Directrices commerciales: elles brisent le plafond de verre
Encore trop rares au sein des directions commerciales - et a fortiori de nos colonnes -, nous avons souhaité mettre à l'honneur les directrices commerciales. Six d'entre elles ont accepté de se réunir à la rédaction d' Action Commerciale pour partager et échanger sur leur quotidien, leur vision du métier et leur environnement professionnel.
Je m'abonneSans doute avez-vous déjà fait vous-même ce constat: les femmes occupent peu de postes au sein des directions commerciales. Moins de 12 %, si l'on en croit le sondage
Les six directrices commerciales qui ont accepté de participer à notre table ronde évoluent professionnellement dans un univers très masculin. Lucides sur leurs forces et leurs faiblesses, elles livrent ici un constat clair sur leur situation. Loin de mettre en avant leur féminité, elles se définissent avant tout comme des managers passionnés par leur métier.
Gérer son temps
La clé pour une femme active, d'autant plus lorsque celle-ci occupe un poste à responsabilité, est de concilier vie professionnelle et vie personnelle. Cela implique quelques aménagements, et notamment d'imposer parfois ses contraintes horaires à ses supérieurs hiérarchiques ainsi qu'à ses équipes. « Tous les mardis, je pars à 17 h 15 car je n'ai pas de baby-sitter à ce moment-là. Chacun le sait et personne ne me sollicite sur ce créneau », donne pour exemple Delphine Mallet, directrice commerciale de Chronopost International. Et de poursuivre: « J'envoie des e-mails une fois les enfants couchés. »
Mais de telles absences peuvent inquiéter leurs supérieurs et leurs collaborateurs. « Nous sommes tout aussi efficaces que des hommes, mais sur des plages horaires différentes », rassure Nathalie Villard, directrice commerciale et marketing de Photomaton. « C'est pourquoi lorsqu'on est là, on est à 150 %! », affirme Isabelle Pampelune, directrice commerciale en charge du réseau concessionnaire de Xerox France. Delphine Mallet confirme envoyer des signaux afin de prouver que le travail est bien fait malgré ces contraintes. Jongler entre vie personnelle et vie professionnelle est donc le quotidien de ces « reines de l'anticipation », selon les termes d'Isabelle Pampelune.
« Cela demande une organisation militaire », souligne toutefois Scheherazade Zekri-Chevallet, directrice commerciale et marketing de Thalys International. Par ailleurs, les frais de garderie, de ménage... ne sont pas des moindres, et toutes les entreprises sont loin de disposer de services de conciergerie. Mais les sociétés sont plus ou moins conciliantes avec la mise en place d'aménagements spécifiques: horaires souples, télétravail, etc. S'il est certain que la culture d'entreprise influe sur les conditions de travail des femmes, « c'est aussi à elles de poser leurs propres limites », estime Isabelle Pampelune (Xerox France). Casser ce fameux plafond de verre qui, au départ institué par le monde de l'entreprise, est parfois ancré si profondément dans l'esprit de certaines qu'elles en oublient de s'imposer.
Si la gestion de la vie familiale est loin d'être incompatible avec la construction d'une carrière, la conciliation des deux n'est pas toujours simple. D'autant que « le regard des autres est parfois culpabilisant », confesse Nathalie Villard (Photomaton). Bien que le temps de la femme au foyer soit bel et bien révolu, certains esprits acceptent mal une telle émancipation professionnelle lorsque la femme a des enfants. Toutes se sont posé des questions concernant l'éventuel manque de temps accordé à leurs enfants et à leur vie de famille. « Il s'agit de privilégier la qualité à la quantité », résume Scheherazade Zekri-Chevallet (Thalys International).
Isabelle Pampelune (Xerox France) énonce des moments-clés de la vie des enfants à ne manquer sous aucun prétexte, comme une rentrée des classes par exemple.
Nathalie Villard, directrice commerciale de Photomaton, 44 ans, mariée, mère de deux filles de 16 et 9 ans. Avant d'entrer chez Photomaton, elle est restée 16 ans chez Olivetti où elle a occupé différents postes: marketin-gachats, responsable comptes-clés, puis responsable du service grande distribution. En janvier 2006, elle intègre Photomaton comme responsable comptes-clés. En mai 2010, elle prend la direction du marketing, puis, en novembre 2011 , la direction commerciale de Photomaton. Depuis, elle cumule les trois fonctions: directrice marketing, responsable comptes-clés et directrice commerciale. Elle manage à ce titre une équipe de 23 personnes.
