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Se lancer dans l'e-commerce sans braquer ses revendeurs

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Vous vendez vos produits en mode indirect via un réseau de distribution externe. Mais vous avez envie, dans le même temps, d'ouvrir un site d'e-commerce pour vous adresser, en direct cette fois, à vos clients finaux. Attention aux conflits potentiels que cette initiative peut engendrer.

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Me Jean-Marie Léger, est associé du cabinet Avens Lehman & Associés, spécialisé en droit des affaires Avens, 67, bd Haussmann 75008 Paris. www.avens.fr

Me Jean-Marie Léger, est associé du cabinet Avens Lehman & Associés, spécialisé en droit des affaires Avens, 67, bd Haussmann 75008 Paris. www.avens.fr

A l'heure où le commerce électronique connaît un essor constant, de nombreux industriels, qui ont fondé leur modèle commercial sur l'indirect en passant par un réseau de revendeurs, sont démangés par l'envie de créer leur propre site de vente en ligne. Mais, en se lançant dans l'e-commerce, ils risquent de faire de l'ombre aux partenaires à qui ils ont délégué la vente de leurs produits... Même s'il ne s'agit, pour ces fournisseurs, que de développer un canal complémentaire de vente via Internet, sans pour autant cesser de travailler avec ces distributeurs, cette action peut être ressentie comme hostile par ces derniers.

Ce choix, hautement stratégique, est même susceptible d'être contrarié par le droit de la concurrence. La première question est donc de savoir si l'industriel peut se réserver les ventes via Internet?

Premier élément de réponse: les juges opèrent un contrôle très strict des motifs d'interdiction de l'e-commerce avancés par le promoteur du réseau (Conseil de la concurrence, 8 mars 2007). Mais sans chercher à remettre en cause son réseau de distribution, l'industriel peut souhaiter se réserver Internet ou mettre en place un site unique au profit du réseau. Le premier cas est un pari risqué au regard des dernières évolutions du droit de la concurrence. La Commission européenne a rappelé clairement que «dans tous les cas, le fournisseur ne peut se réserver les ventes ou la publicité sur Internet». Toutefois, le fournisseur est fondé, pour maintenir une certaine image de qualité, à réserver la vente par Internet aux membres du réseau qui disposent d'ores et déjà d'un point de vente physique (Cour d'appel de Paris, 16 octobre 2007). Cette marge de manoeuvre réduite amène donc le fournisseur à réfléchir à la mise en place d'un site unique de vente en ligne au profit du réseau auquel il associerait tous les distributeurs.

Autre question: un industriel peut-il interdire à son réseau de distribution physique toute commercialisation via le Web? A cela la Commission européenne précise que «chaque distributeur doit être libre de recourir à Internet pour faire de la publicité ou vendre ses produits».

Là encore, en optant pour la mise en place d'un site unique de vente en ligne au profit du réseau, un industriel peut détourner l'interdiction qui lui est faite d'empêcher ses revendeurs de se positionner sur le Web. L'accord de distribution peut alors servir à organiser une collaboration efficace entre tous les participants d'un même réseau, par exemple en prévoyant une répartition géographique des commandes passées via Internet, ou bien un intéressement financier aux recettes issues de la vente en ligne, ou encore en constituant une plateforme de vente en ligne à laquelle chaque distributeur pourrait transmettre ses offres de vente. Ainsi, le fournisseur conserve une réelle maîtrise de sa politique commerciale en évitant un éparpillement des offres électroniques, tout en développant la coopération commerciale au sein du réseau.

En tout état de cause, il est clair qu'il n'est pas possible pour le fournisseur d'interdire catégoriquement à ses distributeurs le recours à Internet au seul motif que cette technique de vente serait incompatible avec l'image de marque du réseau. Une interdiction absolue serait analysée comme une restriction de concurrence caractérisée.

Néanmoins, le fournisseur peut exclure contractuellement le recours à l'e-commerce pour lui-même et son réseau, s'il apporte des «justifications objectives» à l'interdiction de vente en ligne. Il pourrait ainsi se fonder sur les spécificités du réseau, en démontrant que l'e-commerce n'offrirait pas aux clients finaux un service approprié eu égard à la nature des produits distribués. Par exemple, l'extrême technicité ou encore la dangerosité potentielle des produits peut impliquer un contact personnel direct avec les clients, permettant une démonstration réelle de leurs modes d'utilisation, adaptée au niveau de compétences de chaque client. Ce qui interdit donc toute vente dématérialisée. Les produits cosmétiques et de parfumerie, lesquels supposent une appréhension tactile ou olfactive par le client, peuvent ainsi, de la même manière, être exclus de la vente en ligne.

Le succès de la création d'un canal de distribution par Internet repose donc, avant tout, sur le volontarisme. En prenant l'initiative de la création du site marchand et en contractualisant l'usage d'Internet, le fournisseur peut contrôler les conditions de commercialisation en ligne par les distributeurs. L'homogénéité au sein du réseau a donc toutes les chances d'être garantie. A l'inverse, le «silence contractuel» peut conduire à une certaine anarchie, source de discriminations.

En définitive, la solution, qui ne peut être d'interdire purement et simplement la vente par Internet à ses distributeurs, réside sans doute dans la participation et l'intéressement du réseau au développement de l'e-commerce dans une logique gagnant-gagnant: une vieille recette qui a fait ses preuves.

Et dans le cas d'un système de franchise?

La Cour de cassation, par une décision du 14 mars 2006, a admis qu'un franchiseur pouvait, sans violer la clause d'exclusivité territoriale accordée à son franchisé, ouvrir un site de commerce en ligne. La Cour a, en effet, considéré que la création d'un site internet n'était pas assimilable à l'implantation d'un point de vente dans le secteur protégé. En pratique, il faudra toutefois veiller à ce que les communications commerciales du site n'atteignent pas spécialement les clients situés dans la zone exclusive d'un des distributeurs.

Par Jean-Marie Léger, avocat, et Charles Voulot, juriste

 
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Jean-Marie Léger, Charles Voulot

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