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La visite client a-t-elle de l’avenir ?

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La multiplication des centres d’appels, l’essor du e-commerce menacent-ils la vente en face- à-face ou bien faut-il les considérer comme des supports aux approches traditionnelles ? Des spécialistes du télémarketing, de la relation client ou encore de la formation donnent leur avis.

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Anne Macquin, professeur au département marketing/ vente du groupe HEC, a conduit, avec Dominique Rouzies (HEC) et Nathalie Prime (ESCP), une étude traitant de l’impact de la culture sur la négociation ou la vente en face-à-face. “Il est intéressant de constater que l’espacement de la visite peut provenir du fournisseur, bien sûr, mais aussi du client, qui en a assez d’être harcelé.” La visite demeure essentielle dans les marchés “extrêmes”, soit très atomisés, et donc constitués d’une multitude de petits clients, soit très concentrés et reposant alors sur un nombre limité de gros clients. Je pense, dans le premier cas, au secteur médical, agricole, et dans le second à celui de l’aviation par exemple. Les marchés qui se situent entre ces deux extrêmes – ceux qui reposent sur des clients de tailles très variables – sont plus disposés à réduire et à concentrer le nombre des visites sur les clients importants. L’entreprise peut, par exemple, toucher les petits clients par le biais d’un centre d’appels. À une condition toutefois : qu’elle connaisse ses clients, qu’elle ait à sa disposition une base de données qui donne largement plus d’informations que la seule facturation. En effet, un petit chiffre d’affaires peut cacher un gros potentiel… Certains secteurs toutefois se soustraient à cette règle : dans le secteur bancaire, par exemple, les petits clients ne sont pas culturellement prêts à se contenter du guichet automatique et d’internet. Au contraire, ils ont besoin d’un contact humain direct. Il est également intéressant de constater que l’espacement de la visite peut provenir du fournisseur, bien sûr, mais aussi du client, qui en a assez d’être harcelé. Conséquence de cet espacement et dans certains cas (comme celui de la grande distribution) de la disparition de du contenu quantitatif ? Il faut mieux cibler les attentes de ses clients avant d’effectuer la visite. Le vendeur doit donc de plus en plus capter des informations en amont du rendez-vous. David Gotchac est directeur général de e-deal, cabinet spécialisé dans la gestion de la relation client, activité que la société exerce à travers l’édition du logiciel Cupidon one to one et de missions de conseil en stratégie marketing et fidélisation client. “L’entreprise doit faire un mix entre téléphone, e-mail, marketing direct et visite. Cette dernière reste d’ailleurs stratégique, notamment dans les pays latins.” L a visite client va-t-elle disparaître ? Non, clairement non ! Je pense que l’avenir n’est pas à moins de visites, mais à mieux de visites. Certes, le nombre d’acheteurs de l’Hexagone sur internet a doublé en six mois, mais les alternatives au face-à-face client/fournisseur ont leurs limites. Par exemple, on ne vend pas un produit qui vaut 100 000 francs sur le web. Il est par ailleurs impensable de supprimer la visite pour les produits semi-finis ou les services. Pour le moment, seuls sont concernés les produits manufacturés, dont les spécifications sont clairement connues de tout le monde, dont l’identité est forte… On vend des céréales pour le petit-déjeuner, demain peut-être des voitures, à la condition toutefois que le frein psychologique “prix” disparaisse. Les Français ont,par exemple, du mal à acheter sur le net des produits dont le prix dépasse 1 000 francs. En effet, sur le web, le panier moyen français est de 465 francs contre 2 500 francs environ pour le panier amé-ricain. Et même aux États-Unis, le contact humain peut “booster” les ventes. Ainsi, un distributeur de chaussures qui avait développé un concept de magasin sans essayage, dans lequel le client choisissait son modèle, puis passait sous un détecteur de mesure électronique et recevait le modèle choisi à sa pointure les jours suivants, a augmenté ses ventes de 10 % en effectuant une seconde mesure manuelle (qui n’était pas utilisée). L’entreprise doit, en fait, faire un mix entre les visites, le téléphone, le marketing direct, les e-mails, en fonction du chiffre d’affaires réalisé avec son client, mais également en fonction de sa valeur stratégique, c’est-à-dire du potentiel de marge à réaliser. La visite reste donc stratégique, notamment dans les pays latins. En revanche, les missions affectées aux commerciaux changent. Au lieu de prospecter dans le brouillard, ils vont devoir désormais travailler de façon beaucoup plus ciblée. Les visites devront être de plus en plus pertinentes et générer plus de commandes. Yves Boucheny est membre du comité de direction de FDG international, qui commercialise des petits produits non alimentaires à la grande distribution, type bazar, textile ou DPH (droguerie, parfumerie et hygiène). Il est aussi directeur de l’une des sociétés régionales FDG. “Le face-à-face va inéluctablement évoluer. On ne peut pas aller contre. D’ores et déjà, les négociations sont très centralisées dans des secteurs comme celui de l’alimentaire. Demain, cette tendance se généralisera.” Cela dit, même si de plus en plus la volonté de la grande distribution est d’orienter les chefs de rayon vers les clients et non plus les fournisseurs, on ne se passera jamais des commerciaux. Une enseigne a supprimé, pendant un temps, les visites des merchandisers de ses fournisseurs. Aujourd’hui, ce distributeur fait marche arrière. Pourquoi ? Parce que malgré le système d’EDI (échange de données informatisées) mis en place avec la possibilité de passer commande une fois par semaine, l’enseigne a constaté sur certaines lignes de produits – qui n’étaient pas ultra stratégiques – une chute de 20 à 30 % du chiffre d’affaires. En tant que fournisseur de la grande distribution de produits qui ne sont pas positionnés sur des lignes stratégiques, nous regrettons de ne pas pouvoir continuer à intervenir de façon systématique dans les magasins. En effet, seul ce contact direct nous permet d’avoir un rendement maximum du rayon. Mais le mouvement est enclenché, et nous savons que notre force de vente doit évoluer vers un métier de conseil et de contrôle. Nos commerciaux donneront aux chefs de rayon des conseils d’ordre quantitatif, magasin par magasin, sur des promotions proposées par les centrales, sur le balisage du rayon, etc. Ils effectueront également des contrôles sur l’application des conditions négociées en centrale. Ils auront en quelque sorte un rôle de formateur, de promoteur des ventes. Le jour où nous ne serons plus en prise directe avec les distributeurs, tout le problème sera de faciliter et de fluidifier la circulation de la marchandise. Bernard Caïazzo est l’inventeur et le “pape” du télémarketing. Il est aujourd’hui le président de la société Qualiphone, spécialisée dans le centre d’appels. Il est également l’auteur d’un ouvrage qui leur est dédié : Les centres d’appels, nouveaux outils de la relation client, paru aux éditions Dunod en janvier 2000. “Le problème qui se pose est d’ordre culturel : on évite de mettre en place un second canal de distribution par peur qu’il ne phagocyte le premier. Un rapide retour sur l’histoire économique nous enseigne qu’il n’en a jamais été de la sorte.