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Portrait d’un “inconnu” : l’acheteur

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La fonction achats recrute en ce moment des profils de haut niveau, encore méconnus des forces de vente. Prix, fiabilité et réactivité, sera toujours le tiercé gagnant du fournisseur face à la globalisation, l’externationalisation, qui gagnent les achats, surtout dans les grandes entreprises.

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Ghislaine Caire, dg du cabinet Orion, spécialisé dans le recrutement de la fonction achats. “La fonction achats s’est très fortement professionnalisée, d’abord dans les secteurs les plus concurrentiels, de grande série comme l’automobile, où de meilleures conditions d’achat permettaient de jouer sur les coûts. Elle s’est aussi en partie féminisée, tout en continuant à être davantage reconnue.” Dans les sociétés de services, la fonction achats est beaucoup plus récente, car elle y représente de 15 à 30 % du chiffre d’affaires, contre 70 % dans les sociétés de production. Je mets à part les sociétés de négoce, dont c’est la nature. Il existe d’ailleurs très peu de passerelles entre les acheteurs de la grande distribution par exemple et les acheteurs industriels. Naguère, on plaçait aux achats les “bras cassés”. Aujourd’hui, les titulaires du poste affichent en général une formation de bon niveau, du type troisième cycle. Et ils sont recrutés dès leur sortie de l’école, car la demande est très forte. Les achats s’internationalisent, aussi les entreprises ont besoin de gens polyvalents, éclectiques, bons communiquants, maîtrisant l’anglais, ayant une bonne appréhension de la complexité, de l’environnement économique. Mais tous les achats ne se déroulent pas forcément dans des situations complexes ou internationales, et les formations de niveau bac + 2 ou 3 me paraissent suffisantes dans ce cas. En matière de profils, je fais ensuite un distingo entre le responsable achat dont le management d’équipe, la vision stratégique et la capacité à négocier en interne sont les premières compétences, et les acheteurs aux compétences spécialisées en matière de marché et de négociation. C’est une fonction également de plus en plus outillée au niveau informatique, ce qui est normal, car la grosse valeur ajoutée de l’achat, c’est de produire des tableaux de bord, des ratios, d’informatiser les procédures. Quelles sont les plus grandes préoccupations actuelles des acheteurs ? Je dirais la réduction du nombre de fournisseurs pour parvenir à une simplification, la conclusion de contrats et de marchés-cadres, la focalisation de leurs actions sur ce qui fait leur valeur ajoutée grâce à un bon benchmarking, à la recherche de nouveaux fournisseurs, à la validation de la qualité de leurs fournisseurs actuels. Jean-Paul Durand, responsable de deux cycles de formation à l’achat à Nantes : Sup’Achat et l’Esap. A été acheteur lui-même dans l’agro-alimentaire pendant huit ans, puis huit ans vendeur de formation. Estime avoir formé 2 500 personnes à l’achat. “L’heure est à la réduction des coûts administratifs de l’achat, ce qui passe notamment par la réduction du nombre de fournisseurs – c’est plus facile à manager. Cela conduit les fournisseurs à élargir leur offre et amène une deuxième phase, celle de l’externalisation. Aujourd’hui, l’acheteur doit devenir un manager de fournisseurs.” Le premier fait marquant et controversé du métier de l’achat a été le remplacement du technicien, préoccupé surtout par le savoir-faire du fournisseur, par le généraliste qui n’accorde de l’importance qu’aux résultats de son entreprise, et met en conséquence l’accent sur le prix. Ce dernier travaille en binôme avec le technicien, et c’est à ce moment que s’est beaucoup développée pour les acheteurs la notion de client interne. Les entreprises, essentiellement les grandes, se sont rendues compte que les achats représentent entre 50 et 60 % de leur chiffre d’affaires. Mais ce schéma