Evolution de carrière
« Alors qu'elles aiment prendre et assumer des responsabilités, les femmes ont un goût moins prononcé que les hommes en ce qui concerne le pouvoir », analyse Elisabeth Casterman, directrice des centres de relation clients particuliers EDF en Ile-de-France. Ainsi, Nathalie Villard (Photomaton) comme Alida Dumain, directrice commerciale d'Hub'Sales, société spécialisée dans le web analytics, ont dans un premier temps refusé le poste de directrice commerciale. Cette dernière raconte: « J'étais alors ingénieure commerciale. Mon métier me plaisait, je ne voyais aucune raison d'en changer. » Selon elles, rien n'est interdit à condition de s'en donner l'opportunité. Alors que les hommes font largement connaître leur volonté d'évolution auprès de leurs supérieurs, les femmes restent souvent plus discrètes quant à leur projet d'avenir professionnel. « Elles attendent des rencontres-clés qui vont booster leurs carrières. Mais je souhaite donner ce conseil aux jeunes femmes: manifestez-vous! » , clame Elisabeth Casterman.
Une seule vérité: viser le poste dont on a envie, que l'on soit homme ou femme. « Je pense que nous occupons toutes ce poste de directrice commerciale avant tout car il nous passionne! », estime Isabelle Pampelune (Xerox France).
cheherazade Zekri-Chevallet (Thalys International) ne manque pas par ailleurs de souligner le rôle-clé du conjoint dans l'évolution des carrières des femmes. Toutes sont d'accord sur ce point: sans eux, leur carrière n'aurait sans doute pas été aussi brillante. Cependant, la coordination du couple en termes de gestion de carrière est loin d'être évidente. « Il faut faire des choix », affirme Delphine Mallet (Chronopost International). Tantôt privilégier la carrière de l'un, tantôt celle de l'autre... Tour à tour, il s'agit de faire, sinon de vrais sacrifices, de petites concessions pour permettre à son ou sa partenaire de booster sa carrière au moment opportun. Quant aux propres carrières des directrices commerciales, si toutes ont déjà un beau parcours derrière elles, aucune ne s'interdit de voir encore plus loin. « Etre directrice commerciale n'est pas une fin en soi! », souligne Alida Dumain (Hub'Sales).
Un management à la mode féminine
Traditionnellement, les femmes sont davantage associées aux métiers de la communication et du marketing que de la vente. « On nous prête facilement des qualités d'écriture et de présentation », note Alida Dumain. « Occuper un poste de dirigeant commercial est synonyme d'esprit belliqueux voire d'une certaine forme d'agressivité... Des traits de caractère qui ne sont pas facilement associés à la femme », ajoute Isabelle Pampelune. Cependant, toutes exercent le métier de directeur commercial, qui demande de l'énergie, de l'implication auprès de ses équipes et du leadership. « Certes, je suis incapable de citer les derniers résultats du foot ou de jouer au golf et pourtant je suis directrice commerciale », ironise Delphine Mallet. Ce qui ne l'empêche pas de motiver ses équipes et de les aider à atteindre leurs objectifs. « Nous exerçons notre métier sans penser au quotidien que nous sommes des femmes! », résume Alida Dumain. L'essentiel est d'assurer pleinement et au mieux ses fonctions, quel que soit le sexe du dirigeant commercial.
Si le fait d'être homme ou femme ne garantit pas un certain style de management, quelques particularités les caractérisent. Un premier constat est un manque de confiance chez ces dernières. « Les femmes construisent cette confiance, tandis que les hommes sont souvent nés avec », estime Nathalie Villard (Photomaton). « Nous sommes notre propre frein », lance Isabelle Pampelune (Xerox France). Toutes sont d'accord avec cette idée. Pour compenser, « les femmes sont moins dans l'improvisation et davantage dans la préparation », souligne Elisabeth Casterman (EDF). Etant sans doute plus «attendues au tournant» par leurs homologues, masculins en premier lieu, les directrices commerciales auraient tendance à particulièrement soigner leur discours commercial et à peaufiner leurs connaissances. C'est peut-être pour cela que « les femmes disposent d'une plus grande appétence à la formation », juge Scheherazade Zekri-Chevallet (Thalys). Et d'ajouter que la gente féminine apparaissant comme étant moins agressive, peut sembler être moins efficace, notamment lors des négociations. « Une main de fer dans un gant de velours », résume Nathalie Villard (Photomaton).
Alida Dumain
Alida Dumain, directrice commerciale d'Hub'Sales: mariée, mère de deux enfants de 22 et 18 ans. Titulaire d'un master en Commerce international, et forte de plus de 20 ans d'expérience dans le management de ventes en grands comptes et comptes globaux, elle développe sa carrière chez Apple, Toshiba, groupe Afone et Computerlinks. Depuis 2009, elle est directrice commerciale d'Hub'Sales, société spécialisée dans le web analytics. Elle encadre une équipe de cinq commerciaux en direct et de huit consultants en transverse.