“ Dans l’industrie, l’objectif idéal est le “zéro défaut”. Pour le commercial, l’objectif idéal, c’est “une visite = une vente”. Un tel ratio est impossible, mais toute la question est de savoir comment s’en rapprocher. C’est la préparation de la visite qui le permet. Quand le client a été identifié, qualifié, renseigné, le commercial qui se déplace se rapproche de l’idéal fixé. Ce rôle de préparation, de conquête est très bien pris en charge par le centre d’appels, en relation avec une banque de données rigoureusement tenue à jour. Dans un contexte où le client est au centre de toutes les préoccupations, le face-à-face ne va certainement pas disparaître. Par contre, le vendeur “arracheur de commande”, oui. Le commercial va évoluer vers des fonctions de conseils, de services, etc. Il change de profil, de niveau, car le travail de préparation est effectué par le centre de relation client, par l’avant-vente. Les jeunes diplômés au sortir de leurs écoles de commerce ne voulaient pas, jusqu’à présent, devenir vendeur, par réaction contre le “tirage de sonnette”, par l’appréhension de subir dix-neuf échecs pour une vente. Là, ils se trouveront forcément devant un client intéressé, acheteur. Aujourd’hui, la fidélisation est plus importante que la conquête. Son action est donc valorisée : ce n’est plus de la vente, c’est de la négociation. Le centre de relation client e-commerce ne va pas tuer la vente traditionnelle. Pas plus que L’Express, en lançant il y a trente ans ses premières campagnes d’abonnement, n’a tué sa vente en kiosque. Le face-à-face n’est pas mort : au contraire, il renaît… Michaël Amar est le directeur général associé de Cogef Développement. Cette société de conseil intervient notamment dans le pilotage de l’action commerciale. “Avec internet, ce n’est plus le commercial qui va voir le client, mais l’inverse.“ La tendance historique est à la raréfaction de la visite commerciale. Depuis plusieurs années déjà, le vendeur est de moins en moins souvent celui qui prend la commande. Deux éléments jouent à ce propos un rôle majeur : les centres d’appels et le e-commerce. D’une part, on se rend compte aujourd’hui que le téléphone peut être le complément utile de la visite et, à terme, la remplacer. Supposons qu’un commercial en déplacement coûte, par contact, en moyenne 700 francs, contre 10 à 20 francs pour un appel téléphonique. Alors, même si le vendeur en face-à-face est trois fois plus efficace, il reste moins compétitif et rentable que le téléopérateur. D’autre part, le commerce électronique fait aujourd’hui une vraie percée : le client achète de plus en plus, le vendeur vend de moins en moins en “push”. C’est particulièrement vrai dans la grande distribution, qui va demander à ses fournisseurs de mettre leurs offres sur internet. C’est sur ces bases qu’elle fera ses référencements. L’alliance entre Carrefour et Oracle, pour créer un portail d’accès internet consacré aux achats, est à ce titre prémonitoire. Par conséquent, la visite – et son corollaire, le vendeur – se fait plus rare. À terme, il ne demeurera du face-à-face que les rendez-vous incontournables : la vente à très haut niveau, et la prospection. Dans le premier cas, c’est le commercial “grands comptes” qui est concerné : cette fonction a des beaux jours devant elle, et ceux qui l’exercent ont de plus en plus de pouvoir au sein de l’entreprise, quasiment au niveau de la direction générale. Les seules visites qui demeurent sont, dans l’ensemble, beaucoup plus qualitatives, orientées plutôt “sell out” que prise de commande. Je pense que d’ici à cinq ans, le nombre de ces commerciaux, avec leur cahier de prise d’ordres sous le bras, aura chuté de 70 à 80 %. David Benhaïm est éthologue, et fondateur d’Ethologie Consultants. Il diffuse à ce titre des études de marché quantitatives ad hoc, à partir notamment de l’observation du comportement du consommateur en situation d’achat. “Les commerciaux qui, les premiers, identifieront les nouveaux modes d’approche du cyberconsommateur, seront, dans la nouvelle économie, aux premières loges.“ L’éthologue a pour objectif d’analyser, de comprendre et d’optimiser l’interaction entre un individu et son environnement. Si l’on observe notamment l’acte d’achat, on se rend compte qu’il se décompose en différentes séquences : à chacune d’entre elles, la décision d’acheter est soit confortée, soit infirmée. Ce type d’étude permet de mettre en évidence le rôle du commercial : il peut intervenir au moment propice de la décision d’achat, ou pour modifier la décision de non-achat. Ce rôle joué par le face-à-face ne peut, à mon sens et à ce jour, être égalé par une quelconque technologie. Cependant, le développement du commerce électronique permet d’accumuler sur le client une masse de données, d’informations tellement conséquente que l’entreprise aura bientôt une connaissance extrêmement fine de son marché. De ce fait, la fonction du commercial va muter : il devient désormais l’interlocuteur simultané de centaines de milliers de consommateurs, qu’il a pu cibler avec une extrême précision. Il dispose de nouvelles armes pour leur faire une offre complètement sur mesure, adaptée à l’attente de chacun, en fonction de son profil et de ses besoins. De plus, le commerce électronique permet d’augmenter la taille du marché de chaque entreprise dans de telles proportions, que le face-à-face, même s’il a un rendement meilleur, ne peut rivaliser. Les techniques commerciales vont donc profondément évoluer : la vente forcée a définitivement disparu, et la situation de face-à-face où le commercial doit prendre l’ascendant sur son client est dépassée. Il devra alors, grâce aux outils que lui procurent les nouvelles technologies, intervenir judicieusement, mais pas forcément physiquement, pour répondre à une problématique qui, elle, reste inchangée : proposer le bon produit au bon moment à la bonne personne.