n’est pas valable pour les PME, qui n’ont pas encore effectué leur révolution de l’achat. La première, la deuxième et la troisième priorité des acheteurs, c’est le prix, le prix, et encore le prix, même si personne ne le dit. S’en plaignent tous les commerciaux que je rencontre en formation, puisque je suis souvent sollicité pour montrer aux forces de vente les méthodes des acheteurs. L’obsession du prix n’est d’ailleurs pas une bonne chose : il faut le remettre à sa juste place dans les grilles d’évaluation de fournisseurs. L’acheteur, lui, apprécie un fournisseur réactif, qui n’a pas la grosse tête, qui se trouve dans une démarche de progrès. C’est ça qui est réellement important. Acheteurs et vendeurs évoluent dans deux mondes qui auraient tout intérêt à se connaître et se comprendre mieux pour communiquer et travailler ensemble, mais qui au final s’ignorent. D’ailleurs, j’ai rarement vu le passage d’un métier à l’autre. Ce n’est à mon sens pas naturel du tout pour un vendeur de se reconvertir à l’achat. En revanche, l’acheteur doit être un homme de réseau. C’est en général un homme seul, sauf dans les grandes sociétés où se construisent des échanges internes, et s’il reste seul, il est foutu. Le benchmarking est une réponse, mais ceux qui l’évoquent la plupart du temps se trompent ; ils cherchent surtout le moyen de connaître les prix, et non de trouver, analyser et importer des modèles de travail. Fernand Tabakman dirige le groupe d’études sur les achats généraux au CDAF. Formateur et intervenant à Paris Dauphine. La Compagnie des dirigeants d’approvisionnement et acheteurs de France (CDAF), présidée par Michel Raffet, réalise des sessions de formation au métier d’acheteur et aux techniques de l’achat, en accord avec le Cesi (organisme de formation). “Les commerciaux sont de plus en plus amenés à rencontrer le directeur des achats et sont peu formés à le connaître, à comprendre l’importance de l’acheteur dans le compte d’exploitation.” Il faut démystifier le métier, et expliquer quelles sont ses préoccupations. Ce qui compte avant tout pour un acheteur, c’est la rentabilité. Mais il n’a pas que le souci de bien négocier, il a aussi des soucis stratégiques. Les tendances de la fonction achat ? Il est vrai que l’on parle beaucoup de juste-à-temps, et de fournisseurs plus impliqués dans la démarche industrielle : l’exemple le plus intéressant est celui de la production de la Smart. Les tendances, c’est également la mondialisation, l’externalisation. La mondialisation devient stratégique, le sourcing international, c’est de plus en plus complexe. On parle aussi d’externalisation de la fonction achats : l’identification des achats stratégiques conduit à confier à des acheteurs free lance, ou à des centrales d’achat, les achats moins importants. Il existe un grand besoin de simplifier les procédures et les circuits. Mais quand on parle de priorités, il faut peut-être segmenter les acheteurs industriels selon la taille de l’entreprise. Si l’entreprise est grande, l’acheteur fera partie d’un service très structuré, sa responsabilité sera beaucoup plus segmentée et il sera spécialisé sur une activité, un métier. Dans une moyenne entreprise, il aura déjà plus de responsabilités. Dans une petite, il sera “multicasquettes”, et dans une toute petite, le patron fait tout. On parle bien sûr aussi d’internet, d’ISO 9000, de benchmarking. J’ai quitté il y a cinq ans le service achat de Daimler-Benz France, et nous utilisions déjà un intranet depuis des années. Mais utiliser internet pour de la recherche de fournisseurs, ou dans les relations avec les fournisseurs, ce n’est pas encore du quotidien. Jean-Marc Boissenot, directeur de Mécanica, société de consultants co-organisatrice, avec l’association Entreprendre en Moselle Nord, du Salon à l’Envers, depuis 1996. “Les acheteurs recherchent avant tout des fournisseurs fiables et à en connaître de nouveaux. Sur le Salon à l’Envers, nous avons renversé la proposition acheteur-fournisseur. Ce