"La voix est un véritable instrument de leadership''
Entre réunions, entretiens, négociations, déjeuners d'affaires, rendez-vous... Vous passez votre temps à parler ! Pour autant, êtes-vous conscient de ce que votre voix dit de vous ? Comment soignez-vous la vôtre ? Interview de Christophe Haag, professeur à l'EMLyon et auteur d'un livre sur le sujet.
Je m'abonneQuelles sont les caractéristiques d'une bonne voix pour un manager ?
Pour être crédible, le manager... a besoin d'une voix grave. Et ce n'est pas uniquement une question de symbolique. Même si la voix grave est, dans notre inconscient, associée à un certain nombre de qualités telles que la vaillance, la compétence, le sens éthique mais aussi la domination, la fermeté, qui peuvent être perçues comme rassurantes chez un manager. C'est également une question de physique, purement. Pour faire simple : les voix aiguës obligent le cerveau à travailler davantage, demandent un effort plus soutenu aux auditeurs. S'exprimer avec une voix grave permet ainsi d'obtenir plus facilement l'attention d'une personne ou d'une assemblée. C'est vrai aussi bien pour les hommes que pour les femmes managers. Une personne ayant une voix flûtée ou haut perchée aura davantage de mal à se faire entendre, à gagner sa légitimité aux yeux de ses interlocuteurs. Ce qui n'empêche d'ailleurs pas qu'on puisse jouer avec sa voix aiguë pour renforcer son pouvoir. C'est ce que faisait le président Jacques Chirac, commençant ses phrases sur un ton aigu et les terminant dans le grave...
Les voix des leaders ont également en commun une autre caractéristique : l'authenticité. C'est-à-dire le naturel, qui ne doit pas être altéré, même lorsque l'on multiplie les exercices pour améliorer ses compétences en communication, lors de séances intensives de media training par exemple. L'absence de naturel donnera aux interlocuteurs l'impression que l'orateur joue, qu'il n'est pas sincère. C'est du moins ce que pense Pierre Kosciusko-Morizet, fondateur de Price Minister : " J'aime être moi-même et, au final, je pense que c'est la bonne solution ", me confiait-il sur le sujet. En fait, tout est une question d'équilibre. Lorsqu'à force de vouloir améliorer sa voix, on opère une transformation trop radicale, c'est un peu de soi que l'on perd. Et cette perte, les gens les ressentent de façon plutôt négative.
Une voix qui ne correspond pas à ces critères est-elle forcément disqualifiante ? Comment travailler et entretenir sa voix ?
Ralentir son rythme de parole, respirer avec le ventre ou encore bien s'hydrater sont autant de conseils qui permettent de faire descendre sa voix dans les graves sans la dénaturer, sans tomber dans l'artifice. Il faut aussi... apprendre à se taire ! Cela permet de préserver sa voix, d'éviter l'aphonie juste au moment où il ne le faudrait pas, comme une réunion capitale, un client stratégique... Comme cela est arrivé à Larry Page, le patron de Google, qui à l'été 2012 a souffert d'une extinction de voix pendant plusieurs semaines, alors notamment qu'il devait présenter des avancées importantes de son système d'exploitation Android...
Pour éviter ce genre de déroute, pourquoi ne pas décider d'organiser chaque semaine une demi-journée silencieuse. Durant ce laps de temps, il est possible de regarder ses mails, d'étudier ses dossiers, mais il faut éviter de prévoir des réunions, de rencontrer des collaborateurs, de faire quoi que ce soit nécessitant l'usage de la parole. Quand c'est possible, ce qui n'est pas toujours le cas. Lorsqu'il sent que c'est nécessaire et qu'il peut trouver l'occasion, Xavier Huillard, p-dg de Vinci, construit ainsi autour de lui " des murs de silence " le week-end et en début de semaine, dans l'objectif de préserver sa voix. Une telle initiative fait peur à première vue, car dans nos sociétés, le silence est au pire un tabou, au mieux passe par une marque d'impolitesse. Les bénéfices sont pourtant observables au bout de quelques mois seulement.
Comment faire de sa voix, une arme pour remporter une négociation commerciale ?
Citons l'exemple de Christophe Caupenne, ancien patron des négociateurs du RAID. L'homme était hypersensible à la voix. A partir d'éléments vocaux de la personne qu'il avait en face de lui, preneur d'otage ou autre (le rythme des phrases, les hésitations, les syllabes aspirées, les silences, les modifications du débit, etc.), il était capable en quelques microsecondes de mettre en place une stratégie de négociation adaptée à son interlocuteur. Et cela en s'efforçant de trouver une fréquence d'intimité avec lui, par exemple en prenant son accent bordelais d'origine s'il avait saisi que c'était également le cas de son interlocuteur, ou en mettant en oeuvre cent autres façons de moduler sa voix, dans un seul but : se mettre au niveau de ce dernier, réduire la distance entre eux deux, réussir à obtenir quelque chose de lui. Une tactique reproductible dans le cadre d'une négociation commerciale.
Par ailleurs, le succès d'une négociation passe également par une implication physique et mentale totale, qui permet d'éprouver intérieurement des sensations que l'on souhaite faire passer par sa voix pour obtenir quelque chose de son interlocuteur. Le commercial essaiera par exemple de mimer une tristesse modérée avec sa voix (en faisant varier son intensité, en ralentissant son débit, en privilégiant les tons graves...) pour susciter chez l'autre l'envie quasi impulsive de l'aider, de lui donner ce qu'il souhaite obtenir. Des études ont par ailleurs montré que, à condition d'être déjà en position de force et sur un laps de temps limité, une voix hâchée, un ton sec synonymes de colère permettent d'obtenir davantage de concessions de la part de son interlocuteur ! Cette capacité à travailler sa voix passe par beaucoup d'entraînement. C'est là que les cours de théâtre présentent de l'intérêt pour les commerciaux et leurs managers...
Le livre de Christophe Haag,
" Vox Confidential. Une enquête inédite
sur les mystères de la voix humaine ",
Editions Michel Lafon, octobre 2013, 17,95 €
Christophe Haag est professeur à l'EMLyon
et docteur en sciences du comportement.