Tolérance zéro face à la faute grave de l'agent commercial?
Les montants substantiels pouvant être alloués aux agents commerciaux, au titre de l'indemnité de fin de contrat, incitent de plus en plus les mandants à rechercher la faute grave de leurs agents, privative d'indemnité. Les mandants doivent toutefois faire preuve de vigilance, la moindre tolérance de leur part faisant perdre à la faute sa gravité...
Je m'abonne1. L'agent commercial: un statut protecteur
A côté des commerciaux, salariés de l'entreprise, un directeur commercial peut recourir à des agents commerciaux. Ces derniers, définis comme des mandataires, sont «chargés, de façon permanente, de négocier et, éventuellement de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestations de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels ou de commerçants». Ces intermédiaires indépendants bénéficient d'un statut légal très protecteur, dont en particulier un droit à percevoir une indemnité en cas de rupture de leur contrat par le mandant.
La charge financière liée à cette indemnité peut s'avérer très lourde pour l'entreprise mandante, a fortiori lorsque son paiement n'a pas été anticipé. En cas de contentieux, son montant est en effet généralement fixé par les juges à deux ans de commissions de l'agent calculés sur la base des trois dernières années.
2. La faute grave de l'agent commercial: un recours difficile
Les mandants sont donc souvent enclins à rechercher la faute grave de leurs agents, laquelle est de nature à priver ces derniers de leur droit indemnitaire par application des dispositions du code de commerce: «La réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants: 1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial [ ...]».
Ces stratégies reçoivent toutefois un accueil peu favorable des juges, qui interprètent strictement la notion de faute grave: elle est celle «qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel». Ainsi, ne commet pas de faute grave l'agent qui ne réalise pas les objectifs commerciaux contractuels ou qui n'envoie pas régulièrement ses rapports d'activité en violation du contrat. La faute grave n'est généralement retenue que dans les cas limités où l'agent commercial représente des produits concurrents sans l'accord du mandant ou refuse d'appliquer les méthodes de vente du mandant. Et encore, l'attitude plus ou moins conciliante adoptée par le mandant à l'égard de son agent, avant ou après la commission de la faute grave, sera scrupuleusement appréciée par le juge.
Les tribunaux recherchent, en effet, si l'absence de tout reproche ou de mise en garde formulés par le mandant à son agent commercial concernant son comportement pendant l'exécution du contrat n'est pas de nature à avoir une incidence sur la gravité des manquements allégués.
3. Trois décisions de justice décryptées
1- Dans la première affaire (Cour de cassation, chambre commerciale, 10 mai 2011, pourvoi n° 10-17.952), un mandant opérant dans le secteur des télécoms contestait devoir une indemnité de cessation de contrat à son agent en raison de la prétendue faute grave de ce dernier.
Le juge a rejeté ses prétentions, reprochant au mandant de ne pas avoir considéré en cours de contrat les manquements de son agent comme constitutifs d'une faute grave, puisque si le mandant «avait initialement dénoncé le comportement non tolérable de certains membres de la société de son agent lors de démarchages à domicile effectuées en son nom et pour son compte, et demandé qu'il soit mis fin à leurs pratiques illicites. Il n'avait plus reproché ensuite aucun manquement de cet ordre à la société de son agent et lui avait même remis un trophée avant de conclure avec elle un nouveau contrat trois mois avant la rupture».
2- Dans la deuxième affaire (Cour de cassation, chambre commerciale, 3 mai 2012, pourvoi n° 11-17.312), un agent commercial exerçait pour le compte de son mandant, grossiste et entrepositaire de boissons, une activité de représentation de boissons alcoolisées et non alcoolisées auprès d'une clientèle de cafés, hôtels et restaurants.
En mai 2007, le mandant avait reproché à son agent d'avoir détourné sa clientèle en créant une société exerçant une activité identique à la sienne auprès de ses clients. En août 2009, le mandant avait mis fin au contrat pour faute grave de son agent.
Pour autant, le mandant est condamné à payer à l'agent une indemnité de fin de contrat. Les juges retiennent en effet que, d'une part, le mandant avait «poursuivi leur relation commerciale jusqu'[en août 2009], nonobstant les griefs adressés par lettre du 2 mai 2007». D'autre part, dans cette même lettre, il avait «noté [le] désir apparent de [son agent] d'améliorer leurs relations et de reprendre une collaboration qui, dès le départ, était apparemment positive». Et de conclure que le mandant ne pouvait dès lors «reprocher, en 2009, à son agent commercial une faute grave constituée en toute son étendue et en toutes ses composantes dès 2007».
3- Dans la troisième affaire (Cour d'appel de Paris, 7 juin 2012, RG n°11/12179), un agent commercial représentait depuis 2003 son mandant, fabricant de chaussures, dans la région Rhône-Alpes.
En début d'année 2010, le mandant avait rompu son contrat pour fautes graves de l'agent, aux motifs que le chiffre d'affaires propre au territoire concédé avait chuté de près de 50 % entre 2004 et 2009 et qu'il avait perdu de nombreux clients, en l'occurrence plus de 85 % de ceux qui étaient attachés audit territoire.
Les juges condamnent toutefois le mandant à régler une indemnité de fin de contrat à l'agent. Ils relèvent notamment que «les relations entre les parties étaient manifestement bonnes en 2008, à une époque où pourtant le chiffre d'affaires était au plus bas. En effet, dans un e-mail du 11 janvier 2008 le [mandant] remerciait [l'agent] de son _investissement derrière la marque' ».
Ces décisions font ainsi apparaître que la moindre tolérance du mandant face à la faute grave de son agent commercial l'empêchera de l'invoquer ultérieurement. D'où la nécessité pour les mandants d'identifier sans délai les fautes graves de leurs agents, puis de prendre très rapidement les mesures qui s'imposent (sanction, rupture du contrat...). L'agent commercial aura de son côté tout intérêt à se prévaloir des silences de son mandant. Misons ainsi que chaque partie sera suffisamment vigilante pour sauver... sa mise.
D'où la nécessité pour les mandants, dans un premier temps, d'identifier les comportements de leurs agents revêtant véritablement le caractère de faute grave au sens de la jurisprudence, dans un second temps, de prendre très rapidement la décision idoine face à de tels comportements.
@ IDAL - PHILIPPE BESNARD
@ IDAL - PHILIPPE BESNARD
Les experts
Me Daniel Rota et Me Régis Pihery, avocats au cabinet Fidal, conseillent et défendent les entreprises dans le cadre de leurs contentieux commerciaux. Ils interviennent plus particulièrement en droit économique (droits de la distribution, des contrats, de la concurrence et de la consommation).