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Vente électronique : la France franchit enfin le pas du web

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Par rapport aux autres pays européens, la France est-elle en retard en matière de cybercommerce ? Depuis le début de l’année, les entreprises françaises consacrent enfin de vrais budgets à l’e-business. Elles élargissent leur stratégie Minitel de commerce électronique à internet.

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Pierre Reboul, consultant chez Fi System "La France n’est pas en retard. L’évolution des entreprises françaises le prouve. Les marchands ont vraiment atteint une maturité psychologique : ils débloquent de vrais budgets pour le commerce électronique. Quand on passe de 100 000 F à plusieurs millions, la logique économique est enclenchée." Je ne crois pas que la France soit en retard en matière de commerce électronique. Les vépécistes français créent des structures dédiées, les entreprises organisent le travail, les process, le recrutement, en prenant en compte internet. C’est la première année que les sociétés consacrent de gros budgets au commerce électronique, de l’ordre de quatre à cinq millions de francs. C’est révélateur d’une prise de conscience. C’est cette évolution qu’il faut prendre en compte. Car même si depuis dix ans nous avons le Minitel, nous pensons désormais web à 100 %. Une entreprise française qui se lance aujourd’hui dans le commerce électronique ne se pose plus la question du Minitel : c’est internet qui l’intéresse. C’est pourquoi même si en nombre de sites de commerce électronique grand public, la France est en cinquième position en Europe derrière l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Hollande et la Suède, je ne suis pas du tout pessimiste. La seule chose que je regrette, c’est qu’en France on laisse plus la parole aux communicants qu’aux commerciaux. Sur un site de vente, on vous demande, avant d’entrer dans la boutique, de télécharger un plug in. C’est comme si on plaçait une troupe de danseurs devant un magasin. Les badauds s’arrêteraient pour regarder le spectacle mais ne pourraient pas entrer dans le magasin. www.fisystem.fr Philippe Guglielmetti, pdg d’Integra "Oui, la France a un retard en matière de commerce électronique sur internet. Ce retard est dû à une situation atypique : disposer aussi d’un réseau national de vente on line. Cependant, depuis le début de l’année, la demande de sites marchands s’accélère." À la fin 1997, les sites marchands français représentaient 3 % des webs de commerce électronique européens, contre 15 % pour la Suède. Comparé à la part relative de chaque pays dans le PNB, le retard français est incontestable. Cependant, la France est un pays atypique : nous avons deux réseaux de vente on line, l’un sur le Minitel, l’autre sur l’internet. Si on inclut les chiffres de la vente par Minitel, nous ne sommes plus du tout en retard. Grâce au réseau national, le Français est déjà un consommateur on line. Cette habitude de consommation est entrée dans sa culture. La France a appris depuis dix ans à consommer devant un écran. Les autres pays n’ont pas cet avantage. La preuve en est que les États-Unis regardent souvent comment fonctionne la vente par Minitel. À cause de ce double marché on line, l’attitude des entreprises françaises est tout à fait logique : pourquoi commercialiser ses produits sur l’internet alors que le Minitel est là et fonctionne ? Il est normal que l’internet n’ait pas séduit tout de suite. Cependant, depuis le début de l’année, les demandes en sites de commerce électronique s’accélèrent : nous constatons que huit demandes de sites sur dix concernent des webs marchands, l’année dernière le ratio était plutôt de un sur dix. J’estime qu’il faudra trois ans pour que le passage Minitel/internet s’effectue, et cinq ans pour que le retard soit vraiment comblé. Mais il n’y a aucune inquiétude à avoir : le consommateur ira acheter sur des sites qui lui inspireront confiance, il préférera donner son numéro de carte de crédit à un marchand français renommé plutôt qu’à un américain inconnu de lui. Et puis, il faut se rappeler la téléphonie mobile : dans ce domaine aussi la France était en retard. Paris est maintenant la ville qui compte le plus d’abonnés par habitant au monde. www.integra.fr Joël Palix, directeur du développement de 3 Suisses France "Par rapport au reste de l’Europe, nous n’avons pas l’impression d’être en retard. Les États-Unis certes sont en avance mais il ne faut pas oublier, qu’avec le Minitel, nous sommes parmi les plus gros commerçants électroniques du monde." Nous venons d’ouvrir, depuis la mi-octobre, un web marchand complet. Notre site est ouvert depuis déjà trois ans, mais désormais il est totalement interfacé avec notre base de données produits et clients, ce qui nous permet de gérer nos stocks en temps réel. L’ensemble du catalogue est présent sur le site, avec bien sûr la possibilité d’acheter en ligne via une liaison sécurisée SSL. Actuellement, nous estimons nos ventes sur le web à 50 environ par jour, c’est à dire à 30 000 F. Ceci dit, notre CA Minitel n’a rien à voir car il s’élève en moyenne à 3,5 millions par jour. Cela veut dire, en comptant les ventes par Minitel, que nous sommes, avec La Redoute, le plus gros commerçant électronique du monde. C’est une particularité à ne pas oublier. En France, nous sommes des pionniers actifs dans la vente