Tracer les voies de la conclusion
Même les commerciaux les plus expérimentés le reconnaissent : à l’instant de conclure, se noue le moment le plus délicat du processus de vente. D’un mot, le client sanctionne positivement ou négativement les efforts déployés par le vendeur. Le moment est généralement difficile à vivre tant pour l’un que pour l’autre. Le client hésite à s’engager, résiste à la pression du commercial, s’effraie du changement. Le commercial a peur de s’entendre dire non et de vivre un échec. “Soixante-quinze pour cent des vendeurs ne concluent pas de manière explicite”, remarque Jean-Loup Meunier, consultant du cabinet de conseil et de formation Mercuri International. “Ils préfèrent un peut-être hypothétique à un non ferme qu’ils ont tendance à interpréter comme un rejet de leur personne. Certaines affaires se feront malgré tout, mais d’autres non, simplement parce que le vendeur ne sait pas ou n’ose pas conclure.”Plusieurs freins, d’ordre technique et psychologique, rendent malaisée la phase de la conclusion. Le vendeur peut par exemple éprouver des difficultés à cerner le bon moment, indique Michel Garatin, consultant de l’équipe marketing et commercial du cabinet de formation Cegos. “S’il conclut trop tôt, le vendeur prend le risque de brusquer le prospect. À l’inverse, en amorçant cette phase trop tard, il lui laisse la possibilité d’envisager toutes les raisons de ne pas acheter”, explique-t-il. La formulation de la conclusion se révèle également être un écueil : comment conclure en des termes clairs sans se montrer abrupt ? “Et puis le vendeur a peur de subir un non sans savoir comment relancer. Par ailleurs, à l’approche de la conclusion, les rôles s’inversent : après avoir conseillé et répondu aux questions du prospect, le commercial se retrouve dans la peau du demandeur”, poursuit Michel Garatin. À ces raisons, nombreuses, d’éluder ou de contourner la phase de la conclusion, les spécialistes opposent une idée forte mais pleine de bon sens : la conclusion intervient en fin d’entretien, mais son efficacité se prépare en amont. “La conclusion est la conséquence d’une bonne capacité à préparer et à maîtriser l’entretien”, affirme Michel Motoulle, directeur général d’Achieve Global, un cabinet de formation au management et à la vente qui a développé, sous ses anciens noms de Learning International puis de Times Mirror Training Europe, une technique de vente, la méthode PSS (Professional Selling Skills). “Tout le face à face, et en premier lieu la définition de l’objectif du prospect, aura pour objet d’amener la négociation à une conclusion efficace.” À charge donc pour le vendeur de s’engager pas à pas vers cet ultime instant. Mais selon quelle méthode ? Écouter les besoins De plus ou moins grande notoriété, les méthodes de vente qui intègrent les aspects de la phase de conclusion sont nombreuses. Cependant, les unes et les autres fonctionnent selon quelques principes constants et communs qui doivent faciliter l’approche de cette phase. D’abord, ne pas négliger la découverte des besoins du prospect. “La conclusion ne sera plus l’étape qu’on redoute tant si l’on a bien écouté le client, car c’est cette écoute qui va permettre de lui faire la bonne proposition et de l’amener à prendre la décision d’acheter”, estime Alain Gonzalez, conseiller commercial master chez Oda, qui commercialise les espaces publicitaires des annuaires imprimés, électroniques et multimédias de France Télécom. Obtenir des accords partiels Autre technique couramment utilisée par les bons vendeurs, la reformulation. Objectif : obtenir des oui successifs, des accords partiels de la part du prospect. Ces oui peuvent être sollicités à la fin de la période de découverte des besoins du client ou, à l’inverse, dans le cadre de la méthode PSS, à chaque fois que le vendeur identifie un besoin et y apporte une réponse immédiate. “Par la reformulation, je vais d’une part m’assurer que j’ai bien compris la demande du client, et d’autre part le pousser à s’engager avec une question du type : si je suis en mesure de vous proposer une solution satisfaisant votre besoin, êtes-vous prêt à travailler avec moi ?”, indique Michel Garatin de la Cegos.La reformulation intervient également au cours ou à la fin de l’argumentation. Une fois encore, il s’agit de contrôler la pertinence des arguments exposés au prospect tout en mettant en œuvre un mécanisme d’influence qui générera un début d’engagement. Bien sûr, la reformulation va certainement susciter des objections. “Le vendeur ne doit pas en avoir peur, affirme Jean-Loup Meunier. C’est d’ailleurs à ce moment-là, dans la négociation, que la vente commence vraiment. Le travail du commercial est alors de comprendre l’objection du client et surtout pourquoi il la formule.” La gestion une à une des objections doit déboucher sur l’élaboration de nouvelles propositions. Cela suppose une certaine maîtrise de soi et en premier lieu de son stress, bien qu’il soit légitime. Les techniques comportementales de formation, comme la programmation neurolinguistique ou PNL (cf. fiche pratique du numéro 183), se révèlent être un recours efficace dans ces moments de tension. Les cinq dernières minutes Reste à savoir à quel instant conclure précisément. Plusieurs indices volent au secours du vendeur : un changement de posture soudain, des questions portant sur des détails, une projection dans l’avenir de la part du prospect avec l’évocation des conditions de service après-vente par exemple, ou encore une négociation sur le prix. Autant de signaux qui vont pousser le vendeur à aborder enfin ces fameuses cinq dernières minutes qui déboucheront sur la signature du bon de