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La vente se construit une nouvelle image

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Décriée par les consommateurs à cause du hard-selling de quelques-uns, peu attractive pour les diplômés, la vente n’a jamais eu la cote d’amour en France. Mais les vendeurs s’orientent sur le conseil au client, et changent doucement de visage. Sociologues, éducateurs, consommateurs, représentants de la fonction commerciale dressent le tableau.

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Robert Rochefort, directeur général du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc). Vient de publier Le consommateur entrepreneur aux éditions Odile Jacob. “La vente a considérablement évolué ces dix dernières années vers plus de compétences, de conseil, d’amabilité et de prise de responsabilités de la part du vendeur, autant dans les grandes surfaces spécialisées que dans les petits commerces ou la vente directe. ”À l’inverse de la plupart de leurs homologues européens, les consommateurs français continuent à avoir une impression négative des vendeurs, bien plus que la vente elle-même d’ailleurs. Le vendeur a toujours été suspecté d’être soit un voleur parce qu’il vend trop cher, soitun baratineur parce qu’il cherche à forcer la main du consommateur. C’est à mon sens ce qui explique le développement du libre-service et des formes de commerce modernes. Lorsque l’on a inventé le supermarché, on a fait croire au consommateur qu’il n’y avait plus de vendeur qui est aussi longtemps apparu comme supérieur à lui. Il jouait d’une sorte d’ascendance naturelle pour intimider le client. Mais le rapport du consommateur à la vente et au vendeur a beaucoup évolué. Il a pris le pouvoir, il ne se laisse plus impressionner, notamment parce qu’il est plus cultivé et mieux informé. Conséquence : le consommateur a un comportement d’achat plus sélectif, ce qui a fait paniquer le vendeur et l’a contraint à évoluer. Aujourd’hui, la relation client-vendeur est marquée par la notion de service et de conseil : le consommateur veut un conseiller, pas un baratineur, sans pour autant avoir à payer plus cher. Le rôle du vendeur n’est donc plus de faire acheter à tout prix le produit le plus cher possible, mais d’abord de comprendre le projet et les besoins de son client pour être en mesure de lui proposer le produit adéquat, et non plus le produit standard, défini et imposé par le magasin. La relation vendeur-client a donc acquis une forte dimension interpersonnelle, d’autant plus importante qu’elle est menacée par l’usage intensif des typologies et des bases de données. Cependant, la personnalisation de la relation peut encore être améliorée, le vendeur a encore trop tendance à vouloir faire entrer le consommateur dans des cases. Il y a donc encore des progrès à faire sur le plan de l’écoute du client. Je pense qu’elle est encore beaucoup trop approximative, sauf peut-être dans la vente directe ou la vente par téléphone qui, en installant une relation intime, permettent de découvrir plus facilement la personnalité du client. Loïc Leduc, président de la Fédération nationale des agents commerciaux. Dirige une agence commerciale, Air Combustible Eau, tournée vers l’environnement et implantée dans la région rennaise. “Chaque année, le nombre d’agents commerciaux augmente d’un millier de personnes. La profession a donc une bonne image auprès des professionnels de la vente, tous métiers confondus. En revanche, nous devons faire un effort vis-à-vis des clients par le biais de la certification par la qualité. ”La profession d’agent commercial, et plus largement de vendeur, étant ouverte à chacun, n’importe qui peut exercer ce métier. De fait, il n’y a pas que des bons professionnels, et c’est ce qui contribue à ternir l’image de la vente. La Fédération des agents commerciaux n’ignore pas ce problème, et nous souhaitons le résoudre par le biais de la certification par la qualité des agences commerciales. Nous avons d’ores et déjà choisi un organisme certificateur agréé, et nous travaillons actuellement sur un référentiel qui sera publié cet été au Journal Officiel. La certification qui passera, notamment, par un complément de formation dispensé dans le cadre de l’Institut de formation des agents commerciaux, devrait permettre de nettoyer les rangs et de garantir un certain niveau de professionnalisme. Elle contribuera certainement à rehausser l’image du métier qui devrait y gagner un accroissement de crédibilité. Le dispositif qualité est, bien sûr, articulé autour du souci du client. À cet égard, le rapport de l’agent commercial au client a considérablement évolué, comme dans le reste de la vente. Il s’agit aujourd’hui de le mettre en confiance, de l’écouter, de faire émerger ses besoins et de lui apporter le meilleur service en se comportant en véritables acteurs de conseil. Je pense que nos clients sont conscients de cette évolution. Maintenant, si l’on considère le problème dans une perspective de recrutement, je crois que les jeunes ont une bonne image de la profession. Mais le statut d’agent commercial, qui doit diriger sa propre entreprise, peut effrayer. C’est pourquoi nous encourageons les jeunes à entrer dans la profession par le biais d’une collaboration avec un agent expérimenté. Cependant, les jeunes qui suivent une formation commerciale