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Les commerciaux sous surveillance high-tech

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Les nouvelles technologies comme outil de travail ou à des fins privées ? « Pourquoi pas, tant que les objectifs sont remplis », disent certains patrons. « Certainement pas ! », clament d’autres. À l’heure où les sanctions pleuvent à l’encontre de salariés, la question de la “traçabilité” de l’usage des nouvelles technologies reste posée. Et les commerciaux dans tout ça ?

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Jean-Pierre Le Goff, sociologue, auteur de La barbarie douce et Les illusions du management (éditions La Découverte), dont la réédition comporte la postface : “malédiction dans les organisations”. « D’un côté, les salariés doivent se plier à un minimum de discipline pour garantir la bonne marche de l’entreprise et, de ce fait, certaines affaires sont indéfendables. De l’autre, internet et les nouvelles technologies réactivent un fantasme auprès de la direction : celui du contrôle total des salariés. » S’il y a un métier que l’apparition des nouvelles technologies a bouleversé, c’est bien celui de commercial. D’une profession caractérisée par son degré d’indépendance, internet et les réseaux informatiques ont fait un métier qui doit faire face à une pression considérable, à un contrôle direct et permanent. Les risques liés à la multiplication des nouvelles technologies sont, à mon avis, de deux ordres. Il y a celui que l’on cite toujours en premier : le risque d’un contrôle sur la nature des tâches réalisées, et notamment le moyen de déceler celles qui concernent la vie privée. Ce n’est pas très nouveau. L’utilisation à titre personnel du téléphone, des photocopieuses est bien réelle. Les moyens de contrôle se contentent de suivre les technologies. Le tout est de fixer un seuil raisonnable. Il existe, à mon avis, un autre risque moins visible mais que je considère comme plus inquiétant. Les nouvelles technologies s’inscrivent dans une logique d’évaluation des individus au travail. C’est le cas de certains logiciels d’évaluation des compétences qui invitent le salarié à remplir un questionnaire permettant de sortir un profil très précis de celui-ci. L’outil se veut neutre – ce qu’accentue d’ailleurs le caractère “nouvelles technologies” – alors qu’en réalité, il porte un jugement de valeurs. Je pense aussi que la multiplication des nouvelles technologies dans l’entreprise réactive un certain nombre de fantasmes : l’organisation en réseau donne le sentiment que les individus sont égaux en termes d’autonomie et de compétence, que la hiérarchie et le pouvoir sont gommés, mais c’est un leurre ! Ce sentiment d’égalité résulte aussi du fait que l’organisation en réseaux donne à chacun accès à l’information. Or, le pouvoir dépend non pas de l’accès à l’information, mais de la façon dont chacun la traite et des compétences dont chacun dispose pour ce faire. En fait, le risque, avec l’apparition de ces nouvelles technologies, n’est pas dans l’évolution à proprement parler, mais dans l’utilisation qui en est faite, dans l’imaginaire qu’elles réactivent. Serge Gauthronet, sociologue et président du cabinet conseil aux entreprises ARETE « Un salarié qui sait utiliser le Net pour ses besoins personnels saura aussi l’utiliser efficacement à des fins professionnelles ; il y a donc un “retour sur investissement”. Aussi, les entreprises ne doivent-elles pas être frileuses face aux nouvelles technologies. » Incontestablement, il y a aujourd’hui une propension de la part des dirigeants d’entreprise à vouloir “resserrer les boulons” en introduisant des règles précises d’utilisation de l’internet et en imposant des dispositifs de surveillance : un contrôle accru de l’utilisation du web et des messageries électroniques pour voir comment les salariés passent leur temps au bureau. Ce que les entreprises veulent contrôler, c’est le temps passé à faire autre chose que travailler. Une tendance renforcée par le contexte actuel de réduction du temps de travail. Les dirigeants ont peur que les gens passent des heures non productives et dommageables à la rentabilité. Sur le fond, les employeurs sont évidemment fondés à vouloir contrôler la bonne exécution du contrat de travail. Ce qui est contestable, en revanche, ce sont les méthodes employées pour y parvenir : une entreprise qui embête un salarié parce qu’il passe dix minutes sur un site boursier ou quelques heures dans le mois sur Télémarket, c’est totalement stupide ! En effet, les directions ne doivent pas oublier qu’un salarié qui surfe fait l’apprentissage du web. Or, quelqu’un qui sait utiliser le Net pour ses besoins personnels saura aussi l’utiliser efficacement à des fins professionnelles et le “retour sur investissement” est important. Les entreprises ne doivent donc pas être frileuses face aux nouvelles technologies. Il y a quelques années, quand on a introduit les ordinateurs dans les sociétés pour apprendre le maniement de Windows et familiariser les salariés à l’informatique, on a placé des jeux sur les ordinateurs. Certains pouvaient estimer que les salariés perdaient du temps à faire une partie de “solitaire”, il n’empêche que cela leur a permis de maîtriser et de s’approprier rapidement ce nouvel outil. C’est exactement la même chose aujourd’hui avec l’internet. En tout cas, ce débat qui est créé avec l’émergence du web est intéressant, et je crois qu’il faut le replacer dans le contexte de l’ensemble des nouvelles technologies. On se réveille aujourd’hui en se rendant compte qu’il y a des actes de surveillance par les nouvelles technologies alors que cela existe depuis longtemps déjà, avec les badges par exemple, ou même avec les systèmes informatiques qui permettent de dire à quelle heure un salarié a allumé son ordinateur et ce qu’il y a fait. En matière de contrôle, par le biais du web ou d’autres technologies, je crois que les entreprises doivent faire preuve de modération. Elles ne doivent pas vouloir tout contrôler, tout sanctionner. Il faut qu’elles arrêtent d’être frileuses. Hubert Bouchet, vice-président délégué de la CNIL, Commission nationale de l’informatique et des libertés, une autorité administrative et indépendante au vrai sens du terme. Il est également secrétaire général de l’UCFO, Union des cadres et ingénieurs FO. « La mise en place d’un dispositif de contrôle ou de surveillance des salariés par l’employeur doit répondre à un certain nombre de principes. En premier lieu, les salariés doivent être informés au préalable de la mise en place du dispositif par l’intermédiaire des organisations représentatives lorsqu’il y en a, ou bien directement. » Nous ne sommes pas aux États-Unis, où certaines entreprises ont mis sur pied des codes de conduite et incitent les salariés à