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De la préhistoire au e-commerce

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Le commercial et l’entreprise ont connu en quelques années des bouleversements majeurs avec l’arrivée des nouvelles technologies. Internet change les métiers traditionnels et, demain, ce sera le règne du physique et du digital associés.

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Il y a dix-huit ans, lorsque, fidèles lecteurs, vous receviez le premier numéro d’Action Commerciale, les nouvelles technologies se résumaient pour les commerciaux au téléphone et à la calculatrice… Pour mesurer le chemin parcouru depuis lors, il suffit de regarder sur votre bureau et de faire un inventaire : fax, micro-ordinateur relié à internet, ordinateur portable parfois, téléphone cellulaire, assistant personnel de poche, etc. En quelques années, les entreprises ont fait un véritable bond en avant, un voyage de plusieurs années-lumière ! Les nouvelles technologies ont tout bouleversé dans l’organisation commerciale et dans la distribution. Les vendeurs sont aujourd’hui équipés d’ordinateurs avec un logiciel commercial puissant qui a relégué les notes et les fiches papier à la préhistoire de la vente… Et s’il existe encore des commerciaux aujourd’hui, on peut légitimement se demander à quoi ils ressembleront demain. La question n’est pas aussi provocatrice qu’il y paraît. Car une nouvelle révolution se prépare avec l’internet et son pendant, le centre d’appels. Avec l’apparition de ces technologies, les vendeurs “terrain” ont vraiment du souci à se faire : chez Pelikan, la “vieille” société connue de fournitures de bureau, on ne dénombre aujourd’hui plus un seul commercial qui ne soit précédé du préfixe “télé”. En un an, les itinérants ont été remplacés par… des conseillers téléphoniques sédentaires regroupés dans un centre d’appels, et la société ne s’en porte pas plus mal. D’autres exemples ? À quoi serviront encore, demain, les guichets des banques, alors que les mêmes services seront accessibles par téléphone ou par le web, sans avoir à subir de longues files d’attente et en payant par ailleurs ces services identiques moins cher ? La révolution par le web Les entreprises françaises ne s’y trompent pas. “ Le web ? C’est le canal le plus intelligent depuis l’invention du téléphone ! s’exclame Alain Cheille, directeur des opérations clientèle chez JM Bruneau, le VPCiste B to B de produits de bureaux. C’est un outil beaucoup plus puissant que le téléphone, car véritablement interactif, multimédia et… bien moins coûteux. ” Du coup, la plupart des sociétés de l’Hexagone ont mis en place leur site, marchand le plus souvent. En B to B, l’intérêt est évident. Chez Canon Photo Vidéo France, on travaille sur un intranet destiné aux clients (grandes surfaces, magasins, revendeurs spécialisés, etc.) et par lequel ils pourront se tenir au courant des nouveautés, des caractéristiques techniques des produits, des prix, des disponibilités de stocks et commander en ligne bien sûr. “ Le fait de se mettre sur un intranet apporte un niveau d’information inégalé, affirme Gilles Aubertin, directeur commercial. Cependant, nous souhaitons réserver ce canal à nos distributeurs et nous ne voulons pas vendre directement nos produits au consommateur final. Ce n’est pas notre métier, c’est quelque chose que nous ne savons pas faire, entre autres parce que nous ne possédons pas l’infrastructure logistique adaptée. Autant nous savons envoyer de grosses quantités à un client professionnel, autant nous sommes incapables de le faire avec des particuliers. ” Chez Canon, la “révolution internet” se “limitera” donc au commerce B to B. Et c’est déjà beaucoup ! Ce serait même, à en croire les différents experts, la véritable manne du commerce électronique. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les places de marché virtuelles, permettant aux entreprises de dénicher de nouveaux fournisseurs partout à travers le monde, de demander des devis et de commander en quelques minutes, fleurissent dans tous les secteurs d’activité. Le Gartner Group estime que l’enjeu est à la mesure des économies que le web peut faire réaliser aux entreprises qui utilisent ces marketplaces : une société économiserait ainsi 80 % dans le secteur pharmaceutique et plus de 20 % dans l’automobile ou le textile. Outre-Atlantique, plus de 400 milliards de dollars d’approvisionnements sont déjà achetés via internet, ce qui ferait économiser 400 milliards de dollars : 50 %, pas moins ! Mais le commerce de détail n’est pas épargné non plus par cette vague de fond. En 2005, le e-commerce devrait représenter 7 % des achats de détail selon Forrester Research. Place au e-commerce et à la e-économie Les choses ont déjà changé en France depuis la fin de l’année dernière. L’ouverture du premier vrai “cybermarché” (contraction de cyber et d’hypermarché), houra.fr, né en pleine mode start-up, est là pour en témoigner. L’entreprise, filiale du groupe Cora, est véritablement innovante et bouleverse le monde de la grande distribution traditionnelle. “ Nous ne ressemblons pas du tout à un hyper classique, explique Pierre Bouriez, le pdg et fondateur. Nous avons des gammes spécifiques, un marketing adapté, une clientèle particulière. ” Internet ici change la donne, car elle permet aussi une relation personnalisée avec le client, bientôt le consommateur pourra savoir en se connectant s’il n’a plus de lait dans son réfrigérateur ! De la même manière que les supermarchés ont fait évoluer il y a quelques années les produits, la cyberdistribution laisse aujourd’hui son empreinte. “ La distribution sur le web va faire évoluer les packagings, affirme Pierre Bouriez. Les étiquettes imprimées tout autour des bouteilles d’eau par exemple deviennent inutiles sur internet, les clients ne peuvent pas tourner le produit pour les lire. Donc, les fabricants vont proposer des packagings plus simples, notamment en commercialisant plus de bouteilles de 5 litres très bien adaptées au web, où les clients se font livrer à domicile et n’ont donc pas à porter de produits lourds. ” Le web constitue aussi une chance pour de petites entreprises qui ne réussissaient pas à faire référencer leurs produits en grandes surfaces où, parce que le mètre de linéaire coûte cher, on arbitre toujours en faveur des marques les plus connues. “ Chez Houra, nous proposons des marques de produits régionaux, confidentielles, parce que cela ne nous coûte pas plus cher. ” La vente sur internet : une vraie jungle ! Bref, internet change complètement les habitudes de consommation, les produits, les marques, et ce phénomène n’épargne aucun secteur. “ Le web est particulièrement bien adapté aux produits de grande consommation, affirme Gilles Aubertin, mais je pense qu’on y viendra aussi pour des articles plus chers et que traditionnellement on veut toucher ou essayer. ” La réflexion est juste : à voir le succès du MP3 ou des voyages en ligne, on comprend que les disquaires et les agences de voyage ont du mouron à se faire. C’est également le cas pour les concessionnaires automobiles. Aux États-Unis, chaque année, on estime que cent concessionnaires disparaissent à cause d’internet : passer par le web pour commander sa voiture ferait économiser près de 3 000 francs. “ Nous constatons, précise Pierre Bouriez, que le fait de ne pas voir ni toucher un produit n’est pas un vrai frein : des tables de ping-pong, produit pourtant cher, se vendent comme des petits pains ! ” Autres exemples particulièrement révélateurs, tirés du monde de l’informatique. Cisco, le spécialiste américain des réseaux, réalise déjà 90 % de ses ventes sur le web. Oracle, éditeur décisionnel, prévoit d’en faire 80 %. Quant à Dell, le géant de la micro, il vend près de la moitié de ses PC par internet, directement au consommateur qui configure lui-même sa machine lors de la commande. La vente sur internet, en B to B ou en B to C, fait aujourd’hui figure de jungle, tant il est vrai que chaque jour apporte son lot d’innovations et d’inventions. Les nouvelles technologies ont bouleversé et continueront de bouleverser les entreprises et les fonctions commerciales. Car, lance Pierre Bouriez, “ nous en sommes encore à Néanderthal. Tout reste donc à inventer ! ”

