Comment partager l'information avec le marketing?
Sur le terrain, les vendeurs recueillent des informations clients ou concurrents. Peu partagées, ces données intéressent pourtant au plus haut point le marketing. La solution? Mettre en place des outils de CRM et des rendez-vous entre ces deux équipes.
Je m'abonneIl y a encore trois ans, la société Devoteam était confrontée à ce fameux adage selon lequel les cordonniers sont les plus mal chaussés! En effet, alors à la pointe en matière de conseils informatiques en entreprise, la SSII était confrontée au douloureux problème du partage d'information entre ses commerciaux et le service marketing. «L'information n'a pas naturellement tendance à circuler entre ces deux services, confie Pascal de Nervo, directeur marketing au sein de Devoteam. Non par méfiance, mais tout simplement parce que les commerciaux ne partagent pas les mêmes objectifs que le marketing: leur principale tâche reste la vente et ils ne voient pas toujours quel est leur intérêt de collaborer avec le service marketing.» C'est pourquoi la société a décidé de procéder à la refonte de sa solution de gestion de la relation client [CRM]. Alors qu'auparavant les bases clients étaient installées sur les PC des vendeurs, sans aucune communication réseau, Devoteam a opté pour une solution de l'éditeur Selligent permettant une consultation des informations par tous. Dès lors, le marketing peut accéder aux informations clients et prospects enregistrées sur les ordinateurs des commerciaux.
Pascal de Nervo, directeur marketing au sein de Devoteam
«L'information ne circule pas naturellement entre nos deux services.»
Les solutions CRM, un passage obligé
Les applications de gestion de la relation client tiennent une place prépondérante dans le partage de l'information, notamment parce qu'elles permettent d'automatiser cet échange et de créer des flux constants de remontée d'information de part et d'autre. «A la suite des échecs de projets globaux en matière de CRM à la fin des années quatre-vingt-dix, les entreprises ont peu à peu opté pour des projets fractionnés par module, l'un concernant les commerciaux, un autre le marketing, un troisième le service clients... Ce qui ne favorise pas une bonne communication entre les différents services», juge Raphaël Benoliel, directeur du pôle CRM de la SSII Business Décision. Conséquence immédiate, l'organisation commerciale n'était plus pensée comme faisant partie d'un tout. Toutefois, depuis un an ou deux, les projets sont moins cloisonnés. Pour Bruno Boussion, directeur général de Selligent, «il n'est plus possible de penser l'organisation commerciale sans prendre en compte les autres services de l'entreprise, et notamment le marketing». Celui-ci est en effet appelé à travailler de plus en plus conjointement avec les commerciaux, aussi bien pour la qualification de leads que pour des actions de fidélisation client. Dès lors, un projet CRM doit être mis en place avec des groupes de travail réunissant les deux services. «D'un côté, les commerciaux doivent expliquer le type d'information qu'ils peuvent remonter, de l'autre, le service marketing précise ses besoins pour qu'en retour, il puisse proposer aux vendeurs des leads qualifiés», précise Nicole Berger, directeur de projet CRM au sein du cabinet de conseil Accoval. Sur le plan technique, créer des passerelles entre des modules de SFA [Sales Force Automation] et de marketing permet aux marketeurs d'aller chercher eux-mêmes l'information. Les commerciaux n'ont donc pas l'impression de travailler pour le marketing, ce qui évite toute friction.
Pour autant, il est tout de même nécessaire de jouer cartes sur table avec votre force de vente. Et ne pas lui cacher que le marketing peut avoir accès à ses bases de données... «Il faut responsabiliser les commerciaux et leur expliquer pourquoi ils doivent recueillir des informations», précise Xavier Gazay, consultant CRM chez Accenture. La tâche n'est pas aisée car le bénéfice de leurs efforts n'est pas visible immédiatement. En effet, entre le moment où le commercial entre une information dans un outil CRM et celui où le marketing lance des opérations pour ensuite faire remonter des leads qualifiés aux commerciaux, il peut s'écouler entre six et huit mois! De quoi décourager les vendeurs de partager leurs données. C'est pourquoi Xavier Gazay conseille de recourir à des systèmes de commissionnement en fonction de paramètres comme «utilise ou non l'outil», «envoie de l'information ou non». Toutefois, au bout d'un moment, les entreprises souhaitent diminuer cette carotte. Au contraire, le consultant estime qu'il est toujours bon de la maintenir, quitte à l'intégrer ensuite dans les primes qualitatives comme un élément d'appréciation générale.