commande. Globalement, il s’agit à cet instant de récapituler l’ensemble de son offre en faisant la somme de ses intérêts par rapport aux attentes du client et en agissant comme si la vente était conclue. Le cabinet Cegos préconise pour sa part une technique qu’il a baptisé “PIC”. Le P pour propulser la conclusion à l’aide de plusieurs boosters, le I pour inviter le client à valider et le C pour concrétiser par le bon de commande. “Les boosters sont les suivants : d’abord un bilan sous forme de petite synthèse reprenant l’essentiel de l’entretien, ensuite une mise en situation en poussant le client à imaginer comment il va optimiser son prochain achat, enfin l’urgence en conseillant au client de se décider au plus vite pour bénéficier des meilleures conditions de prix”, détaille Michel Garatin. Vendeur et acheteurs solidaires Précision importante : à tout moment, le client doit sentir le vendeur solidaire de sa décision d’achat. “Le client doit se sentir rassuré et confirmé dans son choix au moment opportun”, explique Eddy Salah, directeur-fondateur de la Bourse de l’Immobilier, un réseau succursaliste indépendant d’agences immobilières fondé dans la région bordelaise. “Pour ça, le vendeur doit lui-même être persuadé qu’il présente la bonne affaire au bon client et qu’il fera la vente.” Chez Oda, Alain Gonzalez acquiesce : “Je m’implique toujours dans mes propositions en disant "nous allons être présent sur tel support de telle manière".” Et Michel Motoulle, d’Achieve Global, confirme : “Le vendeur doit s’investir aux côtés du client et engager son entreprise sur un certain nombre de services.” À l’inverse, le commercial doit savoir accepter un échec. Il n’est pourtant pas facile de rester bon joueur quand un prospect recule au dernier instant. Quelques “trucs” peuvent alors être appliqués : donner des regrets au client en exprimant sa déception, rappeler les points positifs qu’il avait pourtant lui-même validés et surtout lui demander les raisons de son refus pour tirer une vraie leçon de cet échec... momentané.
“La conclusion, c’est le moment où le vendeur porte l’estocade. À ce moment-là, il doit tout donner, mettre ses tripes sur la table avec passion, enthousiasme et conviction.” Eddy Salah, directeur-fondateur de La Bourse de l’Immobilier Eddy Salah a fondé il y a 19 ans la première agence Bourse de l’Immobilier, aujourd’hui premier groupe français succursaliste indépendant d’agences immobilières. Quelque 200 négociateurs salariés œuvrent pour le compte de 53 agences.“Au moment de la conclusion, le client a besoin d’être poussé par le vendeur. Il est important que le commercial le persuade qu’il est en train de réaliser le meilleur choix possible, d’abord parce que c’est justement son choix, et ensuite parce que ce produit est également désiré par d’autres acquéreurs potentiels. Le vendeur doit penser et dire positif : "Vous faites le bon choix, vous devez acheter, vous me remercierez par la suite".”
“Si un vendeur souhaite obtenir des résultats positifs, il ne peut pas résumer la conclusion aux cinq dernières minutes de l’entretien. Sinon, il s’expose à un quitte ou double.” Michel Garatin, consultant de l’équipe marketing et commercial du cabinet de formation Cegos Depuis trois ans, la Cegos organise un atelier spécifique intitulé “L’art de conclure”, sous la forme de trois jours classiques ou d’une journée intensive. Michel Garatin en est l’animateur.“Ces stages ont été créés à la demande des commerciaux eux-mêmes qui estimaient que cette phase était souvent abordée trop vite dans les formations à la négociation.” Selon Michel Garatin, une mauvaise conclusion est surtout le fruit d’une négociation mal menée. “La conclusion n’est pas une finalité en soi. Il s’agit au contraire d’un processus qui se construit dès le début de l’entretien, et passe par une succession de phases (entrer en contact, connaître, convaincre) toutes tendues vers la conclusion.”
Cinq règles pour bien conclure • Obtenir des accords partiels au terme de la phase de découverte et de la phase d’argumentation en reformulant les besoins du client et les arguments comblant son attente. • Pousser le client à formuler ses objections au fur et à mesure pour élaborer de nouvelles propositions et bien établir les points de convergence et de divergence. • Être attentif aux signaux physiques et verbaux émis par le client indiquant une prédisposition favorable à l’achat. Il est alors temps de conclure proprement dit. • Lors de ces cinq dernières minutes, synthétiser l’entretien, mettre le client en situation et lui donner un sentiment d’urgence avant de l’inviter à valider et à concrétiser. • Être à la fois patient, positif, souple et très engagé aux côtés du client. Éviter l’hésitation, le stress et la peur de l’échec.
“La conclusion se joue bien avant, au moment où l’on transforme le prospect en acheteur en lui faisant la proposition correspondant à son besoin.” Franck Buart, commercial chez Fortis Assurances Dédié à la vente aux particuliers, Franck Buart commercialise en face à face des produits retraite, compte-éducation enfants et succession. Selon lui, la conclusion n’est pas le moment le plus important. “C’est au contraire sur la découverte des besoins, des moyens et des motivations du client qu’il faut insister. La conclusion ira de soi si l’on écoute le client, si l’on cherche à comprendre ses désirs et les moyens dont il dispose pour les satisfaire. On peut ainsi lui faire la proposition correspondant à son besoin et traiter facilement ses éventuelles objections. À partir de là, la conclusion se limite à remplir un bon de commande et à demander un relevé d’identité bancaire et un chèque.”