Grand témoin Yoann Vandoorselaere : “ La sécurité, une faille des sites web ” Obstacle majeur au développement du e-commerce aujourd’hui : la sécurité. Les cyberconsommateurs redoutent que les sites ne soient pas suffisamment sûrs et ont peur de donner leur numéro de carte bancaire sur le web. Ont-ils raison ? Ces craintes sont-elles justifiées ? Réponse d’un spécialiste : Yoann Vandoorselaere, 18 ans, ex-hacker qui a notamment piraté à l’âge de 15 ans le réseau informatique de l’US Air Force. Les consommateurs ont toujours une appréhension lorsqu’ils doivent donner leur numéro de carte bancaire sur un site : ont-ils raison ? Clairement, oui. Parce qu’un pirate peut toujours se forger un accès dans un système informatique, même si celui-ci est sécurisé. Or, certains sites, totalement irresponsables, stockent dans leur réseau les numéros de CB de leurs clients. Et même si ces numéros sont cryptés, ce n’est pas totalement sûr, parce que le cryptage est tout à fait “craquable”. Est-il facile à un pirate de décrypter ces numéros ? Le commun des pirates ne peut pas le faire seul : l’opération de décryptage lui prendrait plusieurs années. En revanche, c’est très simple dès que le pirate a les compétences et les moyens suffisants. Il doit pour cela faire travailler un grand nombre d’ordinateurs en même temps : quelqu’un qui a accès aux ordinateurs d’une université par exemple peut réaliser ce piratage. Les internautes, en réseau, qui feraient travailler leurs machines en même temps peuvent aussi le faire. La vague de piratages de sites comme Yahoo, Amazon, etc. au printemps dernier nous a bien montré que le hacking est possible, même pour de grosses entreprises du web... Ah oui, ça, c’est beaucoup plus simple que de décrypter des numéros de cartes bancaires ! Il suffit au hacker de trouver une faille dans le système informatique du site pour pénétrer dans le réseau et faire ce qu’il veut. C’est à la portée de presque tout le monde, car il y a toujours un potentiel de vulnérabilité dans un système. Par exemple, lorsque vous accédez à un site par Internet Explorer ou Netscape, le navigateur envoie une commande au serveur. Généralement, le serveur n’autorise pas les commandes dépassant un certain nombre de caractères, mais il arrive parfois que le serveur ne vérifie pas le nombre de caractères d’une commande : un pirate peut alors passer une commande dont le nombre de caractères est plus important que le serveur ne peut accepter. Du côté du serveur, cela se traduira par un “dépassement de buffer” qui pourra permettre à un pirate d’exécuter certaines commandes sur le système, avec la possibilité de s’introduire dedans. Il peut alors faire ce qu’il veut : se contenter d’observer, récupérer ou détruire des données, etc. Cette méthode de piratage est l’une des plus utilisées, mais beaucoup d’autres existent. Comment faire pour limiter les risques ? Premier conseil : éviter l’utilisation de systèmes propriétaires comme Windows/Windows NT, et préférer des systèmes en open source comme Linux pour les serveurs. En effet, l’open source signifie que n’importe qui a accès aux codes qui ont servi à construire le logiciel et que ces codes sont donc modifiables et perfectibles en permanence. Des centaines de milliers d’internautes travaillent ainsi à améliorer Linux, alors qu’au mieux, seulement des dizaines de développeurs travaillent sur Microsoft NT. Conséquence : dès qu’une faille est détectée dans Linux, les internautes en sont immédiatement avisés et grâce à leur travail collectif, cela ne prend que quelques jours pour colmater cette faille. Chez Microsoft, cela peut prendre six mois, et pendant ce temps-là, les hackers peuvent en profiter… Est-ce la seule protection ? Non, tous les sites et toutes les entreprises devraient aussi être équipés de systèmes de tests d’intrusion. Ce sont des logiciels qui, en permanence, détectent les tentatives de piratage du réseau. C’est, me semble-t-il, la base de la sécurité informatique... Ces problèmes de sécurité peuvent-ils remettre en cause le développement du e-commerce ? Non, je crois, même si je le déplore, que le net va devenir de plus en plus commercial et de moins en moins un espace de liberté. Le e-commerce va continuer de se développer et ce, malgré les problèmes de sécurité. Pour moi, les nombreux sites qui gèrent très mal la sécurité font tout simplement preuve d’irresponsabilité et d’incompétence !