sont les donneurs d’ordres qui présentent leurs besoins à des visiteurs, chefs d’entreprise et directeurs commerciaux.” Plus de 450 chefs d’entreprise et directeurs commerciaux de la région Lorraine mais aussi quelques Allemands se sont déplacés au mois de mars à Thionville pour rencontrer 33 donneurs d’ordres. Ceux-ci, qui lors des premières éditions venaient plutôt par curiosité, se montrent très satisfaits aujourd’hui dans nos enquêtes-bilan deux mois après la manifestation. Les donneurs d’ordres, souvent plusieurs personnes représentant les divers services achats, sont installés dans des boxes, devant des panneaux précisant leur identité et leurs besoins. Ils représentent la métallurgie, l’automobile, des grands donneurs d’ordres comme EDF-GDF, etc. Les acheteurs se montrent très sensibles à la fiabilité des fournisseurs. Ils demandent aux fournisseurs potentiels de remplir un questionnaire comportant l’évolution de leur effectif et de leur chiffre d’affaires sur trois ans. Les fournisseurs préparent de mieux en mieux leurs dossiers. Les donneurs d’ordres cherchent aussi à découvrir de nouveaux partenaires. Ils ont reçu des ordres stricts pour diminuer le nombre de leurs fournisseurs, et cependant, ont des besoins dont ils ne trouvent pas satisfaction auprès de leurs fournisseurs habituels. Souvent, je constate que les gens s’ignorent royalement, et que les acheteurs ne savaient pas pouvoir trouver un fournisseur à 15 kilomètres au lieu d’en faire des centaines. Grâce au salon, certains chefs d’entreprise ont pu faire “décoller” leur activité. 10 % des contacts suivis après le salon ont abouti à des passations de commandes. Nous avons maintenant le projet de créer des liens entre acheteurs et fournisseurs en dehors même du salon, de monter un Salon à l’Envers permanent sur internet, un site de recherche permanente de fournisseurs du secteur mécanique. Jacqueline Constant, directrice de la communication et du développement de PROseg, le salon professionnel des responsables de services généraux, qui se tiendra du 13 au 15 octobre au parc des Expositions du Bourget, dans la banlieue parisienne. “Les services généraux sont devenus des centres de profit plutôt que des centres de dépense. Le passage à l’an 2000 et l’euro étaient les préoccupations que nous avions choisi de mettre en évidence sur le salon 1998. Le benchmarking, tout comme l’externalisation, sont actuellement des sujets à la mode.” La qualité, elle, est toujours à la mode. Notre concept de salon a explosé le nombre de ses exposants en cinq ans ; les fournisseurs, issus de 27 secteurs d’activité, sont passés de 100 à 465. Les visiteurs, eux, dépasseront les 10 000 personnes. Ils veulent s’informer à un moment de l’année où tous les budgets sont remis en question, où l’on refait les appels d’offres. C’est un salon où l’on traite des affaires. Les services généraux représentent environ 20 % du chiffre d’affaires de l’entreprise selon l’étude Cegos de 1996. D’après une étude menée pour le salon 99, cette fonction est encore complexe et peu définie. Son responsable est rigoureux, organisé, mobile intellectuellement, un technicien toujours mais pas systématiquement un acheteur. Il peut évoluer de l’acheteur autonome et totalement responsable, à l’expert technique, uniquement chargé de définir les fonctionnalités de la direction achats. Les organisateurs ont aussi demandé aux exposants-fournisseurs quels étaient les faits majeurs qui allaient impacter leur profession. Ils ont cité l’arrivée massive des outils facilitant la productivité (progiciels de gestion intégrée, liaisons internet, extranet, commerce électronique), la déréglementation de secteurs-clés comme l’aérien et les télécommunications, la montée des normes de qualité, les conséquences de la mise en place des 35 heures sur la flexibilité, la concentration ou la décentralisation des postes de travail, et enfin, une constante, la guerre des prix, due à la compétition de plus en plus forte au