylvie Bartissol et Christophe Gourraud, respectivement chef de projet essaimage et directeur d’affaires au sein du cabinet BPI, conseil en organisation et ressources humaines. Bernard Lorig, responsable de la mission “essaimage” du groupe France Télécom, constate, en effet, que si “ l’essaimage est parti du centre de recherche, aujourd’hui, le groupe s’intéresse davantage aux activités de service, et soutient de plus en plus de projets portés par des collaborateurs issus de l’univers marketing ou commercial. ” Pourquoi ? D’abord, expliquent les deux représentants du cabinet BPI, parce que “ le porteur du projet doit être capable de développer son propre fonds de commerce. S’il part d’une situation de dépendance, il doit, petit à petit, créer sa propre indépendance. Au bout de trois ans, l’entreprise doit être autonome. ”

Une société amie

De plus, si l’essaimage se prête bien aux profils commerciaux, c’est aussi pour des raisons de gestion des ressources humaines. L’essaimage peut, en effet, être considéré par l’entreprise comme un moyen d’éviter la “fuite des cerveaux” et des compétences à la concurrence. Un argument à même de séduire des directions commerciales qui ont parfois du mal à fidéliser leurs meilleurs éléments. Illustration chez le spécialiste de la menuiserie aluminium Technal, qui vient de lancer un programme d’essaimage. Objectif ? Encourager ses collaborateurs à reprendre les entreprises de son réseau de distribution “vieillissant”. En effet, la moitié des dirigeants qui composent le réseau Technal prendront leur retraite dans les cinq à dix ans qui viennent. Autrement dit, Technal se donne les moyens de pérenniser son activité. L’aluminier y a aussi vu l’occasion d’insuffler un comportement et une culture entrepreneuriale, en proposant à certains de ses collaborateurs la possibilité de devenir partenaires d’une entreprise qu’ils connaissent bien et à laquelle ils sont attachés. Thierry Céré, directeur de Delta services, qui a porté ce projet, a dessiné le profil idéal de l’essaimé : “ Il doit disposer de trois compétences : commerciale – elle est essentielle –, technique et managériale. Je pense qu’une grande partie des repreneurs viendra de l’univers commercial. ” Si les qualités commerciales sautent aux yeux dès lors que l’essaimage touche au réseau de distribution, ces prédispositions s’avèrent, dans les autres cas de figure, tout aussi indispensables.

Le business de demain

Y compris lorsque l’ex-employeur constitue, pour l’essaimé, un marché et un débouché acquis. L’entreprise a, même dans ce cas, toutes les raisons de veiller à ce que la nouvelle entreprise soit rapidement rentable et autonome. Jean-Marc Zola a chapeauté, jusqu’en octobre dernier, le programme “1 000 idées” de Schneider Electric, dont la vocation est de faciliter l’éclosion d’activités, en interne ou sous forme d’essaimage, susceptibles de générer, à terme, du business pour le groupe. Il a toujours veillé de près à cet objectif de rentabilité à court terme : “ Nous fixons au tout nouveau chef d’entreprise des objectifs économiques à trois ou six mois. S’ils ne sont pas atteints, nous stoppons l’activité. Si l’on veut, il y a toujours de “bonnes raisons” pour expliquer que le business n’a pas décollé mais que les contacts vont déboucher un jour ou l’autre... ” Jean Lepeltier, ex-responsable marketing corporate chez Schneider Electric, essaimé de la première heure et aujourd’hui p-dg d’Envol 5, société spécialisée dans la conception de formation en ligne, reconnaît qu’il s’agit de l’un des challenges de l’essaimage : “ Il faut faire du chiffre et savoir développer les marchés de demain. Nous n’avons pas d’accord de business, mais Schneider a de véritables besoins en matière de formation et d’e-learning, notamment pour ses équipes marketing. Le groupe nous fournit à la fois un banc d’essai et un marché. Un marché bienveillant mais qu’il faut néanmoins conquérir à chaque fois. ” Aujourd’hui, après un peu plus d’un an et demi d’existence, Envol 5 réalise plus de la moitié de son business avec Schneider. “ Dès 2003, je souhaite que l’activité d’Envol 5 se répartisse plus équitablement entre Schneider et les autres clients ”, précise Jean Lepeltier, d’Envol 5. C’est pourquoi Schneider se montre aussi attentif au sens commercial des porteurs de projets, indispensable pour flairer les affaires.