Quelques chiffres 9 % : c’est la proportion d’internautes résidentiels français de 15 ans et plus, mesurée fin janvier 2000 par une étude de Netvalue. Les internautes résidentiels sont ceux qui se connectent au web depuis leur domicile. Ils ont un profil très urbain (70 % de ces internautes résident dans des villes de plus de 100 000 habitants). 72 % de ces internautes résidentiels ont visité des sites de e-commerce proposant des transactions en ligne. Hormis les sites réservés aux adultes, ce sont les sites d’informatique et de logiciels qui sont les plus visités (42 %), suivis des biens culturels (24 %) et des jeux en ligne (16 %). 15,5 % de ces internautes ont utilisé des protocoles de connexions sécurisées sur ces sites, témoignant d’un engagement d’une procédure d’achat. Celle-ci ne s’est pas forcément concrétisée, car selon une enquête d’Ernst & Young, 64 % des internautes se méfient encore des sites marchands et 61 % abandonnent une transaction en cours de route faute d’être suffisamment rassurés sur les questions de sécurité et de confidentialité. Malgré ces freins, les chiffres du e-commerce grand public sont très bons. Selon le Benchmark Group, le commerce B to C sur le web s’est en effet élevé en France au premier semestre 2000 à 1,6 milliard de francs. Un chiffre déjà nettement supérieur à celui de l’ensemble de l’année 1999 ! Les auteurs de l’étude estiment que pour 2000, le CA du e-commerce devrait avoisiner les 4 milliards de francs, soit une hausse de plus de 200 %. Des chiffres prometteurs qui montrent que l’Europe (et notamment la France) rattrape son retard par rapport aux États-Unis. Le cabinet Forrester estime par exemple que les ventes de produits alimentaires en Europe seront supérieures à celles des États-Unis en 2005. Elles devraient pour ce seul secteur totaliser 55 milliards d’euros et représenter 5 % des ventes totales sur internet en Europe.

