L'IA dans le retail, un impératif stratégique !
Les distributeurs et leurs fournisseurs s'intéressent de plus en plus à l'intelligence artificielle (IA) et commencent à équiper leurs forces de vente d'outils pour optimiser les mises en rayon, analyser les prix, etc. Objectifs ? Doper l'activité, valoriser les visites et faire la chasse au gaspi.

3,32%, c'est en moyenne la part du chiffre d'affaires que les dirigeants du secteur de la grande distribution et des produits de consommation déclarent prévoit d'allouer à l'IA selon le rapport Embedding AI in Your Brand's DNA (Intégrer l'IA dans l'ADN de votre marque), publié par l'Institute for Business Value d'IBM en janvier 2025. En France, 84% des dirigeants interrogés et 95% de leurs équipes utilisent déjà l'IA dans une mesure modérée ou importante révèle encore ce rapport.
« Les retailers déploient des algorithmes prédictifs pour optimiser les volumes de marchandises achetées, stockées et distribuées pour éviter tout surplus qui dégraderait leur rentabilité », observe Vincent Chamouleau, auteur de l'étude L'impact de l'intelligence artificielle dans le retail - Les leviers pour dynamiser le commerce physique et enrichir l'expérience d'achat en ligne, Xerfi (février 2025). Dans l'alimentaire par exemple, « tous les gros acteurs ont à coeur de réduire le gaspillage et utilisent l'IA à ce dessein pour adapter le pricing des produits à la proximité de la date limite de consommation ou de péremption ou envoyer les produits vers des associations et améliorer ainsi leur bilan RSE », précise Vincent Chamouleau.
L'IA offre également des capacités d'analyse prédictive afin de réduire les pertes liées aux vols et à la casse de produits. « Les avancées en matière de computer vision (vision par ordinateur) offrent de nouvelles perspectives en matière de vidéosurveillance. Il est ainsi possible de détecter des anomalies ou des comportements suspects », pointe-t-il.
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Optimalisation des coûts et création de valeur
De nombreuses expérimentations sont en cours, initiées par les marques et par les enseignes. Parmi les déploiements actés, le 25 mars 2025, Wallmart a annoncé le lancement de Wally, une IA dédiée à ses responsables de rayon. Cet assistant dopé à l'IA générative automatise certains process (saisie et analyse de données), réalise des diagnostics des sous-performances et surperformances de certains produits, apporte des réponses à des questions opérationnelles, gère la création de tickets, et délivre des prévisions de ventes...
Les distributeurs communiquent néanmoins relativement peu sur leurs projets IA. « Il est difficile de faire le tri entre les communications relevant du marketing et les véritables investissements. Les distributeurs craignent de ternir leur image auprès des consommateurs réfractaires à l'IA et ne souhaitent pas trop ébruiter leurs expérimentations de peur d'éveiller l'intérêt de la concurrence », confirme Vincent Chamouleau.
Toute la chaîne de valeur du commerce serait intéressée. Du marketing à la logistique, en passant par la vente. Mais « les plus avancés concernent le marketing et la préparation de commandes », assure Cyril Besse, CEO du cabinet conseil Univers Retail. Côté vente, « l'implémentation d'outils d'optimisation de pricing se développe notamment pour liquider les stocks avant les soldes ! L'IA permet de connaître la valeur de la réduction nécessaire pour accélérer les ventes avant la fin de la saison », indique Philippe Merckling, senior manager, en charge du centre de compétences dédié à l'IA au sein d'Univers Retail.
La reconnaissance visuelle a le vent en poupe. Chez Nestlé, les commerciaux peuvent s'appuyer sur deux outils IA dédiés, dont Sales Recommendation Engine (SRE), un moteur de recommandation. Celui-ci leur permet de prioriser leur tournée terrain et les actions en magasin et une application de reconnaissance d'image pour effectuer des relevés de linéaires via une vidéo. L'IA reconnait les produits en rayon et permet de collecter un maximum d'informations en un seul geste. « L'outil SRE fournit des recommandations à partir de données fraîches, collectées en sortie de caisse, sur les produits qui ne sont pas vendus par exemple alors qu'ils sont présents dans le stock du magasin, ou sur des ruptures. En alertant le responsable de secteur, il lui offre l'opportunité de valoriser sa visite, d'où une adoption favorable », témoigne Baptiste Pessiot, spécialiste support ventes Nestlé France, ex-Sales terrain. Le logiciel de reconnaissance d'image transforme la façon de travailler des commerciaux. « Nous avons eu quelques difficultés au démarrage, car l'IA a besoin d'être entraînée sur la base de données ultra propres. La mise en place prend du temps, mais l'adoption par les équipes s'est bien passée », poursuit-il.
Les sujets liés à l'IA dans le retail se multiplient et les start-up fleurissent. Par exemple, Ouidrop propose un système robotisé de retrait de commandes, le Dropper, permettant une mise à disposition des courses en 24/7. Le module peut stocker jusqu'à 120 commandes (produits secs, frais et surgelés). Autre start-up : Choco, qui lance Autopilote, un agent IA de traitement de commandes dédié à la distribution alimentaire. Concrètement, Autopilote évalue chaque commande entrante, vérifie son exactitude et décide de la traiter immédiatement en l'envoyant dans l'ERP du fournisseur ou de la signaler pour révision.