Les femmes, championnes de la négo!
Une étude de janvier 201 1 menée par Lionel Bobot, enseignant-chercheur à Négocia, sur la place des femmes au poste de commercial, démontre qu'elles sont légèrement meilleures négociatrices que leurs homologues masculins. Sur 60 jeunes femmes observées en situation réelle, plus de 8 sur 1 0 ont remporté leur simulation de négociation, contre un peu moins de 8 pour les hommes. Fermeté, combativité, rigueur... Celles-ci adoptent les mêmes comportements que les hommes lors des négociations commerciales. En revanche, que ce soit avant ou après la négociation, elles apparaissent moins confiantes en elles. 77 % se disent peu ou moyennement sûres d'elles. Les hommes, eux, ont davantage foi en leur réussite. Plus d'un sur deux s'affirme sûr ou très sûr de lui avant de se lancer dans la négociation.
Delphine Mallet, directrice commerciale de Chronopost International: mère de deux enfants. Delphine Mallet, 35 ans, est diplômée d'HEC. Elle rejoint le groupe La Poste en août 2001, en tant que responsable marketing opérationnel, avant de prendre la direction régionale des ventes Ile-de-France de ColiPoste en 2005. Elle entre chez Chronopost en 2008, en tant que directrice marketing et communication externe.
En décembre 2011, Delphine Mallet prend la tête de la nouvelle direction commerciale de Chronopost réunissant ventes, marketing et communication externe. Elle anime une équipe de 300 personnes.
Des rémunérations encore à la traîne
Selon une étude de l'Apec (Association pour l'emploi des cadres) de 2010, en médiane, une femme cadre commerciale gagne 44 kEuros par an lorsqu'un homme touche 52 kEuros. Un écart important qui pourrait être, là également, dû au manque de confiance de ces dernières. « Les hommes se font davantage entendre que les femmes en matière de rémunération », affirme Scheherazade Zekri-Chevallet, qui reconnaît pourtant que, les salaires à l'embauche se rapprochant toujours un peu plus de la parité hommes-femmes, les écarts finiront par se réduire. « Et puis la rémunération est davantage une priorité pour les hommes que pour les femmes » , complète Delphine Mallet (Chronopost International). En effet, Alida Dumain (Hub'Sales), qui ne compte qu'une seule commerciale femme dans son équipe, raconte que cette dernière n'a jamais demandé d'augmentation jusqu'à ce que sa manager la lui propose. « Dans l'ensemble, les femmes parlent moins facilement salaire que les hommes. Elles sont davantage sensibles à la reconnaissance de leur travail. En revanche, un homme commercial, qu'il ait atteint ses objectifs ou non, va aborder le sujet avec son manager » , estime-t-elle. Pourtant, les directrices commerciales - ainsi que dans d'autres fonctions - ne sont plus nécessairement le deuxième salaire du couple. Le salaire du conjoint est d'ailleurs un argument utilisé par certains employeurs pour refuser une augmentation à leurs collaboratrices. « Il serait impensable d'imaginer une telle objection vis-à-vis d'hommes! », s'exclame Elisabeth Casterman (EDF).
Scheherazade Zekri-Chevallet
Scheherazade Zekri-Chevallet, directrice commerciale et marketing de Thalys International: 42 ans, mère de deux enfants de 6 et 4 ans. Diplômée d'un MBA en Marketing management de Baruch College (New York) et d'un magistère d'Economie industrielle à Paris XIII, Scheherazade Zekri-Chevallet commence sa carrière à New York comme analyste chez Invest in France. En 1996, elle rejoint Rail Europe à New York, en tant que responsable marketing et distribution. En 1999, elle devient directrice de la distribution et des ventes internationales pour Eurostar à Londres. Elle occupe en 2002 le poste de dg de Rail Europe Continentale à Bruxelles. Six ans plus tard, elle intègre SNCF Voyages à Paris en tant que directrice business et développement des marchés non européens. En décembre 201 1, elle devient directrice commerciale de Thalys International, en charge d'une équipe de 60 collaborateurs.