Les applications CRM connaissent toutefois des limites. Elles permettent effectivement un échange d'informations à condition que celles-ci puissent rentrer dans un cadre prévu à l'avance. Et c'est bien là ce qui décourage nombre de vendeurs, qui estiment perdre leur temps à remplir des tableaux. «Il faut tout mettre en oeuvre pour qu'ils aient le moins de texte possible à saisir», explique le consultant d'Accenture. L'exercice sera ainsi moins fastidieux pour eux, mais surtout cela permettra une meilleure analyse de la part du marketing. L'idée est donc de proposer une grille de questions avec quelques mots à saisir ou des cases à cocher. Une solution qui convient parfaitement pour des terminaux de type PDA.
Xavier Gazay, consultant CRM chez Accenture
«Il faut encourager financièrement les vendeurs à partager leurs données.»
Le témoignage de Edouard de Rémur, cofondateur et associé d'Oodrive, éditeur de logiciels informatiques
«Il faut encourager les échanges d'informations avec des moments de convivialité»
«50% du développement de nos produits provient des remarques de nos clients», explique Edouard de Rémur. Des remarques qui ont été remontées par les commerciaux au moyen d'une application CRM ou même de vive voix entre les différents services. Les 15 vendeurs d'Oodrive ne reçoivent pas de bonus pour transmettre ces informations pourtant essentielles. «En fait, précise Edouard de Rémur, nos commerciaux ont compris tout l'intérêt de fournir des éléments au marketing. Plus les demandes des clients seront partagées dans l'entreprise, plus les produits colleront aux besoins du marché. En retour, ils auront donc plus de facilité à vendre leur produit.» Toutefois, l'entreprise nourrit la relation entre ses deux équipes en organisant, tous les trois mois, des activités en commun, telles que des cours de cuisine, des initiations au golf ou à l'équitation. «Il est important que les équipes se connaissent, s'apprécient. De cette façon, les échanges seront d'autant plus faciles.» Et de conclure: «L'outil CRM ne saurait tout faire... les discussions autour de la machine à café sont aussi un excellent facteur de diffusion de l'information.»
Favoriser la transmission de données non structurées
Toutefois, impossible de tout prévoir. Que faire alors d'informations non structurées comme les rumeurs ou les anecdotes? Bref, le type de discussion que le CRM ne prend pas en compte et qui s'échange à la machine à café avec tout le monde, sauf avec la personne qui pourrait en avoir le plus besoin. L'intranet avec des espaces collaboratifs comme un forum, une boîte à idées, peut alors constituer un bon moyen de compléter le CRM tout en gardant une trace écrite de ces informations. C'est le choix de Proven, spécialiste de produits d'entretien, qui encourage ses 45 vendeurs à remonter des informations via un forum sur l'intranet de la société. Reste que cela n'est envisageable que pour des informations transmissibles de façon numérique. Un commercial qui récupère le document publicitaire d'un concurrent sur un présentoir ne peut le transmettre via le réseau. Il doit donc l'apporter lui-même au service marketing ou prendre le temps de le poster. «Mais, dans tous les cas, cela nécessite une forte relation humaine entre les hommes de la vente et ceux du marketing», résume Vincent Estager, dg de Proven. Toutefois, à ce niveau, si des efforts doivent être réalisés au sein de chacun des services, il revient tout de même au marketing de se rapprocher des commerciaux, notamment via des journées terrain où des membres du marketing accompagnent un vendeur chez un client. «Les salons ou les journées sur le terrain sont de bonnes occasions pour ces deux populations d'apprendre à travailler ensemble», assure le directeur général de Proven. Dans son entreprise, cet échange d'informations est d'autant plus aisé que chaque marché (grandes surfaces bricolage, hôpitaux...) est géré par une seule personne qui est à la fois responsable commercial et responsable marketing. «De fait, il n'y a pas de friction entre ses deux populations et l'échange d'informations s'effectue plus facilement.» La solution idéale, sans doute, si tous les systèmes de partage d'informations que vous avez essayés ne permettent toujours pas une collaboration entre ses deux populations si proches et pourtant si différentes...
Les managers demandent plus de communication interservices
La relation marketing/commercial est jugée peu productive par les managers. C'est ce qui ressort d'une étude réalisée conjointement par Accenture, HEC, Microsoft, l'Adetem et Novamétrie auprès de 250 directeurs commerciaux de grands groupes évoluant sur le marché du B to B. En effet, seul un tiers des interrogés estime que l'information transmise par le marketeur ou le commercial améliore la productivité d'un des deux services. Mais si les deux tiers sont réservés quant aux bénéfices de cette relation vente/marketing, c'est surtout parce qu'ils jugent qu'elle est insuffisante! En effet, les interviewés qui déclarent une forte collaboration entre les commerciaux et le marketing témoignent d'une plus grande performance que la moyenne dans les lancements de leurs offres.