en ligne, et par rapport à l’Europe nous n’avons pas la sensation d’être en retard. En tant que marchand français, nous avons beaucoup à apporter : la culture française peut s’incarner dans le média internet, en créant un univers de vente différent de celui des anglo-saxons. Il s’agit par exemple de présenter les produits afin de proposer un vrai lèche-vitrine. Le média internet est pour nous un canal de vente à distance parmi d’autres, même s’il a ses spécificités. Nous envisageons ainsi d’anticiper sur le site le référencement des produits ou encore de proposer en ligne des promotions spécifiques. À travers le web, on peut séduire une clientèle différente de notre cible catalogue, plus jeune, plus masculine, ou qui n’a pas l’habitude de commander à distance. www.3suisses.fr Jean-Claude Guez, associé d’Andersen Consulting, responsable des technologies nouvelles sur l’Europe continentale. "Ouvrez les yeux, regardez vos concurrents qui arrivent du monde anglo-saxon : c’est maintenant qu’il faut réagir, d’autant que se profile à l’horizon l’an 2000 et l’euro. Le risque est de perdre des parts de marché en dehors de l’Europe continentale." En France, l’initiative n’est pas récompensée, le droit à l’erreur non reconnu. Or, le commerce électronique sur internet exige de faire des tentatives, de prendre des risques. La donne a changé par rapport au Minitel : on travaille à l’extérieur des frontières, avec une concurrence internationale, et en intégrant les effets de la commutation. La France n’a pas de retard technique, bien au contraire, mais un retard culturel. Au lieu de se dire "on est tranquille, on a la ligne Maginot", il est temps d’ouvrir les yeux et de voir la concurrence arriver du monde anglo-saxon. La refonte du circuit de distribution est en marche, on sent une certaine pression venir de l’extérieur. Il faut se réveiller dans les deux à trois ans qui viennent, d’autant que l’horizon est bouché par l’an 2000 et l’euro. Certes, certaines entreprises ont déjà réagi dans les secteurs de la finance et de l’assurance, dans la VPC ou encore dans les industries de l’information. Mais peu d’entreprises ont des projets ambitieux. Pourtant la France a vraiment un rôle à jouer et à inventer dans le commerce électronique. www. andersenconsulting.com Denis Fabre, directeur de Custom Tailors Service "Je ne vois pas comment aujourd’hui on peut passer à côté du commerce électronique. Internet est un média du service, il permet de proposer en permanence le service que le client trouvait auparavant au bas de sa rue : son tailleur. Pour un délai moins long et à moindre prix." Si on ne fait pas décoller l’internet, ce sont les autres qui le feront. Nous avons ouvert notre site de vente en ligne d’habillement sur mesure en juin dernier. Le pari est d’introduire dans le secteur sinistré du textile une pointe de technologie. Sur le web, nous nous situons sur le créneau du service, un service accessible en permanence. Chez un tailleur traditionnel, il faut compter trois semaines de délai pour se faire faire un costume avec trois essayages pour un prix de 13 000 F. En passant par notre site, le client prend rendez-vous, chez lui ou à son bureau, avec un tailleur pour un seul essayage. Et huit jours après, il reçoit son costume au prix de 4 800 F. Pour l’instant, je travaille avec deux tailleurs et six fabricants. Les fournisseurs que j’ai contacté m’ont donné leur accord dans le quart d’heure. Cela m’a vraiment réjoui de trouver cet esprit novateur. Aux États-Unis, le textile se vend bien sur internet, cela prouve que le fait de ne pas toucher le tissu n’est pas un frein à la vente. Mon but est de monter une association des services à domicile, de se fédérer ensemble, afin de partager par exemple un call center et de créer un module de prise de rendez-vous commun. www.customtailorservice.com Philippe Dayron, directeur commercial France de Lamy. "Le commerce électronique est appelé bien sûr à se développer. Mais ce n’est pas notre travail de vendre directement au consommateur. Cependant, nos produits d’écriture sont vendus sur internet par l’un de nos revendeurs parisiens." Le commerce électronique est un élément de souplesse et de confort pour le consommateur : il a à sa disposition un magasin ouvert 24h/24h, qu’il peut visiter soit de chez lui, soit de son bureau. Je pense qu’on peut toucher via l’internet un autre type de clientèle qu’en réel. Cela peut permettre de retrouver certains clients qui désertent les magasins de centre-ville. Cependant, en tant que fabricant, notre objectif principal est de développer nos références dans le réel, et de ne pas nous substituer au travail de nos revendeurs. C’est pourquoi le site allemand de Lamy est un site informatif, et ne proposera pas de vente en ligne. Il y a un mois, l’un de nos revendeurs parisiens a pris l’initiative d’ouvrir une galerie marchande virtuelle de produits d’écriture. Comme nous avons développé avec cette boutique un courant d’affaires intéressant depuis deux à trois ans, et que son projet respectait notre marque, nous lui avons aussitôt donné notre feu vert. Il n’en aurait pas été de même s’il n’avait pas eu de magasin réel ou si la philosophie du site avait été de faire du discount par exemple. Maintenant, je suis curieux de savoir qui va acheter sur le site. Car deux freins existent pour la vente virtuelle de stylo : le toucher et l’essayage de la plume. www. skripta-paris.com www.lamy.de