Assistant virtuel, usage réel
Globalement, l'IA générative a fait son entrée dans les entreprises de la distribution, comme ailleurs, via les smartphones des vendeurs et l'application Chat-GPT. « Nous formons les forces de vente du secteur, des équipes supply chain et des marketers à la maîtrise du prompt pour enrichir leurs discours », confie Dominique Monera, président d'IA Academie, formation et conseil IA.
Nestlé s'est doté de son propre chatbot dopé à l'IA générative : NesGPT. « Ce chatbot utilise la même technologie que ChatGPT pour fournir une solution sûre et conforme aux employés de Nestlé. Il nous permet de sécuriser les données de Nestlé tout en profitant des nouvelles technologies. Tous les collaborateurs en disposent, la force de vente peut l'utiliser pour produire les résumés des réunions commerciales, préparer les visites en magasins, sachant que nous travaillons au développement d'autres cas d'usages cette année », explique Laura Martinez, Directrice Digital Nestlé France.
Et demain ?
« Des groupes de grandes surfaces nous interrogent sur la prédiction de planogramme afin de rendre leurs agencements plus performants », répond Pablo Lafaix, directeur du pôle IA chez de Galadrim, agence Web de stratégie digitale. L'IA comme booster d'aménagement des espaces, mais pas que. « La convergence de toutes les formes d'IA dans le retail aboutit à la création de magasins autonomes. Des expérimentations existent mais se limitent à de très petites surfaces », affirme Cyril Besse. Galadrim accompagne un groupe de producteurs qui souhaite créer un réseau de magasins autonomes. « Nous travaillons sur l'analyse des flux en magasin (15m²) en temps réel afin de pouvoir fermer le point de vente lorsque le nombre de clients maximum est atteint et au développement d'une caisse automatique intégrant de l'IA pour fluidifier l'expérience client », glisse Pablo Lafaix.
L'un des enjeux du secteur face à l'IA relève de la conformité. La Cnil lance des travaux et une concertation concernant l'usage d'IA qui estiment l'âge des consommateurs. Des solutions proposent en effet des caméras qui scannent, au moment de l'achat, le visage de la personne pour estimer si celle-ci est mineure ou majeure. L'objectif étant d'en informer le commerçant par un témoin lumineux.
Le recours à ce type de dispositif pourrait servir un double objectif d'intérêt public : la protection des plus jeunes, en prévenant la vente de produits interdits (alcool, tabac) et la préservation de la santé publique. Pour autant, la Cnil s'interroge sur la conformité de ces dispositifs au regard de la réglementation applicable en matière de protection des données personnelles. « Ce type d'IA est déjà utilisé au Royaume-Uni, tout comme les IA pour lutter contre le vol et sécuriser les caisses automatiques, pour lesquelles la Cnil doit rendre un avis », avance Franck Charton, délégué général de Perifem, association professionnelle qui fédère les acteurs de la distribution, les centres commerciaux, ainsi que leurs fournisseurs, notamment autour de l'innovation technologique.
Un autre axe concerne la gestion des relations avec les fournisseurs. « L'IA ouvre des perspectives en matière de choix et de gestion des risques fournisseurs», suggère Philippe Merckling. Pour des politiques RSE plus vertueuses ?
Mousquetaires prévoit les réassorts en fruits & légumes
« Dans nos points de vente, les fruits et légumes représentent un levier fort de recrutement et fidélisation des clients. Un des enjeux étant l'optimisation des stocks pour garantir la fraîcheur au quotidien, limiter les ruptures et satisfaire les clients », déclare Maxime Canu, chef d'entreprise en charge de l'innovation au sein du Groupement Mousquetaires. Un autre enjeu relève de l'optimisation des marges. « Si je commande bien, je casse moins », lâche-t-il. Deux solutions imprégnées d'IA sont testées dans cinq points de vente depuis la rentrée 2024. « Ces outils d'analyse nous permettent de prévoir les commandes en fonction de l'historique des ventes, de la météo, des tendances de la consommation, du calendrier (jours fériés) », précise Maxime Canu. Les résultats semblent probants : « Nous observons une augmentation non négligeable du chiffre d'affaires pouvant atteindre jusqu'à 10% dans certains magasins, une diminution des pertes (jusqu'à 10% dans certains points de vente), ainsi que des gains de productivité : les chefs de rayon passant moins de temps à gérer leur stock au quotidien. Ils peuvent ainsi se positionner davantage sur leur métier de conseil », assure-t-il. L'IA soutient la prévision et en période estivale, lorsque des remplaçants viennent suppléer les commerciaux en congés, l'efficacité demeure. Encore en cours, les tests devraient être étendus à un échantillon plus large, avant une prise de décision d'ici la fin de l'année.
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