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Quand la vente devient high-tech

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Jeunes mariés, nouvelles technologies et vente connaissent des conflits liés à la vie commune : la culture de la vente, faite d’autonomie, fondée sur la relation personnelle, se heurte à la volonté de pilotage et à la distanciation créée par les nouveaux outils, qui divisent la relation au client et accélèrent le temps.

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Philippe Gabilliet, consultant en prospective des organisations commerciales, et vice-président de la Confédération européenne du marketing. “Depuis 3 000 ans, la vente a toujours demandé un minimum d’organisation et une attitude. Les nouvelles technologies rendent seulement ces éléments invariants beaucoup plus exigeants. Les nouvelles technologies peuvent être assimilées de plusieurs façons, active ou passive, sous la contrainte ou comme une nouvelle ressource.” Dans certaines catégories de relations commerciales, la relation humaine est moins déterminante, et il est vrai que sans valeur ajoutée, aujourd’hui, la présence d’un commercial perd de sa raison d’être. Le niveau d’attente du client est monté : il s’attend à ce que le vendeur connaisse son offre, les offres des concurrents, et son métier. L’utilisation des nouvelles technologies fait monter la barre, accroît le besoin d’intelligence. Ce qui est arrivé également, c’est le partage croissant de l’information, notamment dans la vente business to business. Dans mes scénarios de prévision, j’émets l’hypothèse que la culture du partage de la décision d’achat va se développer. Cela risque de remettre en cause les compétences, d’être perturbant. On va commencer à découvrir que le fait que l’individu ait accès aux fournisseurs par des canaux diversifiés, autres que le vendeur, rend de plus en plus difficile la garde de l’information commerciale. Les systèmes d’information évoluent vite, mais les mentalités plus lentement. Il faut faire attention également à la coordination entre les différents canaux. En effet, depuis longtemps, les directions ont voulu fournir les vendeurs en leads qu’ils ne suivaient pas si l’on se réfère à l’exemple du fonctionnement des cellules marketing direct dans les années 80. Car cela va à l’encontre de la culture d’autonomie prédominante dans la vente. Mais j’ai l’impression quand même que les générations qui entrent maintenant dans la vente s’adapteront beaucoup plus facilement. Les systèmes d’information poseront plus de questions aux managers. Tout corps social à tendance à maximiser sa marge de liberté, sa zone protégée. L’entreprise, elle, de son côté, doit tout faire pour renforcer les contrôles. L’autonomie va faire forcément l’objet d’une bataille. Car un individu, même isolé, a accès à des informations de provenances multiples et variées, et en moulinant les données, il peut se créer un système d’intelligence économique propre. En cela, il regagne de l’autonomie. Nicole Turbe-Suetens, présidente de l’Association française de télétravail et fondatrice du cabinet Distance Expert conseil, sur la mise en place de nouvelles organisations de travail. “Les nouvelles technologies et les organisations qui en découlent changent fondamentalement les compétences. Traditionnellement, le vendeur base son art sur la relation de face à face. Aujourd’hui, il doit la positionner avec l’e-mail, la visioconférence et le téléphone.” Il faut apprendre aux forces de vente à jongler au mieux avec un cocktail de ressources, messageries, téléphone fixe et mobile. La véritable efficacité réside dans la mise en place d’un outil de communication fluide, transparent. Les communications deviennent plus informelles, plus rapides, ce qui crée des attentes très particulières. Grâce à ces outils, et notamment au PC portable et au GSM, le vendeur peut travailler de n’importe où. Et a accès, grâce aux intranets, à toute l’information dont il a besoin, à distance. J’ai contribué à mettre en place le nomadisme chez IBM et participé à la réflexion interne sur le sujet ainsi qu’au fameux rapport Breton sur le télétravail. Beaucoup de personnes n’ont pas encore compris que IBM est devenue une entreprise virtuelle mondiale. Dans ce type de projet, il faut ménager les inquiétudes. Car c’est une grande remise en cause des comportements, chacun est amené à se poser la question de sa place dans l’organisation. Ce fut long et douloureux, mais personne n’était seul, cela a même créé des mouvements de solidarité. Le manque de démarche qualité est énorme dans tous les projets de reengineering. Il faut identifier les processus, intégrer des représentants des acteurs concernés qui joueront un rôle de diffusion à l’intérieur de leur métier. Dans les organisations, les démarches de communication interne doivent être très poussées et le langage transparent. Sur ce point, les méthodes américaines sont bonnes, le langage est très direct, contrairement à la culture des entreprises françaises, souvent dans le non-dit. Alain d’Iribarne, directeur de recherche au laboratoire des sciences de l’homme au Cnrs. “Nous sommes dans lalogique