dénoncer les manquements qu’ils peuvent observer autour d’eux, en mettant à leur disposition un numéro de téléphone. Cette pratique, qui repose sur une collecte effectuée à l’insu des salariés concernés, est, chez nous, illicite, au grand dam de certaines entreprises américaines. En France, l’employeur doit informer les salariés de la mise en place du dispositif et leur exposer la finalité de la démarche. Le système mis en place doit être en adéquation avec la finalité, ne pas être démesuré. Dans certains cas, un relevé périodique réalisé pendant des plages horaires préalablement définies et connues des salariés peut suffire. Les données collectées doivent par ailleurs être accessibles aux salariés et rectifiables par eux. S’agissant de l’utilisation à des fins privées d’un outil professionnel, les jugements de première instance sont à ce jour contradictoires. Dans des affaires identiques, les juges ont, dans certains cas, suivi l’employeur qui avait licencié un salarié et, dans d’autres cas, l’ont débouté. Le recours pour un salarié est quadruple : le syndicat, l’inspection du travail, les tribunaux et la CNIL, qui peut faire un rappel à l’ordre et instruire une plainte. Après consultation des organisations représentatives des employeurs et des salariés, nous préparons une recommandation sur l’usage des nouvelles technologies dans le contrôle des salariés. Elle devrait être prête pour cette fin d’année ou le tout début 2001. Cette recommandation comprendra un inventaire de ce qui est techniquement possible ou pas, et de ce qui est légal ou non. Chez nos voisins européens, les pratiques sont variées. En Grande-Bretagne, une nouvelle réglementation permet aux employeurs, sous certaines conditions, d’avoir librement accès aux messages électroniques et aux conversations téléphoniques des salariés, ce qui fait craindre aux syndicats l’utilisation de données sur la vie privée. À l’inverse, en Allemagne, le ministre du Travail veut, semble-t-il, introduire une réglementation permettant aux employés de surfer sur internet et d’envoyer des courriers électroniques d’ordre privé au bureau, après discussion et négociation des conditions avec l’employeur. Philippe Birot, directeur de Websense Europe du Sud, éditeur d’un logiciel pour gérer l’usage d’internet. « Nous proposons un logiciel de gestion de l’usage d’internet et pas un logiciel de “flicage”. Je crois que cet outil de contrôle, s’il est utilisé intelligemment par les entreprises, est vraiment intéressant et qu’il n’y a rien de scandaleux à l’utiliser. » Nous proposons un logiciel de gestion de l’usage d’internet au travail. Concrètement, c’est une solution qui permet de filtrer l’accès en fonction de l’utilisateur ou du contenu du site. Je vous donne un exemple : un chef d’entreprise peut décider que la direction aura accès à tous les sites web mais que les services commerciaux n’accéderont qu’aux sites des catégories “commerce”, “économie”, etc. Elle peut aussi décider d’interdire totalement l’accès aux sites pornographiques ou de Bourse en ligne. Autre possibilité : la direction peut décider d’autoriser l’accès aux sites de loisirs aux heures de pause, entre 12 et 14 heures et après 18 heures par exemple. J’estime donc qu’il s’agit vraiment d’un logiciel de gestion de l’usage d’internet et pas d’un logiciel de “flicage”. Pourquoi ? Tout simplement parce que, même si le système enregistre effectivement le cheminement de chaque internaute sur le web, il est très complexe pour une direction de savoir lire les lignes de code qui correspondent à ce cheminement. En théorie, il est donc possible de dire que Monsieur Untel est allé visiter tel site à telle heure, mais en pratique, c’est difficile. Je crois que cet outil de gestion et de contrôle, s’il est utilisé intelligemment par les entreprises, est vraiment intéressant et qu’il n’y a rien de scandaleux à le mettre en place. Il faut informer au préalable les salariés qu’un tel logiciel est installé et, généralement, cela suffit à les responsabiliser. On constate ainsi que lorsqu’ils savent que s’ils téléchargent des morceaux de musique sur le Net leur direction peut le savoir, ils cessent d’utiliser internet à des fins personnelles : cela fait gagner 20 % de bande passante à l’entreprise. La “menace” suffit donc le plus souvent à recentrer internet sur une utilisation professionnelle. Et n’oublions tout de même pas que si une entreprise installe internet sur les ordinateurs de ses employés, c’est avant tout pour des besoins professionnels ! Parmi nos clients, nous comptons des sociétés comme Carrefour, Compaq, Moulinex, Sony France, des banques, etc. Lorsqu’une direction vient me voir, je lui explique toujours qu’elle doit – un peu – laisser surfer ses salariés au bureau, car le retour sur investissement est important, mais qu’elle doit aussi contrôler et gérer l’accès au web intelligemment sans tout interdire et sans faire de “flicage” systématique. Je me positionne en tant qu’éducateur et pas du tout en tant que policier ! Frédéric Naquet, avocat au barreau de Paris. « Les employeurs développent deux arguments : d’une part, l’utilisation à des fins privées de l’outil de travail constitue un coût et, d’autre part, traduit un non-respect du contrat de travail. » Le contrôle de l’activité des salariés sur leur lieu de travail s’inscrit dans un contexte régi d’une part par le droit du salarié au respect de sa vie privée qui est un droit absolu et, d’autre part, par l’obligation, pour le salarié, de travailler pour le compte de son employeur lorsqu’il est sur son lieu de travail, obligation résultant du contrat de travail. La jurisprudence, dans ce genre d’affaires, évolue. Si, pendant très longtemps, le droit à la vie privée de chacun – y compris sur le lieu de travail – primait, si on reconnaissait aux employés le droit de se plaindre de la violation de leur vie privée, on observe aujourd’hui un renversement de tendance, notamment du fait de l’apparition des nouvelles technologies et de la sophistication des moyens de contrôle. On reconnaît aujourd’hui à l’employeur le droit d’aller vérifier l’utilisation faite des outils mis à la disposition des salariés, dans la mesure où ceux-ci sont préalablement informés des procédures de contrôle mises en place. Le salarié qui aurait utilisé de façon abusive et à des fins personnelles l’outil de travail risque le licenciement. Si la procédure de licenciement fait suite à toute une série d’avertissements, de lettres recommandées, de mises à pied, il risque un licenciement pour faute grave. Ce n’est pas le cas le plus fréquent. L’employeur invoque plutôt une cause réelle et sévère, qui n’a pas de conséquence sur le préavis ni sur les indemnités légales ou conventionnelles de licenciement. Le recours du salarié dans ce genre d’affaire est le tribunal des Prud’hommes.

