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DossierLa fonction commerciale à l'épreuve du droit

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1 - Le commercial sous contrainte réglementaire

Quels que soient leur secteur d'activité et leur taille, les entreprises sont soumises à des contraintes légales de plus en plus fortes en matière de négociation et de contractualisation. Ce qui peut rallonger le closing, mais sécurise aussi la transaction.

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Chaque année, c'est le même rituel : les industriels qui travaillent avec la grande distribution se lancent dans un marathon de pourparlers. Les fameuses négociations commerciales annuelles démarrent à l'automne lorsque les fournisseurs envoient leurs Conditions générales de vente aux distributeurs, et elles doivent s'achever le 1er mars.

Au menu : des allers-retours de contrats entre juristes des deux bords, le réexamen de clauses sensibles telles que la révision du prix, la logistique... et un feuilleton très médiatique où chacun y va de son commentaire sur l'âpreté de tel ou tel acteur et la dureté de la situation comparé à l'année précédente.

Cette année, la loi Egalim 2, promulguée le 19 octobre 2021 et qui entend rééquilibrer les relations commerciales dans l'agro-alimentaire, était au centre des commentaires : quel impact sur le revenu des agriculteurs ? Quelle complexité pour les négociateurs ?

Dans les faits, les négociations commerciales sont anticipées de longs mois à l'avance par les industriels concernés, issus ou pas de l'agro-alimentaire. Les commerciaux travaillent de concert avec les logisticiens et les juristes pour bâtir des propositions cohérentes avec leur typologie de produits et les attentes des distributeurs.

Chez Playmobil, Erick Billiemaz, directeur commercial, observe : « Les lois se sont succédées. Il nous faut à chaque fois réfléchir à l'adaptation des conditions générales de vente, adapter également nos conditions catégorielles de vente, former les équipes de comptes-clé qui sont amenées à lire les contrats transmis par les centrales et amender les points qu'ils estiment ne pas être en adéquation avec la nouvelle législation et nos CGV. »

Contrats plus longs

Le fabricant de jouets explique ainsi que chaque contrat client annuel est lu et analysé par l'expert interne concerné, par exemple le directeur financier pour les éléments financiers ou le directeur des opérations pour la logistique, et les amendements sont centralisés et mis en forme par la direction commerciale. « Lorsque nous avons des doutes ou une incompréhension sur un contrat nous avons la possibilité d'avoir l'appui d'un cabinet juridique extérieur », précise Erick Billiemaz.

Chez Bic France, une direction commerciale spécifique à la grande distribution existe, aux côtés d'une direction commerciale dédiée au B to B et aux enseignes pour professionnels. « Nos collègues côté grande distribution sont habitués depuis de nombreuses années à la montée en puissance du droit dans les relations commerciales, observe Philippe Surun, directeur des ventes B to B. Cette tendance a gagné peu à peu les ventes en B to B, elle se traduit notamment par des contrats plus denses et complexes, dont la pagination s'est considérablement étoffée comparé à il y a 5 ou 6 ans, et des consultations auprès de notre service juridique qui se sont généralisées. »

Même constat sur l'importance grandissante du droit, de la part de Raja, spécialiste de l'emballage et des fournitures pour les professionnels, qui nuance cependant selon le profil de l'entreprise cliente : « Plus l'entreprise est grosse et structurée, et plus elle va insérer des clauses particulières qui vont donner lieu à des allers-retours de contrats entre services juridiques des deux bords, observe Henri Serre, directeur commercial grands comptes de Raja. Par ailleurs, je constate une augmentation significative des Non Disclosure Agreements, ou accords de non-divulgation qui nous sont soumis par les entreprises de taille intermédiaire ou importante, avant même de recevoir le cahier des charges et avant tout contact avec le prospect pour connaître son besoin. Il y a un an, je signais un NDA par mois, et je suis passé à 10 par mois actuellement ».

Juristes partenaires

Par le biais de ces NDA de plus en plus répandus, les prospects demandent à leur fournisseur potentiel de s'engager à ne pas communiquer des informations telles que le contenu du cahier des charges pendant une durée qui peut aller jusqu'à 3 ou 5 ans.

Ces documents de plusieurs pages, souvent rédigés en anglais (car faisant partie d'une politique juridique mondiale) sont alors décortiqués par les juristes (internes ou externes) des fournisseurs. L'éditeur Lexis Nexis, spécialiste des solutions informatique de droit, constate ainsi l'importance croissante des juristes en tant que conseillers auprès des commerciaux : « Les juristes sont devenus des business partners, qui travaillent de manière transversale avec leurs collègues de l'IT, du marketing, des ventes, etc. Pour la fonction commerciale, c'est un progrès car le fait d'avoir des relations contractuelles très claires dès le départ, parce qu'on a investi du temps et de l'intelligence humaine dans ce cadre, permet de s'éviter beaucoup de contentieux pour la suite », estime Sébastien Bardou, directeur de la stratégie chez Lexis Nexis.

Notamment, les contrats anticipent les différends et leur règlement, par exemple, en prévoyant le recours à une médiation avant d'en passer par le tribunal.

Enfin, la crise sanitaire de ces deux dernières années semble avoir intensifié la prudence juridique dans les relations commerciales. « La pandémie a donné lieu à des discussions nouvelles, notamment concernant les clauses de force majeure qui figurent dans les contrats », observe Sébastien Bardou. Par ailleurs, Matthieu Hallaire, directeur commercial de Lexis Nexis, relève : « On constate également une importance croissante de la « compliance » au sein des relations commerciales, le fait que l'entreprise soit conforme vis-à-vis de questions environnementales, sociétales, etc ». Cette « compliance » devient même un levier de business.

Ce que disent les lois

- RGPD : le Règlement Général sur la Protection des Données date du 27 avril 2016 et protège l'utilisation des données personnelles. Les services marketing sont concernés au premier plan car ils mènent des campagnes en brassant des contacts, mais également les services commerciaux par le biais des données enregistrées dans leur CRM.

- Loi Sapin 2 : cette loi du 9 décembre 2016 est relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Elle instaure la prévention et la détection de la corruption et du trafic d'influence, crée une Agence française anticorruption et un système de lanceurs d'alerte. Sont concernées les entreprises de plus de 500 salariés, dont le chiffre d'affaires est supérieur à 100 millions d'euros,

- Loi Egalim 2 : la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire date du 19 octobre 2021. Elle vise notamment à protéger les revenus des agriculteurs.

- Loi sur le devoir de vigilance : datant du 27 mars 2017, elle s'applique aux entreprises qui emploient plus de 5 000 salariés en France ou plus de 10 000 en France et à l'étranger. Elle oblige à produire dans le respect des droits humains et de l'environnement.

Olga Stancevic

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