de convergence des technologies. L’impact des technologies en réseau accroît le niveau d’exigence du client, et modifie lescompétences attendues des vendeurs. Elles créent un paysage très déstabilisé, qui peut même engendrer de nouvelles maladies professionnelles. Malheur aux fragiles.” Je vois actuellement une concordance de charges conjointes, des mouvements de fonds, comme la transformation des cadres, l’apparition des structures plates, interactives. L’entreprise demande aux salariés de réagir sur toutes les chaînes, qui sont autonomes. Ils se retrouvent en déséquilibre, sous pression. Les salariés travaillent de plus en plus en temps réel, donc le discernement devient capital, on ne peut plus rattraper une erreur. Les nouvelles technologies viennent changer le poste de travail. La logique de la messagerie sur internet fait par exemple appel à des compétences traditionnelles de bureautique, mais demande de la familiarité avec l’instrumentation, d’autant plus si l’on manipule dans des systèmes hétérogènes. En outre, elle modifie l’appréhension au temps : je lance un appel d’offres à fournisseur le vendredi soir sur le net, j’attends les réponses pour le lundi matin. Qui récupère le temps, le temps de l’échange seulement, car il est évident que l’on gagne peu en temps intellectuel ? Celui qui a le pouvoir, le donneur d’ordre. Son niveau d’exigence monte, il attend des présentations commerciales efficaces, mais aussi esthétiques, rendues possibles par les logiciels. Les vendeurs doivent gagner ces compétences, et quelques autres. Pour le vendeur, c’est un continuum de son métier, il doit absorber d’autres compétences. De mon point de vue, le bon vendeur reste bon, les bases du métier ne sont pas touchées. Je distingue une troisième dimension, celle des capacités à coopérer. Car les entreprises passent à une segmentation horizontale, favorisée par les nouvelles technologies. La relation hiérarchique est-elle remise en cause ? À mon sens, l’outil est seulement le support. Le problème majeur avec les messageries, c’est que cela ne coûte rien, et nous observons une sur-émission de messages qui sature les destinataires. Il faut travailler sur les listes de destinataires, afin d’éviter les mails sauvages, échappant à tout contrôle. De plus, ces messages sont des interactions, rapides, très peu contrôlés, écrits en langue parlée. Toute une série de conflits naît de cela. Chacun fait son apprentissage et devient plus prudent, adapte son écrit à la personne destinataire. Les commerciaux sont en première ligne de la transformation des langages. Pat House, co-fondatrice et vice-présidente de l’éditeur leader de solutions pour le front office Siebel Systems. “Chez Siebel, nous sommes extrêmement concentrés sur les forces de vente, les call centers et internet. Le système d’information ne doit réaliser qu’un même cercle clos. La résistance des forces de vente face aux nouvelles technologies s’en va lorsqu’on leur a démontré qu’elles peuvent y gagner de nouveaux prospects.” En Europe et en France, la demande est là, nous sommes dans une phase d’évangélisation, et nous voyons une explosion d’intérêt. Mille cinq cents personnes se sont inscrites au Symposium Siebel sur la gestion de la relation client fin octobre à Paris. Après le passage des ERP, les entreprises ont appris à dégager les budgets nécessaires. Il y eut d’abord les “early adopters”, et maintenant les entreprises ont compris que s’équiper était une question de survie. Auprès des forces de vente terrain, c’est la notion bien connue en négociation de win-win qui compte. Il faut faire “monter en puissance” les personnes des ventes et du marketing. Pour accompagner les déploiements, nous organisons des formations à l’utilisation de la solution, par exemple à la demande sur le PC. Le vendeur n’est plus le seul interlocuteur du client. Aujourd’hui, 99,5 % des entreprises sont multi-canaux. C’est pourquoi d’îles éparses d’information, nous passons à l’idée du besoin d’une database unifiée, reliant back office et front office. Le customer relationship management (le CRM) n’est qu’une petite pièce du puzzle, la notion de front office est réellement plus large, c’est un point de vue étendu qui inclut les partenaires, les clients. Ce qui est tout nouveau, c’est l’utilisation d’internet. Voici un exemple parlant chez la société de bourse Charles Schwab (Charles Schwab est aussi un des dirigeants de Siebel, NDLR) : presque deux tiers des passations d’ordres se passent à présent via le réseau internet. Le slogan est devenu : “click and order”. Mais 95 % des clients utilisent les trois canaux à leur disposition. C’est juste qu’après la première visite, les clients deviennent indépendants. Il faut manager tous les points de contacts. Philippe Clapin, consultant spécialiste des centres d’appels et du secteur des biens industriels au sein du cabinet Orgaconseil. “La relation client a toujours été partagée. Le centre d’appels peut être vécu comme un nouveau canal de commercialisation potentiel, une concurrence. Mais s’il est limité aux missions de service client et d’avant-vente, il est une source d’information pour la force de