Un esprit entrepreneurial

Les profils à dominante commerciale et marketing sont également de bons candidats lorsqu’il s’agit de création ou de reprise d’entreprises sans lien direct avec le métier du groupe qui essaime. Dans ce cas de figure, les motivations de l’entreprise sont de plusieurs ordres. Bruno Martin, président de l’association Schneider initiative emploi (SIE), qui soutient des projets dits “personnels”, évoque “ une démarche de responsabilité sociale qui permet, par la même occasion, de développer et de valoriser en interne l’esprit entrepreneurial ”. Sylvie Bartissol et Christophe Gourraud, du cabinet BPI, estiment, pour leur part, que “ l’essaimage constitue un vecteur de communication, un moyen pour l’entreprise de peaufiner son image, et peut même être un levier de recrutement ”. Autant dire que, de la réussite de ces créations et de ces reprises, dépend l’exploitation “médiatique” qu’elle pourra en faire. Alors, cette aptitude à sentir le marché et les affaires – innée chez les commerciaux et managers commerciaux – est essentielle. Aucun employeur ne peut s’attacher indéfiniment les services de ses “perles”, et surtout pas celles de ses commerciaux de choc, talentueux et convoités par la concurrence : lorsqu’ils prendront leur envol, c’est sur un territoire ami que ces ex-collaborateurs iront butiner.

Témoignage

Renaud Constant, co-gérant de 3c-evolution.com, ex-chef de projets chez Schneider Electric “ Nous devons être des “super commerciaux” ” La société 3c-evolution.com, spécialisée dans la création de sites de services en ligne et le développement de systèmes documentaires, a vu le jour en 2000, sous l’impulsion de trois amis. Deux d’entre eux occupaient, chez Schneider Electric, la fonction de chef de projet. Le troisième, free-lance, était orienté marketing et communication. 3c-evolution.com a obtenu, au moment de sa création, le soutien, notamment financier, de Schneider initiative emploi. À travers cette association, le groupe entend participer au développement économique local dans les différents bassins d’emploi où il est présent. Aujourd’hui, 3c-evolution.com emploie sept personnes et compte 24 clients, parmi lesquels Schneider Electric et des PME de la région Rhône-Alpes. Sans l’appui de Schneider ? “ Il nous aurait été difficile de démarrer ”.

Enquête

_ À la question “Seriez-vous prêt à accompagner l’un de vos salariés souhaitant créer son entreprise ?”, 20 % des dirigeants français de PME, interrogés par l’Observatoire des Ressources Humaines d’Evalis, ont répondu “ Oui, tout à fait ”et 60 % “ Oui, pourquoi pas ”.

Témoignage

Bertrand Darrouzet, p-dg d’Atchik, ex-responsable marketing offre/produit chez Mobilix, filiale d’Orange au Danemark “ J’ai évolué du poste de collaborateur à celui de chef d’entreprise ” Après avoir occupé le poste de responsable marketing de Mobilix, devenu Orange Danemark, Bertrand Darrouzet a créé, en 1999, Atchik, une société proposant aux opérateurs une plate-forme et des services associés destinés à leurs abonnés, comportant agenda, chat, jeux, etc. Une création soutenue par France Télécom, à qui l’essaimage offre l’occasion de jouer un rôle d’entreprise responsable, de cultiver la fibre entrepreneuriale de ses collaborateurs, et donc son image. “ Cette mission d’essaimage nous a amenés à élaborer un business plan et nous a apporté un regard extérieur qui nous a permis de préciser et de valider notre approche ”, confie Bertrand Darrouzet. La PME, qui emploie environ 50 collaborateurs, a aujourd’hui, avec France Télécom, un contrat commercial identique à celui dont elle dispose avec une quinzaine d’autres opérateurs.

À retenir

_ Le candidat à l’essaimage doit posséder les qualités d’un futur chef d’entreprise. _ L’entreprise peut apporter un soutien financier direct sous forme de prêt ou de subvention, ou avoir seulement négocié des accords privilégiés avec les banques. _ La plupart des entreprises offrent toute une série de conseils : juridique, technique, etc. D’autres proposent des services plus originaux, comme une aide au recrutement, un service de formation, ou font réaliser, si besoin, une étude de marché pour valider l’opportunité de l’entreprise.

Témoignage

Bernard Lorig, responsable de la mission “essaimage” du groupe France Télécom “ Nous préférons voir partir nos “talents” dans une société amie plutôt qu’à la concurrence ” “ L’essaimage nous offre la possibilité de nous positionner, via des entreprises “amies”, sur certains marchés de niche réservés aux petites structures réactives. Nous disposons en effet de compétences et de savoir-faire technologiques que nous ne savons pas toujours exploiter au sien du groupe ”, explique Bernard Lorig. Par ailleurs, l’essaimage est l’occasion, pour la DRH, de développer l’esprit entrepreneurial en ouvrant de nouvelles perspectives de carrière à certains cadres. Comme toute entreprise évoluant sur des marchés particulièrement concurrentiels et à forte croissance, France Télécom a parfois du mal à fidéliser certains collaborateurs. “ C’est le cas des cadres commerciaux, extrêmement volatiles. ” Au-delà des aspects business, l’essamaige est bel et bien un outil de gestion de carrière et de gestion des compétences.

 
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Anne-Françoise Rabaud

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