L’e-business en chiffres - En 1997, les revenus de la vente via internet en France s’élevaient à 125 MF, dont 80 MF pour le B to B et 45 MF pour le B to C. - À l’horizon 2000, le cybercommerce devrait dépasser les revenus générés par le Minitel, et atteindre 180 MdF en 2002, dont 160 MdF pour la vente B to B et 17 MdF pour le B to C. (Source : IDC). - À la fin 1997, en France, plus d’un million de machines étaient connectées à l’internet pour plusieurs centaines de commerçants on line. À l’horizon 2002, la population des vendeurs devrait être de 70 000 environ. L’investissement de ces cybermarchands (en matériels, logiciels et services) devraient représenter, d’ici 5 ans, environ 1,5 MdF. (Source : IDC). - Plus de 200 annonceurs en France ont réalisé des campagnes en ligne. Le marché de la publicité sur internet devrait doubler en 1998 pour s’établir autour de 70 MF. La date de première campagne remonte en général à 1997, avec une accélération à partir du dernier trimestre. 40 % des sociétés sondées ont enregistré une augmentation de trafic supérieure à 50 %. (Source : étude Benchmark Group).

L’europe attentiste - 39 % seulement des dirigeants européens déclarent que le commerce électronique fait partie intégrante de l’exercice de leur activité, contre 77 % aux États-Unis. - Uniquement 19 % d’entre eux considèrent que le développement du commerce électronique représente une menace pour leur entreprise. - Pourtant 82 % d’entre eux estiment que l’e-business aura des répercussions stratégiques pour leur entreprise. La majorité estime que dans cinq ans l’e-business, synonyme d’avantages concurrentiels et de passerelle vers le marché mondial, aura pris une place prépondérante dans leur activité. Les atouts du commerce électronique sont multiples : optimiser la capacité à comprendre le client et à anticiper ses besoins, offrir de nouveaux produits et services, permettre un choix élargi et des prix plus attractifs. - La Suède se distingue : 46 % des personnes interrogées envisagent d’utiliser internet pour gérer les problèmes stratégiques de leur entreprise, contre 3 % en Allemagne et 6 % en Italie. - Ces conclusions sont tirées d’une étude menée par Andersen Consulting auprès de 291 dirigeants européens et 30 américains, de février à juillet 1998. Il en ressort un certain attentisme des chefs d’entreprise européens, qui pourrait faire obstacle au développement du commerce électronique.

 
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Propos recueillis par Laure Deschamps

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