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Une force de vente à double visage

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Face au double objectif de conquête et de fidélisation, des sociétés spécialisent des équipes de vente sur l’une ou l’autre de ces missions. Quel est l’intérêt de cette distinction, son fonctionnement, le profil et le mode de rémunération des chasseurs ? Acteurs et conseils livrent les faits et leur sentiment.

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Patrick de Roux, directeur du développement et de la communication de VediorBis “Pour gagner des parts de marché, nous avons recruté des commerciaux et les avons chargés de la prospection. Actuellement au nombre de 291, ces délégués commerciaux dépendent des directeurs régionaux. Et les chefs de nos 632 agences assurent l’entretien et le développement de la nouvelle clientèle. “ Nous sommes très satisfaits de notre organisation commerciale. Nous voulons recruter encore cent prospecteurs, surtout sur l’Île-de-France où se situent les centres de décision. À terme, l’effectif sera de 400 délégués commerciaux, des prospecteurs. Responsables d’une zone géographique, ils travaillent pour une ou plusieurs agences, et dépendent de chefs de vente et des trente-deux directeurs régionaux. Ils pratiquent le métier de la vente pur et dur. Leur travail va jusqu’à la signature du contrat, avant que le directeur d’agence ne prenne le relais. Ils sont en contact permanent avec celui-ci. Leur salaire fixe va de 9 000 à 13 000 F par an, sur treize mois, et la partie variable se monte à 20 %, sur des critères de chiffre d’affaires dégagé et de marge. Alors que la rémunération du directeur d’agence va de 12 000 à 21 000 F sur treize mois, avec une part variable de 20 % ; ils disposent aussi d’une voiture. En terme d’évolution, les délégués commerciaux peuvent devenir des chefs des ventes, puis des directeurs régionaux, ou des chefs d’agence. Dans leur portfolio, les prospecteurs ont également nos sociétés d’intérim spécialisées, sur le médical ou l’informatique. Si les besoins existent, ils transmettent l’information. Ces sociétés n’ont pour l’instant pas ce type d’organisation de vente, car leurs structures sont plus légères. Nous souhaitons des profilsbac + 4, de type écoles de commerce, avec une première expérience. Sur le forum de recrutement “coup de poing” que nous avons mené en 1998 sur Paris, Lyon, Marseille et Toulouse, le bilan est de 150 nouveaux entrants. Nous mènerons une nouvelle opération en 1999. L’entreprise a développé dix-neuf centres de recrutement en France et trois sont en cours d’ouverture. Les candidats sont intéressés par un marché qui se développe, un projet d’entreprise. En 1998, nous avons cru de 28. Les commerciaux sont contents, il y a du chiffre d’affaires à faire. Nous allons ouvrir cinquante nouvelles agences en 1999, tout en continuant à racheter des sociétés. Érick Bacrie,directeur de la télévente à l’ODA “Nous avons un objectif d’acquisition de 55 000 nouveaux clients cette année. Nous mettons à la prospection, sur des fichiers qualifiés, les nouveaux embauchés. Ils y font leurs preuves avant de passer au renouvellement de contrats. Pour consolider les effectifs commerciaux, nous ne recrutons plus qu’à la télévente, et plus précisément encore à la prospection.“ Au début de sa création, la télévente était destinée au renouvellement des contrats. Un jour on a testé la prospection. Tout de suite, nous l’avons séparée, sur tous les sites : c’est très difficile de faire courir un vendeur sur les deux objectifs, sans qu’il fasse un choix au détriment de l’un ou de l’autre. Actuellement, nous avons trois niveaux différents à la télévente : les prospecteurs, les télévendeurs chargés du renouvellement, et les Masters. En 1999, nous avons pour objectif de gagner 55 000 nouveaux clients. Pour remplir l’objectif d’acquisition, nous disposons de 200 télévendeurs, et 70 d’entre eux, chargés du renouvellement, contactent 180 000 clients. Le plus difficile, c’est la prospection : l’objectif est important, d’autant que deux tiers sont d’anciens prospects. Leurs chiffres ne sont pas du tout les mêmes. Tous les jours, en prospection, il faut contacter vingt à vingt-cinq prospects pour faire deux ventes. En renouvellement, ils font onze clients par jour et ce sont des clients au budget plus élevé. Il y a aussi une différence de rémunération : les téléprospecteurs gagnent 13 000 à 14 000 F en moyenne, contre 16 000 à 17 000 F pour ceux qui s’adressent aux clients. La prospection est la première école de la vente. Les nouveaux font ainsi leurs armes, pour persuader les prospects, qui sont des professionnels. Ils doivent faire vibrer les clients, développer une argumentation solide, et donc appliquer la bonne démarche commerciale. La période d’essai de deux mois, renouvelable s’il le faut, nous donne le temps