Vers la parité
« Les hommes rechignent encore à recruter des femmes pour des raisons de garde d'enfants malades, de congés maternité... », déplore Alida Dumain. Malgré tout, Elisabeth Casterman et ses consoeurs pensent que « les femmes ont réussi à montrer que les a priori n'ont pas lieu d'être ». En effet, le temps passé en congé maternité, rapporté à la carrière totale, n'est pas si important. Cette prise de conscience est de plus en plus répandue au sein des entreprises. Malgré leur sous-représentativité au sein des directions commerciales, toutes les participantes observent cette progression, à l'instar d'Elisabeth Casterman, première directrice commerciale chez EDF. Elles sont aujourd'hui deux à occuper ces fonctions. Les grandes entreprises sont plus enclines à traiter des sujets de discrimination au sens large. Et Isabelle Pampelune de préciser que, chez Xerox, c'est une femme qui est à la tête de l'entreprise. « Ca aide. Les femmes investissent également de plus en plus le secteur des transports, qui n'est pourtant pas réputé pour sa féminisation», selon Scheherazade Zekri-Chevallet (Thalys International), qui a effectué la majorité de sa carrière au sein du groupe SNCF. Elle constate aussi une évolution de la part hommes-femmes aux postes-clés. Elle explique ce phénomène par la montée en puissance des services, qui a sans doute contribué à la féminisation des postes à responsabilité, du fait de métiers moins techniques et davantage basés sur le conseil. « Les entreprises ont eu le besoin d'intégrer une sensibilité aux produits, à laquelle les femmes répondent généralement bien », précise-t-elle.
L'arrivée de femmes aux postes de direction est plus facilitée dans les grandes structures que dans les sociétés de taille plus modeste. « Je suis la seule femme au comité de direction », indique Nathalie Villard pour citer le cas de Photomaton, une PME de 300 personnes. L'une des raisons est que, souvent, les parcours de carrière sont plus longs dans les grandes entreprises, offrant davantage d'opportunités d'évoluer. Or, la progression de carrière chez les femmes commerciales se déroule plus facilement en interne. « Dès lors qu'il s'agit de postuler pour être dirigeante commerciale dans une entreprise extérieure, c'est plus compliqué », estime Alida Dumain (Hub'Sales).
Mais il est certain que les mentalités, toute taille d'entreprise confondue, tendent à converger vers la féminisation des directions commerciales. « Je pense que les patrons réalisent de plus en plus l'importance de la recherche de l'équilibre hommes- femmes, afin de garantir une certaine complémentarité », argumente Scheherazade Zekri-Chevallet. Et puis il n'est pas rare de voir des hommes séparés, faisant face, à rythme alterné, à des obligations familiales similaires à celles des femmes: garder les enfants, aller les chercher à l'école... « Nos supérieurs et nos homologues masculins d'aujourd'hui ont ainsi largement changé d'état d'esprit », insiste Delphine Mallet (Chronopost International). Le chemin vers la parité au sein des directions commerciales est bel et bien tracé.
Isabelle Pampelune
Isabelle Pampelune,directrice commerciale en charge du réseau concessionnaires de Xerox France: mariée, mère de deux filles de 11 et 8 ans. Diplômée de l'Institut supérieur de commerce de Paris, Isabelle Pampelune, 41 ans, entame sa carrière en 1993 en tant que commerciale chez un concessionnaire Xerox puis rejoint Xerox France en 1996 en tant qu'ingénieure commerciale. En 2004, elle devient chef des ventes, puis prend la responsabilité des plans de rémunération variable et de motivation de la force de vente. Depuis janvier 2009, elle est directrice commerciale en charge du réseau de concessionnaires de Xerox France. Elle est responsable d'une équipe de neuf collaborateurs et de 22 concessionnaires.
Les commerciales moins bien payées
Selon le Guide des salaires 2012, il apparaît que les hommes représentent toujours 59 % de l'échantillon de la famille «commercial, ventes». L'écart des rémunérations hommes-femr est de 34 % (contre 35 % l'an dernier), au détriment de ces dernières. Elles perçoivent une rémunération globale moyenne de 31 730 euros, contre 47 780 euros pour les hommes.
Elisabeth Casterman
Elisabeth Casterman, directrice des centres de relation clients particuliers EDF en Ile-de-France, 50 ans, mariée, mère de deux fils de 23 et 21 ans. Titulaire d'un master Finances et d'un DESS Gestion des entreprises, elle entre chez EDF-GDF en 1985 comme responsable d'études marketing. Après quelques années au service commercial, elle devient chef de produits à la direction marketing de Gaz de France, puis acheteur à la centrale nationale d'achats d'EDF et ensuite manager à la direction marketing B to C d'EDF. En 2006, Elisabeth Casterman prend la direction des ventes de la direction commerciale particuliers d'Ile-de-France, puis en 2009 la direction des centres de relations clients particuliers d'Ile-de-France. Elle manage une équipe de 900 personnes.