sein de l’offre et à la professionnalisation grandissante des acheteurs. Jean-Jacques Triboulet, responsable marketing Oracle Applications Manufacturing & Supply Chain. “Internet va simplifier le circuit de l’achat professionnel. Imaginez la possibilité pour un acheteur de poser sa demande auprès de 120 fournisseurs via une seule connexion internet.” Peu d’acheteurs encore – c’est davantage le cas aux USA – utilisent réellement internet pour travailler. Jusqu’à présent, un acheteur dialogue soit par téléphone, télécopie, ou par EDI, ou pour les plus évolués des fournisseurs via un catalogue sur internet. Avec une solution Oracle Internet Procurement, les utilisateurs autorisés trouvent et commandent en ligne aux prix et conditions pré-négociés. Cela élimine transferts, saisies redondantes, demandes d’approbation écrites, et milite pour la simplification et la négociation de contrats cadres et des conditions d’achat globalisées. On va plus loin avec le projet Oracle Exchange, où toute entreprise pourra s’approvisionner en biens et services hors production, suivant la technique d’achat de son choix. Les informations “achat” d’Oracle Supplier Network, qui regroupe déjà 260 sociétés (Adecco, Compaq, Dun & Bradstreet, etc.), seront disponibles pour les utilisateurs d’Oracle Exchange, conçu à partir d’Oracle Internet Procurement. C’est un moyen rapide et économique de tisser des relations avec de nouveaux fournisseurs ou d’approfondir les contacts existants. Seront possibles deux modèles d’achat : le spot buying et le buyer auction. Dans le premier, l’entreprise s’approvisionne rapidement auprès d’un fournisseur avec lequel elle n’entretient pas de relation commerciale formelle. Dans le deuxième, l’acheteur sollicite et gère des appels d’offres de plusieurs fournisseurs en ligne.

Portrait-robot de l’acheteur Selon l’Apec, 78 % des offres pour cadres de la fonction achats exigent un diplôme de 3e cycle achat. Les formations les plus connues : l’Institut du management de l’achat industriel (MAI) de Bordeaux, le DESS Management de la fonction achat de Grenoble, ou le DESS Achat international de l’IECS Strasbourg. Des formations bac + 2 ou 3 sont nées, adaptées aux besoins des PME ou à des postes de spécialistes. Mais les promotions sont encore insuffisantes. Le salaire médian des directeurs d’achat* a progressé de 4 % par an entre 1996 et 1998, passant de 470 000 à 510 000 F en moyenne. Les acheteurs, eux, ont progressé de 3,3 % de 1997 à 1998. Salaire médian : 310 000 F. Les débutants profitent de l’appel d’air. Jean-Paul Durand (Sup’Achat) : “Les salaires d’embauche de nos étudiants ont grimpé de 15 %, et s’établissent entre 120 et 156 KF en moyenne.” Les étudiants du MAI, très recherchés, débutent avec un salaire moyen annuel de 190 KF. Après 5 ans d’expérience, si les trois quarts d’entre eux restent directeurs achats, 8 % sont devenus directeurs commerciaux et autant directeurs marketing. *Source Towers Perrin

Ce qu’il faut retenir • Les acheteurs ont pris du pouvoir. Le besoin de postes dépasse à l’heure actuelle les promotions des formations spécialisées. En toute logique, les rémunérations grimpent. • La principale préoccupation des acheteurs : le prix, même s’il est difficile de le leur faire admettre. Ce qui ne les empêche pas d’avoir des exigences marquées sur la fiabilité, la réactivité, la valeur ajoutée apportée par leurs fournisseurs. • La réduction du nombre de fournisseurs, la centralisation des achats avec la conclusion d’accords-cadres, l’allégement de la partie administrative du métier sont à l’ordre du jour. • Les acheteurs sortent de la politique du secret pour participer à des séances de benchmarking. Internet, qui voit s’ouvrir plusieurs sites de mise en relation d’acheteurs et de fournisseurs, participe lui aussi au mouvement de circulation de l’information.

 
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Propos recueillis par S. Brouillet

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