nécessaire pour évaluer le télévendeur. La dose d’échec est de 50 %. Par la suite, les meilleurs prospecteurs gardent les meilleurs résultats lorsqu’ils passent au renouvellement. Le nouveau poste de Masters, créé il y a un an, s’adresse à une tranche de clientèle d’un niveau supérieur. Avec six clients par jour, le CA de ces trente commerciaux est trois fois plus élevé. Michelle Bergadaa, professeur à l’Essec et à l’Université de Genève, directrice de la chaire Vente et Stratégies marketing de l’Essec “Les qualités de chasseur et d’éleveur sont à mon sens des qualités presque incompatibles. Nous sommes dans une période de transition, entre la vente classique, aux effectifs typiques de bac +2 où le bon vendeur est celui qui sait gagner de nouveaux clients, et la vente conseil, privilégiant la fidélisation, le travail en équipe. “ Les tempéraments pour réussir ces missions ne sont absolument pas les mêmes. Le “cultivateur” doit présenter un tempérament à bâtir une relation sur le long terme, à construire des réseaux, il doit avoir envie de travailler en équipe. Alors que les “anciens” vendeurs se sentaient propriétaires de leurs clients. Le “cultivateur” a une formation plus généraliste. Le prospecteur attend, lui, une récompense immédiate, le délai de gratification est nécessairement très court. Une telle organisation de vente peut tout à fait correspondre aux cycles de vie des vendeurs. À 20 ou 30 ans, un vendeur n’a pas les mêmes motivations et objectifs. Lorsqu’il a pris un emprunt pour sa maison, où qu’il a des enfants, il recherche davantage une rémunération fixe, régulière. Qui correspond mieux à un profil conseil, éleveur. Mais les “gestionnaires de comptes” arrêtent, à mon sens, d’être des commerciaux. Le besoin de fidéliser ne suffit pas. L’entreprise retrouve une part de pro-action, d’agressivité. Je trouve que c’est très bien de revenir au métier d’origine, assez pur, à l’envie de prendre des risques. A priori, une telle organisation fonctionne assez bien. Mais l’entreprise n’en a pas besoin dans la vente de produits bruts. En revanche, dans le cas de l’ajout de services, cela peut s’avérer utile. Les progrès des systèmes d’information rendent cela possible. Il faut que la communication se fasse en flux continu. René Moulinier, conseil et formateur en développement et direction commerciale “Je n’ai jamais vu d’organisations véritablement performantes où les deux activités, de prospection et d’entretien de la clientèle, étaient séparées.” Pour moi, la question de la séparation de la chasse et de l’élevage n’a même pas à être posée. Partons d’abord du client. Que va-t-il se passer ? Le client trouve l’offre du vendeur intéressante, il lui accorde sa confiance, et au moment de la signature, le chasseur disparaît dans la trappe et voilà un éleveur qui arrive au-devant de la scène. Le client va alors se demander si les promesses du chasseur seront bien tenues comme prévu. Maintenant, partons des commerciaux eux-mêmes. La vente est un métier complet, qui comprend nécessairement de l’entretien de clientèle et de la création de nouveaux clients. Pourquoi priverait-on un commercial d’une partie de son activité ? Bien sûr, la chasse et l’élevage correspondent à deux tempéraments différents. Mais avec de solides formations, il est tout à fait possible d’amener chacun à progresser sur ses points faibles. Si un vendeur d’un tempérament d’éleveur répugne à faire de la prospection, c’est surtout parce qu’il ne sait pas comment s’y prendre ou parce qu’il a peur de sauter le pas. Sur le plan du recrutement, on va demander à celui qui sera destiné plus particulièrement à de la chasse de ne pas être trop timide, d’avoir un numéro de présentation au point, d’être particulièrement professionnel, d’être très séduisant. À l’éleveur, on ne demandera certainement pas d’être terne. Comme pour le chasseur, il devra savoir conclure ou avoir une relation cordiale avec la clientèle. Les deux profils font ainsi appel aux mêmes traits de personnalité. La grande règle aujourd’hui en terme de management, c’est que chacun soit capable de coopérer avec son entourage proche, et qu’il fasse preuve de polyvalence. Adopter une organisation commerciale double, c’est faire tout le contraire. Pascal Minella, spécialisé dans le marketing et commercial, associé d’Eurogroup, le pôle conseil de Mazars “Désormais, on s’attache aux compétences collectives et non individuelles. Même s’il y a nettement un caractère ou un comportement de chasseur et d’éleveur, je ne crois pas qu’il s’agisse d’une tendance organisationnelle aujourd’hui de monter une double structure commerciale.” Sans hésitation, il y a clairement des tempéraments de chasseurs et d’éleveurs dans les populations commerciales. Le chasseur perce les carapaces. Il se focalise sur son résultat à court terme, il est plus préoccupé par lui-même que par son entreprise. L’éleveur, pour