reçoivent trop peu d’enseignement sur le métier. Nous avons commencé à travailler sur ce problème. Philippe Dailey, délégué du Syndicat de la vente directe. A commencé sa carrière comme ingénieur des ventes, puis directeur commercial dans l’industrie mécanique, puis la vente de maisons individuelles. A rejoint le SVD après le poste de directeur général de Larousse Diffusion, puis des Encyclopédies Britannica. “La vente directe souffre d’un déficit d’image dû, notamment, à un manque de professionnalisme. Nous souhaitons mettre l’accent sur le domaine de la formation en développant les cursus type BTS ou apprentissage, et en nous faisant mieux connaître des grandes écoles. ”Toutes les enquêtes montrent que les consommateurs ont une bonne image des entreprises du secteur de la vente directe, lorsqu’on les évoque une à une. En revanche, le métier en général a une mauvaise image, car tout le monde a eu un jour ou l’autre une mauvaise expérience avec un vendeur venu sonner à la porte. Souvent, c’est la faute du consommateur qui ne fait pas appliquer la loi qui le protège. Selon cette loi, il doit se voir remettre un bon de commande avec un coupon lui permettant d’annuler son achat dans la semaine qui suit la visite du vendeur, et il ne doit pas verser d’argent à la commande. Nous devons faire un effort sur l’information du consommateur de ses droits, ainsi que sur la déontologie des vendeurs. Sur ce point, nous avons conçu un CD-Rom de formation intitulé L’Esprit des lois qui fait le point sur le code de conduite de la profession, à l’attention des nouveaux vendeurs, réunis dans le cadre d’une demi-journée de formation. Car il est certain que la vente directe requiert de plus en plus une vraie compétence professionnelle. C’est un vrai métier qui ne peut plus être exercé comme un job d’appoint sans formation initiale à la vente, comme c’est le cas aujourd’hui pour la grande majorité des vendeurs en direct. Nous souhaitons à présent changer de cap. Nous sommes en train de préparer des formations à la vente directe avec l’Association pour la formation professionnelle. Nous sommes attentifs au module vente directe enseigné aux BTS Force de vente, et nous développons énormément l’apprentissage. Nous visons une professionnalisation croissante de notre activité. D’ores et déjà, la vente directe intéresse de plus en plus les jeunes qui se destinent au commercial, même si la vente directe n’est pas un métier facile. Plus que les autres secteurs de la vente, elle est essentiellement fondée sur la prospection, et la rémunération se fait souvent uniquement à la commission : c’est à la fois séduisant et décourageant. En revanche, nous souffrons d’un déficit d’image auprès des diplômés des écoles de commerce qui passent systématiquement la vente directe sous silence au cours de la formation. Christian Ollivier est professeur associé de vente à Négocia, centre international de formation à la vente et à la négociation commerciale situé à Paris. “Incontestablement, l’image du vendeur a beaucoup évolué au cours des dernières années. Après le vendeur mercenaire des années 60-70, indépendant et seul, le vendeur fantassin des années 80 sous dominante marketing, on a aujourd’hui à faire à des vendeurs qui ont acquis leur grade d’officier.” Pendant longtemps, les formations à la vente étaient des filières de la seconde chance. Aujourd’hui, on les choisit parce qu’elles préparent à un métier d’expertise. La vente s’est hyper professionnalisée, et le vendeur est devenu un chef d’orchestre de plus en plus diplômé qui doit travailler avec des juristes, des logisticiens… Le fait qu’acheteurs et vendeurs possèdent désormais le même niveau de connaissances a aussi sensiblement modifié leur relation. Il ne peut plus y avoir d’arrogance des vendeurs vis-à-vis des acheteurs. D’une logique de catalogue, on est passé à une logique de sur mesure. De nos jours, le client connaît sa problématique, et c’est au vendeur de s’ajuster. Ce qui a eu des conséquences sur la pédagogie. D’une formation déductive qui consistait à acquérir des données et des recettes théoriques à appliquer (bibles, règles comportementales, etc.), nous sommes passés à une formation inductive. Ce sont les situations rencontrées sur le terrain qui doivent générer une réflexion afin d’arriver à la solution. Les formations par alternance, qui associent l’expérience terrain à l’analyse de cette pratique à Négocia, sont également très adaptées. Enfin, l’image du vendeur a profité de la réconciliation du marketing et de la vente. Si, dans le passé, le marketing a pu faire de l’ombre à la vente et si, à certains moments, il a pu y avoir des querelles, c’est désormais terminé. Ce métier a vraiment changé, et le vendeur baratineur n’est plus qu’une image d’Épinal. Il y a 15 ans, je ne disais pas volontiers que j’étais professionnel de la vente. Aujourd’hui, ça ne me pose plus de problème. Quant aux jeunes que nous recrutons, et que nous formons à Négocia, ils savent que le métier de commercial est très exigeant, qu’il nécessite un investissement important en temps de travail, mais aussi qu’il est puissant en terme de développement personnel, professionnel, et qu’il permet de gagner beaucoup d’argent. Françoise Berho, inspectrice générale de l’Éducation nationale.A participé à la création du bac professionnel Vente et Représentation et des BTS Force de vente. “Nous avons assisté à un changement profond des mentalités. Quand on a commencé, en 1985, à s’interroger sur la vente, on a constaté que l’image des métiers de la vente était négative, et que le secteur n’attirait pas les jeunes. Aujourd’hui, la situation a bien évolué.