vente, et lui permet au contraire d’exploiter de l’information client.” C’est vrai, il existe des résistances à l’intégration des nouvelles technologies par les forces de vente. Les centres d’appels peuvent être amenés à piloter l’activité des forces de vente, ce qui diminue l’autonomie de celles-ci. Les vendeurs peuvent être rebutés par le fait de donner des informations client, de faire du reporting d’activité. L’informatisation change le comportement et les compétences d’équipes jusque-là autonomes et peu informatisées. Potentiellement, cela peut constituer un outil de contrôle et de dépossession. Si les vendeurs n’ont pas envie de s’y plier, ils peuvent le faire, car leur activité est beaucoup moins structurante. L’informatisation doit être bien expliquée, par quelqu’un de légitime. Surtout, il faut impliquer les vendeurs, trouver les finalités qui motivent, expliquer le reporting par des finalités d’aide à la vente. Dans les grands groupes, un effort considérable a été réalisé. Le partage de la relation client existait déjà avec le service après-vente. Il y a toujours eu des techniciens qui rencontraient le client. C’est d’ailleurs ce dernier qui exige une vision consolidée de l’information. La question qu’il faut traiter est que les différents canaux, par exemple force de vente et centre d’appels, soient réellement complémentaires, dans le sens qu’ils génèrent un surcroît de chiffre d’affaires, et non concurrents. Cela suppose une vision claire, ciblée, et un pilotage. Si le vendeur partage l’information avec le centre d’appels ou interne, il ne peut être question du partage de la rémunération. S’il le vit comme ça, on va droit dans le mur. Il est difficile, à distance, de vendre une offre complexe et personnalisée, ou de traiter avec des clients important. Aujourd’hui, l’entreprise dispose d’une palette très large d’interventions, elle a tout intérêt à l’utiliser. Christophe Antone, agent général d’assurances, créateur du site Net Assurances, classé parmi les 50 meilleurs sites de commerce électronique par le magazine PC Expert. Auteur du livre Agents généraux, courtiers : comment vendre sur internet ? (édition L’Argus des assurances). “Nous ne sommes plus des intermédiaires, mais des "infomédiaires" d’assurances. Le net, c’est de la matière active, il faut dynamiser les sites et travailler une nouvelle logique, de nouveaux process. La valeur ajoutée du vendeur se trouve dans l’aspect conseil, dans un nouvel éclairage, une réassurance dans le choix du client.” J’ai été le premier agent général à positionner un site internet dès 1996. Depuis, il y a eu beaucoup de nouveaux arrivants, mais la majorité des sites à mon sens n’a pas bien perçu la philosophie du média ; ils ne sont pas dotés d’une organisation à l’arrière pour traiter la masse d’information captée. Contrairement aux sites statiques, j’ai conçu Net Assurances dans une logique informative et de partage via la messagerie électronique. Par la messagerie, je réalise actuellement 25 % du chiffre d’affaires annuel des nouveaux contrats auto, habitation et santé. Et le taux de progression se pose sur des niveaux de 400 à 500 %. Avec le net, il faut reformuler une partie de sa stratégie. Nous avons “explosé” notre zone de chalandise : les clients internautes ne sont pas des clients de ma zone de proximité géographique. En me portant sur le net, je me positionne en concurrent des grandes sociétés d’assurances, alors que mon agence compte deux personnes et demie. La messagerie permet des gains de productivité importants. Je traite tous les jours une vingtaine de questions en deux à trois heures. Je gère donc tout seul beaucoup plus de clients, car leurs questions sont formalisées, les clients se sont informés auparavant sur les produits et services sur internet. Mon travail en tant que vendeur est de faire de l’explication de texte. Parfois, pour signer un contrat, ne s’échangent que quatre e-mails, dans d’autres cas, il en faut trente, certains clients mêlant contacts téléphoniques et e-mails.

Ce qu’il faut retenir • Les nouvelles technologies amènent à repenser les organisations, les rendent plus transversales, moins cloisonnées, moins hiérarchiques. Mêlées à des changements de distribution ou de stratégie de marché, elles peuvent contribuer à déstabiliser les vendeurs. • Les nouvelles technologies contribuent à la redéfinition de l’acte commercial, dans lequel la relation de face à face n’est plus le mode d’échange unique, même si les notions de rencontre et d’interaction commerciale restent prépondérantes. • Les nouvelles technologies redessinent la carte des compétences des forces de vente et exigent de grosses capacités d’adaptation. Attention pour les vendeurs à ne pas dépasser la date de péremption ! • Les nouvelles technologies accélèrent le traitement de l’information. Elles ouvrent un accès beaucoup plus partagé à des informations de sources diversifiées et variées. Elles doivent permettre de dégager un meilleur profit du temps passé face au client.

 
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Propos recueillis par Sylvie Brouillet

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