Témoignage Olivier Jay : “ Le commerce électronique, mélange de modernité et d’archaïsmes ” Internet révolutionne-t-il le commerce ou n’apporte-t-il que de simples changements ? Directeur de la rédaction d’Enjeux-Les Échos, Olivier Jay livre ici quelques pistes de réflexion. Il publie par ailleurs, avec le sociologue Dominique Wolton, Internet, petit manuel de survie*. Un livre d’entretiens sur l’impact d’internet dans la société. Pensez-vous que le commerce électronique en soit encore à la préhistoire en France ? Si on prend les chiffres, il y a à l’évidence un décalage entre la France et les USA. Mais je crois que le développement du net en France ne va pas se calquer sur ce qui s’est passé outre-Atlantique. En France, nous avons déjà l’expérience du commerce électronique depuis une vingtaine d’années grâce au minitel. Ce que les Américains découvrent un peu ravis, nous le connaissons ici depuis longtemps : nous réservons des billets d’avion, nous consultons des cours de Bourse, nous achetons des fleurs par le minitel. L’appétence pour ce média existe donc déjà depuis un bon moment. Cela aura des conséquences sur ce qui se passera en Europe et particulièrement en France, parce que les situations de départ ne sont pas les mêmes. Selon vous, le commerce électronique n’invente donc rien ? Je ne dirais pas cela. Le commerce électronique est un mélange de réelles innovations et de retour de pratiques archaïques. Le développement des ventes aux enchères, le troc, le “bargain” permanent sont des formes de commerce primitives : c’est le marché du village transposé sur le net. Le bazar au sens propre du mot. Le e-commerce nous rappelle aussi quelques bonnes vieilles règles du commerce. D’abord, le commerce doit “délivrer” : les sites qui réussissent sont ceux qui ont une logistique fiable. Cela a un coût qui n’a rien à voir avec le mythe de l’internet gratuit. La chaîne de valeur est modifiée profondément, mais elle n’est pas allégée. Deuxième règle rappelée par le commerce électronique : l’emplacement, qui est, comme chacun sait, la base du commerce. L’emplacement virtuel a autant d’importance que l’emplacement physique : sur internet, les sites doivent être repérables. La marque, la capacité à être placé sur les bons portails font la différence. Le commerce électronique ne serait qu’une simple transposition sur internet de pratiques connues ? Disons qu’il est difficile de mesurer ce qui relève de l’invention propre à internet et ce qui relève d’une évolution générale accélérée par internet. La baisse des prix est une tendance de fond du capitalisme depuis une quinzaine d’années, on la constate aussi sur le web avec les sites d’achats groupés par exemple. Le net n’a pas créé ce mouvement mais, incontestablement, il l’accélère. Peut-on imaginer qu’avec internet, une entreprise puisse se dispenser de commerciaux, c’est-à-dire d’un contact humain avec ses clients ? Le commerce, depuis la nuit des temps, c’est avant tout une affaire de relation humaine. Le mot “commerce” est d’ailleurs très proche du mot “communication” ! La grande question, c’est justement celle-ci : où, à quel stade, comment le commerce électronique va-t-il réintroduire de l’humanité ? Voilà une question ouverte à laquelle, pour le moment, personne n’a de réponse. * Internet, petit manuel de survie, par Olivier Jay et Dominique Wolton, éditions Flammarion.

 
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par Frédéric Thibaud

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