“ Je ne constate plus les forts préjugés qui existaient auparavant à l’égard de la vente. En 1985, on a commencé à s’interroger sur la cause d’absence de formations proposées aux vendeurs, sur le manque d’intérêt des jeunes pour les métiers commerciaux et sur l’image négative que donnait la vente. Cette réflexion, menée avec les employeurs, avec le mouvement des Dirigeants Commerciaux de France, et avec les représentants de l’Éducation nationale, a donné naissance en 1985 au bac professionnel Vente et Représentation, et deux ans plus tard au BTS Force de vente. À l’époque, la réaction de certains représentants du patronat a été de dire qu’on ne devient pas vendeur en allant sur les bancs de l’école. À la création du BTS, la tendance, notamment au ministère de l’Éducation nationale, a été de camoufler le mot vente. Cependant, nous avons pris le parti délibéré de dire : si on veut modifier l’image de cette profession, on doit associer la vente à une formation et à une formation supérieure. Aujourd’hui, les mentalités ont considérablement évolué. Même si l’attrait pour les formations commerciales a été accentué par le fait que le commerce a continué à recruter malgré la crise, je ne crois pas pour autant que les jeunes qui s’engagent répugnent à faire du commerce. L’envie est là. Ces diplômes de vente, et non d’action commerciale, correspondent à un profil particulier de jeunes qui se reconnaissent dans des études où l’initiative a une part importante. Les candidats ont parfois des résultats scolaires moins performants, mais ils ont envie de se consacrer à fond à quelque chose. Nous réfléchissons maintenant à l’évolution de ces deux diplômes en essayant d’améliorer pour le BTS les formations à l’informatique, au calcul et au juridique. Marc Deby, directeur de l’INC (Institut national de la consommation) et directeur de la publication 60 millions de consommateurs. ”Le consommateur voudrait être en face d’un vendeur idéal : qu’il soit conseilleur, le plus impartial possible, et à l’écoute de ses réels besoins. L’idéal serait effectivement qu’il soit d’abord à l’écoute du consommateur, avant d’être l’agent des instructions commerciales de son magasin.“ Aujourd’hui, beaucoup de ventes se réalisent sans l’intermédiaire de vendeur. Le déve-loppement du libre-service a largement contribué à responsabiliser le consommateur face à ses achats. En grandes surfaces, surtout en alimentaire, on peut concevoir un énorme supermarché sans vendeur : les systèmes d’étiquetage suffisent au consommateur. En ce sens, j’ai le sentiment que le rôle du vendeur est jugé beaucoup moins important qu’il y a 20 ans par le consommateur. Le vendeur a perdu un peu de son statut, il est devenu plus anonyme : auparavant, on connaissait d’abord son vendeur, maintenant on connaît avant tout son magasin.Le métier de vendeur a ainsi beaucoup évolué : le bonimenteur a disparu, le conseilleur l’a remplacé. On ne voit plus de vendeur “faire l’article” à l’ancienne. L’essentiel aujourd’hui pour le vendeur est de bien déceler les besoins de son client. Car, lors de ventes de services ou d’informatique, sa présence est indispensable. Dans certains magasins, je dirais même que les vendeurs manquent cruellement : on y rencontre des consommateurs indécis ou en mal de conseils partis à la recherche de vendeurs. Il faut cependant que les vendeurs respectent une certaine éthique commerciale. Certaines techniques de vente, à l’arraché, peuvent se retourner contre le vendeur lui-même. Il faut toujours rappeler que le démarchage à domicile reste très agressif. Forcer la main n’est pas dans l’intérêt du vendeur. Cela finit à terme par assécher le marché, et cela empêche de fidéliser les clients. Il y a toujours un fond constant de plaintes de consommateurs qui ont eu l’impression de se faire forcer la main. Mais il faut dépassionner la relation entre les deux acteurs de la consommation : le vendeur n’est pas un arnaqueur, et le consommateur n’est pas un filou.

Ce qu’il faut retenir •Une vision du passé qui a la dent dure : le vendeur a toujours été suspecté d’être soit un voleur parce qu’il vend trop cher, soit un baratineur parce qu’il cherche à forcer la main du consommateur. • Un changement nécessaire : la prise de pouvoir du client oblige le vendeur à adopter une démarche conseil. Des formations initiales pour les commerciaux existent à tous les niveaux, même les plus hauts (troisième cycle de négociation, par exemple). •Des efforts à approfondir : des professions entières, comme la vente directe, se sont peu à peu dotées de codes de déontologie, et les conditions d’exercice sont beaucoup mieux encadrées par la loi. • Un avenir à construire : malgré l’invasion de l’informatique, des télécommunications et d’Internet dans les méthodes et processus de travail, la vente reste une affaire de relation interpersonnelle. L’image – bonne ou mauvaise – est aux mains des vendeurs eux-mêmes.

 
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Marie-Pierre Vega, Laure Deschamps, Anne-Françoise Rabaud

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