Une action valorisée Le métier du commercial sortira valorisé de cette mutation en cours. C’est l’idée que défend Bernard Caïazzo (cf. ci-dessus) pour lequel les jeunes diplômés au sortir des écoles de commerce devraient retrouver le chemin de la vente. Demain, ils ne craindront plus les échecs. Grâce aux outils technologiques utilisés en amont de la visite, ils pourront frapper en plein cœur des attentes du client. L’entreprise leur demandera de fidéliser, de négocier, et non plus seulement de vendre.

Les leçons à tirer • De l’avis de tous, le face-à-face perdurera demain : parce qu’il ne peut dans certains cas être remplacé par aucune technologie, que tous les produits ne se prêtent pas à la vente sur internet mais également parce que les Français ont un frein psychologique “prix“ que n’ont pas, par exemple, les Américains. • Toutefois, les réponses sont nuancées selon le type de ventes ou les secteurs d’activité : certains prédisent à la visite encore un bel avenir dans les ventes de très haut niveau type grands comptes, d’autres dans des secteurs soit très atomisés, soit très concentrés. • Si les nouvelles technologies ne remplacent pas le face-à-face, en revanche, elles interviendront dans la phase de préparation du rendez-vous, et le rendront plus performant. • Les fonctions du commercial vont évoluer. À la vente pure et dure, ils devront ajouter le conseil, le service, la formation, la promotion des ventes… afin de faire une offre complète et sur mesure.

 
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Propos recueillis par L. Derrien et A.-F. Rabaud

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