sa part, s’inquiète beaucoup plus du client. Il travaille avec une très bonne compréhension de la culture de son entreprise. Cependant, si ces différences se constatent au niveau de l’individu, je n’ai que très rarement, dans mon activité de conseil, rencontré des entreprises avec une organisation commerciale basée sur ces deux types de comportement. Je ne suis d’ailleurs pas totalement d’accord avec cette idée de diviser les fonctions. Déjà à cause de la création d’une entité dédiée spécifiquement à de la prospection. Car les commerciaux qui la composent doivent avoir une vision tronquée du marché. Pour que le commercial terrain puisse exercer son arbitrage, il doit disposer d’informations. D’ailleurs cela devrait être le cas pour tous les commerciaux : tous doivent être en mesure de recevoir et de remonter de l’information. Aujourd’hui, au niveau global de l’entreprise, la tendance repose sur une dynamique collective. Ce sont les compétences collectives, et non individuelles qui comptent. Monter une organisation double ne va pas dans ce sens. De plus, l’approche de la vente a changé : elle est beaucoup plus relationnelle qu’auparavant. Le contact avec le client se fait dans la douceur. D’ailleurs, la grande tendance de fond dans les forces commerciales, c’est de renforcer le support de vente. Françoise Daut, directrice qualité et satisfaction clients d’IBM France “Nous travaillons en réseau, en mode transversal. Certains ingénieurs commerciaux gèrent la relation globale au client, d’autres prennent en charge les affaires identifiées. Vu notre organisation, l’esprit d’équipe est primordial.” Aujourd’hui, nous ne fonctionnons plus selon un mode hiérarchique. Aucun patron de business, aucun directeur commercial ne peut revendiquer seul ses résultats.Ce que nous demandons avant tout à nos collaborateurs, c’est d’être de vrais spécialistes des produits et d’apprendre également à gérer la relation. Auparavant, quand il y avait encore une organisation hiérarchique, le directeur d’agence disposait de nombreuses ressources mais ne les utilisait pas forcément. Aujourd’hui, c’est différent. Car nous travaillons en réseau, en mode transversal. Les commerciaux, comme les autres salariés, ont un manager hiérarchique, un coach, qui applique les processus de la société et qui gère les carrières. Cependant, tout le monde manage le même business. La prospection auprès des clients d’IBM passe par de nombreux canaux : la télévente, les campagnes marketing, et, pour les grands comptes, par des ingénieurs commerciaux. C’est au niveau de la relation avec les grands clients que l’on voit la différence de traitement par rapport à une structure hiérarchique. Ainsi, certains ingénieurs commerciaux, les “relationship managers”, font le lien entre le client et l’ensemble de l’offre IBM : ils s’occupent de la relation globale avec le client.Ils sont ainsi chargés de connaître ses enjeux et ses attentes. Et lorsque ces “relationship managers” identifient des affaires, ils nomment d’autres ingénieurs commerciaux, les “opportunity owners”, qui mènent le projet complet. Les “relationship managers” sont intéressés au revenu global du client et à sa satisfaction. Les “opportunity owners”, ceux qui signent l’affaire, sont intéressés à leur propre business. Pour tous ces ingénieurs commerciaux, les qualités requises restent les mêmes : l’esprit d’équipe, qui est la base même de l’adaptabilité, le leadership, ou encore la passion du business. Notre organisation en réseau ne peut cependant fonctionner que dans le cadre d’outils de partage des données. Car la relation globale au client, ses enjeux mais aussi ses attentes, doivent être partagés avec les différents “opportunity owners.

Ce qu’il faut retenir -Il est difficile d’allier chez un même vendeur de grandes capacités de conquête et de soutien de la relation client dans la durée. Que ce soit pour des raisons d’aptitudes du vendeur, ou d’objectif commercial très marqué. La distinction “ chasseurs-éleveurs “ à l’intérieur d’équipes commerciales existe dans plusieurs secteurs, essentiellement en vente aux entreprises. En grand public, en particulier dans des systèmes d’abonnement (téléphonie, câble...), c’est le service clientèle qui joue le rôle de fidélisation. -Le métier de prospecteur est difficile. C’est pourtant bien souvent la première épreuve à franchir pour un nouveau vendeur, avant qu’il n’évolue vers d’autres responsabilités. -Le relais entre le prospecteur et l’éleveur se fait après la première signature. Le passage doit être très clairement présenté au client. -Cette organisation de double compétence suppose l’existence d’un système d’information partagé, sur lequel le critère d’entrée est le client.

 
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Propos recueillis par Laure Deschamps et Sylvie Brouillet

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