Ce qu’il faut retenir • Avant la mise en place d''un dispositif de surveillance au travail, les employeurs ont l''obligation d''en informer au préalable leurs salariés. En outre, la législation, même si elle est parfois floue, impose que les moyens mis en œuvre soient en adéquation avec la finalité : le dispositif ne doit donc pas être disproportionné. • Des logiciels de “gestion de l''utilisation d''internet” sont commercialisés : ils ne servent pas forcément à “fliquer” les employés mais plutôt à restreindre l''accès à certains sites selon les volontés de la direction, comme les sites érotiques par exemple. • Les directions doivent prendre conscience qu''internet représente un gain. Le fait que les employés puissent surfer au travail (même à des fins personnelles dans une certaine mesure) permet de s''approprier cet outil indispensable

Nouvelles technologies et vie privée « Les nouvelles technologies menacent-elles la vie privée ? » C’est le thème d’un séminaire qui s’est tenu le 6 décembre dernier à La Défense. Divers représentants des mondes économiques et institutionnels ont débattu sur la compatibilité de la protection de la vie privée et de l’utilisation des données personnelles sur internet, sur les moyens d’assurer la confidentialité des communications électroniques, sur les modes de contrôle les mieux adaptés, sur les pouvoirs de la CNIL, etc. Vous pouvez vous procurer le compte rendu de ce séminaire sur CD-Rom en appelant le 01 42 21 59 57.

 
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Propos recueillis par A.-F. Rabaud et F. Thibaud

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